Jean Moulin

Jean Moulin, né le à Béziers et mort le près de Metz, en Moselle annexée, dans un convoi en partance pour l'Allemagne, est un haut fonctionnaire et résistant français.

Pour les articles homonymes, voir Jean Moulin et Moulin.

Jean Moulin
Portrait de Jean Moulin en 1937 par le studio Harcourt.
Fonctions
Président
Conseil national de la Résistance
Préfet d'Eure-et-Loir
-
Albert Heumann (d)
Charles Donati (d)
Préfet de l'Aveyron
-
Albert Heumann (d)
Henri Destarac (d)
Secrétaire général de la préfecture de la Somme (d)
-
Maurice George (d)
André Carrère (d)
Sous-préfet de Thonon-les-Bains
-
Pierre Barthère (d)
Maurice Daudin (d)
Sous-préfet de Châteaulin
-
Philibert Dupard (d)
Marcel Filuzeau (d)
Sous-préfet d'Albertville
-
Léon Gonzalve (d)
Henri Gomot (d)
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
Jean Pierre Moulin
Pseudonymes
Régis, Max, Rex, Joseph Jean Mercier, Jacques Martel, Romanin, Joseph Marchand, Richelieu, Alix
Nationalité
Activités
Père
Fratrie
Conjoint
Marguerite Cerruti (d) (de à )
Autres informations
Grade militaire
Conflit
Lieu de détention
Distinctions
Archives conservées par
Archives nationales (F/1bI/816, F/4/3300)[1]
Signature
Plaque commémorative aux Clayes-sous-Bois (Yvelines).

Préfet de l'Aveyron puis d'Eure-et-Loir, refusant l'occupation de la France par l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint en la France libre à Londres en passant par l’Espagne et le Portugal. Il est reçu par Charles de Gaulle, à qui il fait un compte-rendu de l’état de la résistance en France et de ses besoins, notamment financiers et en armement.

Envoyé à Lyon par Charles de Gaulle pour unifier les mouvements résistants, il crée et dirige le Conseil national de la Résistance. Il est arrêté à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, le et conduit au siège de la Gestapo à Lyon, où il est torturé ; il est ensuite transféré à la Gestapo de Paris. Il meurt dans le train qui le transporte en Allemagne peu avant le passage de la frontière, le . Son décès est enregistré en gare de Metz[2].

Considéré comme l'un des principaux héros de la Résistance, il est fait compagnon de la Libération en 1942, nommé général de brigade à titre posthume lors de la Libération, puis général de division en 1946[3]. Un cénotaphe lui est dédié au Panthéon ; son corps n'ayant jamais été identifié avec certitude, l'urne qui s'y trouve ne contient que les « cendres présumées » de Jean Moulin.

Jeunesse

Acte de naissance de Jean Moulin le à Béziers (Hérault).

Jean Pierre Moulin naît au 6 rue d'Alsace à Béziers[4], fils d'Antoine-Émile Moulin, professeur d’histoire-géographie au collège Henri-IV dans cette ville, et de Blanche Élisabeth Pègue. Il est le petit-fils d'un insurgé de 1851[5]. Antoine-Émile Moulin est un enseignant laïque au grand collège de la ville, partie intégrante du lycée Henri-IV, ainsi qu'à l’université populaire, et il est franc-maçon à la loge Action sociale[6]. Son fils, Jean, est baptisé le par le père Guigues en l'église Saint-Vincent de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône)[7], village d'origine de ses parents : son parrain est son frère Joseph Moulin et sa marraine est sa cousine Jeanne Sabatier[8]. Il passe une enfance paisible en compagnie de sa sœur Laure et de son frère Joseph (qui meurt d'une maladie en 1907), et s'adonne à sa passion pour le dessin, où il excelle, au point de pouvoir vendre dessins, aquarelles ou caricatures à des journaux (ce qui ne plaisait pas à son père)[9],[10]. Au lycée Henri-IV de Béziers, il est un élève moyen qui fait preuve d'un talent particulier pour la caricature et les belles lettres. Occitanophone, car son père était un poète provençal admirateur de Frédéric Mistral[11], il gardera un attachement sincère à sa langue familiale et à son lycée de cœur[12].

Plus tard, dans la lignée de son père élu conseiller général de l'Hérault en 1913 sous la bannière radicale-socialiste, Jean Moulin se forge de profondes convictions républicaines, suivant avec assiduité la vie politique nationale.

En 1917, il s'inscrit à la faculté de droit et science politique de Montpellier, où il n'est pas un élève brillant, et grâce à l'entregent de son père conseiller général, il est nommé attaché au cabinet du préfet de l'Hérault sous la présidence de Raymond Poincaré. Quittant son milieu familial, il se met à fréquenter des artistes, se passionne pour les voitures de sport, les beaux vêtements et le ski[9].

Mobilisé le , Jean Moulin est affecté au 2e régiment du génie (basé à Metz après la victoire)[13]. Après une formation accélérée, il arrive dans les Vosges à Charmes le et s'apprête à monter en ligne quand l'armistice est proclamé. Il est envoyé successivement en Seine-et-Oise, à Verdun, puis à Chalon-sur-Saône ; il est tour à tour menuisier, terrassier, téléphoniste aux 7e et 9e régiments du génie. Il est démobilisé début , retourne à Montpellier pour entamer sa deuxième année de droit et reprend ses fonctions d'attaché au cabinet du préfet, le [14].

La qualité de son travail l'amène à être promu chef-adjoint de cabinet fin 1920. En 1921, il obtient sa licence en droit. Parallèlement, il devient vice-président de l'Association générale des étudiants de Montpellier et membre des Jeunesses laïques et républicaines.

Le , il entre dans l'administration préfectorale en tant que chef de cabinet du préfet de la Savoie, à Chambéry, poste très important pour son âge, sous la présidence d'Alexandre Millerand. Au soir des élections législatives de , il se réjouit de la victoire du cartel des gauches en Savoie comme dans tout le pays.

De 1925 à 1930, il est sous-préfet d'Albertville. Il est à l'époque le plus jeune sous-préfet de France, sous la présidence de Gaston Doumergue.

En , il se marie avec Marguerite Cerruti ; mais celle-ci s'ennuie dans la sous-préfecture et quitte Jean Moulin pour aller vivre à Paris ; il demande le divorce et l'obtient deux ans plus tard[15].

En 1930, il est promu sous-préfet de 2e classe à Châteaulin dans le Finistère. Il y fréquente des poètes locaux comme Saint-Pol-Roux à Camaret et le poète et peintre Max Jacob à Quimper. Il est reçu chez le sculpteur Giovanni Leonardi et commence à collectionner les tableaux et à dessiner sous le pseudonyme de « Romanin » ; il s'essaie aussi à la céramique[16].

Il est également illustrateur du Morlaisien Tristan Corbière pour son recueil de poèmes Armor. Parallèlement, il publie des caricatures et des dessins humoristiques dans la revue Le Rire, dans Candide ou Gringoire sous le pseudonyme de « Romanin ». Sa passion pour l'art et notamment l'art contemporain s'exprime aussi à travers son amitié pour Max Jacob et sa collection de tableaux où sont représentés Chirico, Dufy et Friesz[17],[18].

Pierre Cot, ministre de l'Air, 1933.

En , Pierre Cot, homme politique radical-socialiste, le nomme chef adjoint de son cabinet aux Affaires étrangères sous la présidence de Paul Doumer.

En 1933, il est sous-préfet de Thonon-les-Bains et occupe parallèlement la fonction de chef de cabinet de Pierre Cot au ministère de l'Air sous la présidence d’Albert Lebrun. Il est promu sous-préfet de 1re classe, et le , il est nommé sous-préfet de Montargis mais n'occupe pas cette fonction, préférant demeurer au cabinet de Pierre Cot. Au début , il est rattaché à la préfecture de la Seine et s'installe à Paris.

Le , il prend ses fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Somme à Amiens, fonctions qu'il va quitter deux ans plus tard en [19].

En 1936, il est à nouveau nommé chef de cabinet de Pierre Cot au ministère de l'Air du Front populaire et, avec le ministre, conformément à la politique décidée par Léon Blum, aide clandestinement les républicains espagnols en leur envoyant des avions et des pilotes[20]. Il participe à cette époque à l'organisation de nombreux raids aériens civils comme la traversée de l'Atlantique sud par Maryse Bastié, la course Istres - Damas - Le Bourget. À cette occasion, Pierre Cot étant officiellement en convalescence[21], il doit remettre le chèque aux vainqueurs (équipage italien) parmi lesquels se trouve le propre fils de Benito Mussolini. Au dire de sa sœur Laure, « Jean était très embarrassé d’avoir à recevoir et à féliciter les lauréats italiens, alors qu’il était résolument antifasciste »[22].

En , à l'âge de trente-huit ans, il est nommé préfet de l'Aveyron ; c'est à l’époque le plus jeune préfet de France. Ses actions en faveur de l'aviation lui permettent de passer cette même année du génie à la réserve de l'Armée de l'air. Il est affecté à partir de à la base de Marignane avec le grade de caporal-chef (), puis en au bataillon de l'air no 117 basé à Issy-les-Moulineaux. Il est nommé sergent de réserve le [13].

Résistance

Révocation de sa fonction de préfet

Hommage de la ville de Chartres.
Plaque en hommage à Jean Moulin à la préfecture d'Eure-et-Loir.
Monument Jean-Moulin à Chartres.

En , il est nommé préfet d'Eure-et-Loir à Chartres. Après la déclaration de guerre, il demande à plusieurs reprises à être dégagé de ses fonctions de préfet, persuadé, comme il l'écrit, que sa « place n'est point à l'arrière, à la tête d'un département essentiellement rural »[23]. Il se porte donc candidat à l'école des mitrailleurs en allant à l'encontre de la décision du ministère de l'Intérieur. Il passe sa visite médicale d'incorporation à l'école le sur la base 117 d'Issy-les-Moulineaux. Il est déclaré inapte le lendemain pour un problème de vue. Il force alors le destin en exigeant une contre-visite à Tours qui, cette fois, le déclare apte. Mais le ministère de l'Intérieur l’oblige dès le lendemain à reprendre immédiatement son poste de préfet, d'où il s'emploie, dans des conditions très difficiles, à assurer la sécurité de la population. Devant l'arrivée imminente des Allemands dans Chartres, Jean Moulin écrit à ses parents, le  : « Si les Allemands — ils sont capables de tout — me faisaient dire des choses contraires à l'honneur, vous savez déjà que cela n'est pas vrai[24] ».

Il est arrêté le par les Allemands parce qu'il refuse de signer un protocole rédigé par trois officiers allemands, reconnaissant faussement qu'une troupe de tirailleurs sénégalais de l'Armée française a commis de prétendues atrocités envers des civils à La Taye, un hameau de Saint-Georges-sur-Eure, en réalité victimes de bombardements allemands le sur la gare de cette commune[25]. Frappé à coups de poing et enfermé pour refus de complicité avec les Allemands, il tente de se suicider en se tranchant la gorge avec un débris de verre. Il évite la mort de peu et conserve ensuite une cicatrice qu'il cache sous un foulard sur des clichés pris après sa guérison, à la préfecture de Chartres[26].

Jean Moulin considère le soutien des communistes français au pacte germano-soviétique comme une abominable trahison[27]. Il transmet dans cet esprit une série de tracts communistes découverts dans l'ouest de son département au général de La Laurencie. Préfet d'Eure-et-Loir, Jean Moulin ne s'oppose pas aux mesures édictées par le nouveau régime de Vichy, mais il ne manifeste aucun zèle pour les appliquer[28]. Classé parmi les « fonctionnaires de valeur mais prisonniers du régime ancien »[29], il est révoqué le et placé en disponibilité par le ministre de l'Intérieur Marcel Peyrouton. Décidé à entrer dans la clandestinité, il quitte Chartres le .

Après un séjour à Paris, il s'installe dans sa maison familiale de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône) d'où, pressé par le besoin de « faire quelque chose », il s'impose deux buts : d’abord se rendre compte de l’ampleur de la Résistance française, puis aller à Londres afin d’engager les pourparlers avec la France libre[30]. Il se met alors à la rédaction de son journal, Premier combat, où il relate sa résistance contre les nazis à Chartres de manière sobre et extrêmement détaillée ; ce journal sera publié à la Libération et préfacé par le général de Gaulle. Il possède une fausse carte d'identité au nom de Joseph Mercier (prénom hommage à son frère décédé[9]), professeur de droit. Il s'installe à Marseille, à l’Hôtel Moderne et rencontre, dans plusieurs villes du Midi, des résistants parmi lesquels Henri Frenay, le chef du mouvement de Libération nationale, ainsi qu'Antoinette Sachs qui lui facilite les contacts[31].

Constitution de l'Armée secrète de la France – Unification des mouvements de résistance

Plaque commémorative de la création des Mouvements unis de la Résistance (MUR) de la zone sud, à Miribel, le .

Après avoir réussi à obtenir un visa et un faux passeport, le , il rejoint Londres en passant par l’Espagne et le Portugal, par ses propres moyens, sous le nom de Joseph Jean Mercier. Le , il est reçu par le général de Gaulle qui l'impressionne vivement et en qui il reconnaît « un très grand bonhomme. Grand de toutes façons »[32]. Il lui fait un compte-rendu (qui sera controversé) de l’état de la Résistance en France et de ses besoins, notamment financiers et en armement.

Son compte-rendu donnera lieu à de nombreuses contestations de la part des mouvements de résistance intérieure, comme étant tendancieux, avec des visées personnelles, tout en perturbant les actions de renseignements au profit de l’armée britannique et le système, en contrepartie de financement et de fourniture d’armes au profit de chacun d'entre eux[33]. À Londres, il suit un entraînement pour apprendre à sauter en parachute, tirer au pistolet et se servir d'un poignard.

Misant sur l’ambition et les capacités de réseau de Jean Moulin, de Gaulle en fait son délégué civil et militaire pour la zone libre. Il lui donne un premier ordre de mission, que l'« on ne cite jamais, celui du 4 novembre, entièrement écrit de la main du général de Gaulle, et qui est un ordre de mission d'organisation purement militaire, mission que Moulin a effectivement accomplie, en aboutissant, après onze mois, à la constitution de l'Armée secrète »[34]. Une Armée secrète (AS) chaperonnée par les Forces françaises libres, complètement placées sous les ordres du général Charles Delestraint[N 1]. Mais, « pour la question militaire, […] elle est effectivement complètement occultée »[36].

Ensuite, par un second ordre, que l'« on cite toujours, le fameux ordre de mission de Jean Moulin du 24 décembre 1941, qui est un ordre de mission général, lui prescrivant d'accomplir l'union de tous les éléments résistant à l'ennemi »[37], il le charge d’unifier, sur le territoire français, les trois principaux mouvements de résistance, Combat, dirigé par Henri Frenay, Franc-Tireur et Libération-Sud, ainsi que tous leurs différents services : service ROP (recrutement, organisation, propagande), renseignements, sabotage, entraide.

Muni de ces deux ordres de mission, de moyens financiers et de communication radio directe avec le général de Gaulle à Londres, il est parachuté, dans la nuit du 1er au , en compagnie de Raymond Fassin[38] et Hervé Monjaret[39], au cours d'une opération blind (jargon de la RAF : « sans équipe de réception »)[40], dans les Alpilles, à une dizaine de kilomètres au sud de Saint-Rémy-de-Provence[41], à 15 km de Saint-Andiol. Il passe la nuit du 2 au dans le refuge acquis à Eygalières[42] puis rejoint Saint-Andiol à pied.

Dans la Résistance, il prend le pseudonyme évocateur de Rex. Pour accomplir sa mission, Jean Moulin rencontre, entre autres, Henri Frenay, à Marseille, et Raymond Aubrac, à Lyon. Il est aidé dans sa tâche par Daniel Cordier, qui s'occupe de la logistique, et par Colette Pons[43].

Dès , en zone sud, en région R1, sous l'autorité du général Delestraint, débute la constitution de l'Armée secrète par le versement à l'AS des formations paramilitaires (d'importance très inégale) des trois grands mouvements de résistance. Dans cette tâche, éminemment clandestine, le général Delestraint  choisi, d'un commun accord, par les mouvements de résistance et par le général de Gaulle pour diriger leurs actions militaires (uniquement), sous l'ordre direct de ce dernier  est secondé par les chefs AS secrètement désignés, le régional et les chefs départementaux.

Deux mois après, le , est créé le Comité de coordination de la zone sud, à Collonges-au-Mont-d'Or (en banlieue lyonnaise), dans le but de coordonner, avec la mouvance communiste, les trois mouvements principaux de résistance de la zone libre ; ce regroupement donne ensuite naissance, le , aux Mouvements unis de la Résistance (MUR)  membre du directoire et secrétaire général : Pierre Dumas , lors d’une réunion au domicile d’Henri Deschamps, à Miribel[44] (dans l'Ain).

Dans cette nouvelle unification, Jean Moulin cherche, non sans mal, à contenir les velléités de commandement d’Henri Frenay, chef du mouvement Combat, d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, chef de Libération-Sud, et de Jean-Pierre Lévy, chef de Franc-Tireur.

Il utilise ensuite ses dons artistiques pour se créer une couverture de marchand de tableaux et ouvre la galerie Romanin  dont le nom reprend son pseudonyme d’artiste  à Nice, au 22, rue de France[45],[46]. L’établissement, dont l’inauguration a lieu le , est alors l’unique galerie d’art moderne de la ville[45].

Dans la nuit du 13 au , il retourne rendre compte de sa mission à Londres, accompagné du général Delestraint, organisateur et chef de l’Armée secrète. Au cours de la nuit, ils doivent quitter précipitamment la maison Deschamps, à Miribel, pour aller embarquer dans le Jura, à Ruffey-sur-Seille (au nord de Lons-le-Saunier), à bord d'un Lysander[47].

Toutefois, si les mouvements de résistance ont accepté l'unification des mouvements pour améliorer leur efficacité, ainsi que leur financement, leurs chefs n'acceptent que difficilement la tutelle militaire de Londres pour l'AS : Henri Frenay, en particulier, souhaite garder le contrôle de la résistance militaire intérieure et mène une violente campagne contre le général Delestraint, dont il refuse de reconnaître l'autorité à la tête de l'Armée secrète.

Création du Conseil national de la Résistance

Le , Jean Moulin va à Londres rendre compte de sa mission à Charles de Gaulle, qui le décore de la croix de la Libération et le nomme secrètement ministre, membre du Comité national français, et seul représentant de ce comité pour l'ensemble du territoire métropolitain.

Le , il revient en France, avec le chef national de l'AS, en atterrissant de nuit en Saône-et-Loire, à Melay (au nord de Roanne), chargé de créer le Conseil national de la Résistance (CNR), tâche complexe, car il est toujours peu reconnu par les mouvements de résistance. En particulier, le responsable de la zone Nord, Pierre Brossolette, suscite bien des difficultés. Cependant, les sujets de discorde sont résolus, et la première réunion du CNR, en séance plénière, se tient à Paris, 48, rue du Four[48]le .

Jean Moulin parvient à se faire admettre comme chef du CNR, qui réunit les dirigeants de tous les groupes de la résistance française. Le CNR représente alors l'unité des Forces résistantes françaises aux yeux des Alliés et l'embryon d'une assemblée politique représentative. Le CNR reconnaît en de Gaulle le chef légitime du gouvernement provisoire français, et souhaite que le général Giraud prenne le commandement de l'armée française.

Moulin participe, avec le mouvement Franc-Tireur, à la création du maquis du Vercors, contesté par les hommes de Combat[33]. Cependant, les motifs d'inquiétude s'accumulent : le capitaine Claudius Billon, chef régional de l'AS, est arrêté le , à Lyon, le commandant Henri Manhès est arrêté à Paris, en mars, deux mois avant l'arrestation du général Delestraint, chef de l'AS, le , à Paris. L'Armée secrète est décapitée et Jean Moulin, lui-même, se sait traqué, comme il l'écrit au général de Gaulle : « Je suis recherché maintenant tout à la fois par Vichy et la Gestapo, qui n'ignore rien de mon identité, ni de mes activités. Ma tâche devient donc de plus en plus délicate, alors que les difficultés ne cessent d'augmenter. Si je venais à disparaître, je n'aurais pas eu le temps matériel de mettre au courant mes successeurs »[49].

Arrestation à Caluire

Maison « du docteur Dugoujon » à Caluire-et-Cuire.

L'arrestation de Jean Moulin fait toujours l'objet de nombreuses interrogations. À l'issue d'investigations et de manipulations menées par différents services allemands, elle intervient dans le contexte des fortes tensions entre composantes de la Résistance et dans celui de communications entre les services de renseignements de l'administration de Vichy, de la Résistance et de l'Allemagne.

Cette opération a lieu le , à Caluire-et-Cuire (Rhône), dans la maison du docteur Dugoujon (en fait, louée par le docteur Dugoujon) où doit se tenir une réunion avec sept dirigeants de la Résistance : André Lassagne, le colonel Albert Lacaze et le lieutenant-colonel Émile Schwarzfeld, Bruno Larat, Claude Bouchinet-Serreulles, Raymond Aubrac et Henri Aubry, réunion décidée par Jean Moulin, afin de désigner le successeur, par intérim, du général Delestraint à la tête de l'Armée secrète, en attendant une nomination par le général de Gaulle.

Bouchinet-Serreulles est absent au rendez-vous fixé sur le trajet. La venue de René Hardy à la réunion, alors qu'il n'y est pas convoqué, a amené nombre de résistants à suspecter ce dernier d'avoir, par sa présence, indiqué à Klaus Barbie le lieu précis de cette réunion secrète. René Hardy, arrêté, puis relâché par la Gestapo quelques jours auparavant, est d'ailleurs le seul à s'évader lors de cette arrestation, n'étant pas menotté mais ayant eu juste les poignets entravés par de simples liens. René Hardy est accusé, après guerre, d'avoir dénoncé Jean Moulin aux Allemands et comparaît dans deux procès, en 1947 puis en 1950. Ce fait est confirmé par Pierre Péan dans son livre La Diabolique de Caluire[50].

Jean Moulin est interné, avec les autres dirigeants de la Résistance, à la prison Montluc, à Lyon. Après avoir été identifié, il est quotidiennement conduit au siège de la Gestapo, alors établi dans les locaux de l’École du Service de santé militaire, avenue Berthelot, afin d'être interrogé et torturé par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. Refusant de reconnaître les tortures malgré les preuves, Barbie affirmera que Moulin a fait plusieurs tentatives de suicide, se jetant de lui-même dans les escaliers, tentatives crédibles vu celle de 1940[51],[52]. Jean Moulin est ensuite transféré à la Gestapo de Paris, avenue Foch, puis dans la villa du chef de la Gestapo, Karl Bömelburg, à Neuilly-sur-Seine[53].

Cabanon où Jean Moulin fut torturé à La Taye, Saint-Georges-sur-Eure.
Plaque apposée sur le cabanon de La Taye où Jean Moulin a été torturé, commune de Saint-Georges-sur-Eure (Eure-et-Loir).
Ancienne case funéraire de Jean Moulin au columbarium du Père-Lachaise (division 87).

Officiellement, Jean Moulin meurt de ses blessures le , en gare de Metz[54], dans le train Paris-Berlin mais l'acte de décès allemand, daté du et indiquant Metz comme lieu de décès, est rédigé six mois plus tard, le . Quant au certificat de décès, il est rédigé le , ce qui laisse planer un doute sur les circonstances de sa mort[53]. Le , le corps d’« un ressortissant français décédé en territoire allemand »  présumé être Jean Moulin  est rapatrié à Paris, gare de l'Est et aussitôt incinéré[53]. L'urne contenant ses cendres est ensuite déposée au cimetière du Père-Lachaise, case 10137, avec pour seule mention « Inconnu incinéré, 09-07-43 »[53]. En 1945, sa famille fait déplacer cette urne dans le carré de la Résistance du cimetière. L’urne est finalement transférée au Panthéon, en 1964.

Postérité

Les « cendres présumées » de Jean Moulin ont été transférées au Panthéon le , lors de la célébration du vingtième anniversaire de la Libération, sous la présidence du général de Gaulle. En réalité, son corps n'a jamais été identifié avec certitude.

Le discours d’André Malraux

Tombeau au Panthéon de Paris contenant les cendres présumées de Jean Moulin.

Le , un discours solennel est prononcé lors de la grande cérémonie officielle où André Malraux, ministre des Affaires culturelles, fait entrer Jean Moulin au « Panthéon des Grands Hommes » de la République française. Il fait de lui à cette occasion « le symbole » de l'héroïsme français, de toute la Résistance à lui seul en l'associant à tous les résistants français, héros de l'ombre, connus et inconnus, qui ont permis de libérer la France au prix de leur souffrance, de leur vie, et de leur idéologie de liberté. Ce discours composé et prononcé par André Malraux est souvent considéré comme un des plus grands discours de la République française.

« Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle, nos frères dans l'ordre de la nuit, etc. »
« C'est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France, etc. »

Ce discours célèbre est suivi du Chant des Partisans interprété par une grande chorale devant le Panthéon.

Il est prononcé dans des conditions rendant difficile la prise de son (le vent soufflait fort) et est notamment retransmis en direct dans de nombreux lycées. Des enregistrements ont été réalisés, on peut notamment l'écouter à l’audiothèque du centre Georges-Pompidou ainsi que sur le site de l'INA[55]. Le texte intégral est par ailleurs disponible sur le site officiel d'André Malraux[56]

Le manuscrit original de ce discours est conservé et présenté au public au musée de l’ordre de la Libération situé dans l'hôtel des Invalides à Paris aux côtés de la tenue de préfet de Jean Moulin, de son chapeau, sa gabardine et son écharpe.

L'hommage de Charles de Gaulle

Dans une note datée du , le général de Gaulle rend hommage à la conduite héroïque de Jean Moulin, alias Max :

« MAX, pur et bon compagnon de ceux qui n'avaient foi qu'en la France, a su mourir héroïquement pour elle.

Le rôle capital qu'il a joué dans notre combat ne sera jamais raconté par lui-même, mais ce n'est pas sans émotion qu'on lira le journal que Jean Moulin écrivit à propos des évènements qui l'amenèrent, dès 1940, à dire non à l'ennemi. La force de caractère, la clairvoyance et l'énergie qu'il montra en cette occasion ne se démentirent jamais. Que son nom demeure vivant comme son œuvre demeure vivante ![57]. »

Plus tard, dans ses Mémoires de guerre, Charles de Gaulle rend de nouveau hommage à Jean Moulin en ces termes :

« Cet homme, jeune encore, mais dont la carrière avait déjà formé l'expérience, était pétri de la même pâte que les meilleurs de mes compagnons. Rempli, jusqu'aux bords de l'âme, de la passion de la France, convaincu que le « gaullisme » devait être, non seulement l'instrument du combat, mais encore le moteur de toute une rénovation, pénétré du sentiment que l'État s'incorporait à la France Libre, il aspirait aux grandes entreprises. Mais aussi, plein de jugement, voyant choses et gens comme ils étaient, c'est à pas comptés qu'il marcherait sur une route minée par les pièges des adversaires et encombrée des obstacles élevés par les amis. Homme de foi et de calcul, ne doutant de rien et se défiant de tout, apôtre en même temps que ministre, Moulin devait, en dix-huit mois, accomplir une tâche capitale. La Résistance dans la Métropole, où ne se dessinait encore qu'une unité symbolique, il allait l'amener à l'unité pratique. Ensuite, trahi, fait prisonnier, affreusement torturé par un ennemi sans honneur, Jean Moulin mourrait pour la France, comme tant de bons soldats qui, sous le soleil ou dans l'ombre, sacrifièrent un long soir vide pour mieux remplir leur matin[58]. »

Hommages

Plaque à la mémoire de Jean Moulin en gare de Metz.

Jean Moulin est le quatrième homme le plus célébré au fronton des 67 000 établissements scolaires français (recensement en 2015) : 434 écoles, collèges et lycées lui ont donné son nom, derrière Saint Joseph (880), Jules Ferry (642) et Jacques Prévert (472), mais devant Jean Jaurès (429), Jeanne d'Arc (423), Antoine de Saint-Exupéry (418), Victor Hugo (365), Louis Pasteur (361), Marie Curie (360), Pierre Curie (357), Jean de la Fontaine (335)[59]. L'université Lyon-III porte son nom. La quarante-troisième promotion de commissaires de police issue de l'École nationale supérieure de la Police, entrée en fonction en 1993, porte également son nom.

Jean Moulin est devenu le résistant le plus célèbre et le plus honoré de France. Comme l'explique son biographe Jean-Pierre Azéma, c'est le seul dont pratiquement tous les Français connaissent le nom et le visage, en particulier grâce à sa célèbre photo en noir et blanc, celle à l'écharpe et au chapeau mou. Cela au risque de faire parfois oublier d'autres grands organisateurs de l'armée souterraine, et de reléguer dans l'ombre d'autres martyrs héroïques de la lutte clandestine tels que François Verdier, Pierre Brossolette, Jean Cavaillès ou Jacques Bingen. Jean Moulin est ainsi devenu le symbole et le visage même de la Résistance. Le , dans le hall central de la gare de Metz (qui porte son nom), un hommage mémoriel a été rendu à cette figure de la Résistance française, sous la forme d'une œuvre monumentale du sculpteur allemand Stephan Balkenhol[60].

En 2019 paraît Jean Moulin, bande dessinée historique et biographique scénarisée par Jean-Yves Le Naour et dessinée par Holgado et Marko (éd. Bamboo)[61].

En 2020, une plaque commémorative est déposée sur l'ancienne plaque funéraire du columbarium du Père-Lachaise, avec pour inscription : « Ici se trouvait l'urne contenant les cendres de Jean Moulin (1899-1943), chef de la Résistance, 1er président du conseil national de la Résistance, avant son transfert au Panthéon en 1964. »[62].

En 2021, lors du 75e anniversaire, on salue à Metz, parmi d’autres qualités, son obsession de l’unité et le sens de l’intérêt général[63].

Le célèbre portrait de Jean Moulin

Plaque à l'aqueduc Saint-Clément de Montpellier, le lieu où fut prise la photo de Jean Moulin.
La représentation de Jean Moulin participe à la symbolique de la Résistance.

La photographie emblématique de Jean Moulin, portant un chapeau, réalisée en noir et blanc, est prise par son ami Marcel Bernard, au cours de l'hiver 1939, à Montpellier, en contrebas du château d'eau du Peyrou[N 2]. Cette célèbre photographie qui a été choisie par sa sœur, Laure Moulin, pour la cérémonie de sa panthéonisation, est utilisée par elle, en 1969, en première de couverture de la biographie consacrée à son frère, puis par d'autres biographes et des monuments commémoratifs, contribuant à faire de lui l'archétype du résistant[64],[65].

Le photographe est un ami d'enfance et voisin, résidant au 4 de la rue d'Alsace, en face du Champ-de-Mars, à Béziers. Jean Moulin est né au no 6 de la même rue. Marcel Bernard habite au no 4 jusqu'à sa mort en 1991. Par une ironie de l'histoire, des résistants du maquis de Fontjun (venus des villages des environs, Capestang, Montady, Puisserguier, etc.) ont été fusillés par l'occupant allemand sur la place du Champ-de-Mars, le , veille du débarquement de Normandie.

Controverses

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Plaque apposée sur un immeuble de la Grand rue Jean Moulin à Montpellier.

Lorsqu'il vient à la réunion de Caluire, René Hardy, qui a déjà été arrêté par la Gestapo, puis libéré, serait suivi par celle-ci. Certains estiment qu'il s'agit d'une trahison, d'autres d'une imprudence fatale. Certains résistants tentent plus tard d'assassiner Hardy. Ayant rejoint d'autres secteurs de la Résistance, il passe deux fois en jugement après la Libération à cause de cette suspicion qui pèse sur lui. Il est acquitté une première fois en 1947, au bénéfice du doute, mais au lendemain même de son jugement, la découverte d'une pièce infirmant ses déclarations le fait à nouveau incarcérer. Il est jugé en 1950 par un tribunal militaire qui l'acquitte au bénéfice de la « minorité de faveur », 4 jurés l'ayant déclaré coupable et 3 innocent[66],[67].

Henri Frenay, lui, a la conviction que Lydie Bastien, maîtresse de René Hardy, a joué un rôle très trouble dans cette affaire. Dans le livre qu'il lui consacre, Pierre Péan émet l'hypothèse qu'elle aurait été la maîtresse de Harry Stengritt, un adjoint de Klaus Barbie[68].

La controverse est relancée au cours du procès de Klaus Barbie. Son avocat, Jacques Vergès, insinue que les Aubrac ont trahi Jean Moulin et fait signer à Barbie un « testament ». Quelques historiens et quelques journalistes reprennent ce testament à leur compte ou s'appuient sur des documents du KGB pour dénoncer ce qu'ils pensent être des relations entre le stalinisme et la résistance. Aujourd'hui, les thèses contestées de ces historiens ont été largement réfutées : il n'est pas fait grand crédit aux déclarations prêtées par Vergès à Barbie[69].

Il faut par exemple citer, dans le même registre, le livre controversé du journaliste et historien lyonnais Gérard Chauvy, paru en 1997. Malgré le soutien de Stéphane Courtois, universitaire et spécialiste du communisme, lors du procès en diffamation intenté par les Aubrac[70], et malgré la longue hésitation d'un certain nombre d'historiens de l'Institut d'histoire du temps présent (François Bédarida, Jean-Pierre Azéma, Henry Rousso), beaucoup se sont prononcés sans ambiguïté contre Chauvy et ses méthodes, prenant parti pour les Aubrac.

Jacques Baynac soutient d'abord la thèse d'une arrestation créditée au seul engagement policier de la Gestapo, sans aucune dénonciation[71]. Et en 2007, cet historien publie des archives allemandes, britanniques et américaines, jusque-là inédites, montrant que la Gestapo avait alors été informée par les services de renseignement de l'Abwehr, dépendant de l'état-major militaire allemand, lesquels avaient reconstitué pendant plusieurs mois le réseau de Jean Moulin sur la base de longues opérations de surveillance. Dans cet ouvrage[72], l'auteur cite également des notes des services secrets britanniques du SOE à propos d'une brève arrestation de Daniel Cordier par des policiers allemands[73], que celui-ci n'a jamais souhaité commenter.

D'autres hypothèses mettent en avant une série de double jeu de certains responsables de mouvements de résistance aux objectifs géostratégiques divergents, certains préférant des alliances avec les américains et un leadership de Henri Giraud plutôt que du général de Gaulle, l'arrestation de Caluire faisant suite à l'arrestation de Charles Delestraint chef de l'Armée secrète (France) et ayant pour objet de désigner son remplaçant, ces considérations ont un poids historique que les différents travaux de spécialistes ne permettent pas jusqu'à nos jours de trancher[74].

Selon le journaliste Jacques Gelin, qui étudie l'affaire depuis 1987, l'hypothèse d'un complot ourdi contre Moulin serait la plus plausible ; sans dédouaner Lydie Bastien ou René Hardy, cette hypothèse impliquerait une responsabilité des arrestations de élargie à d'autres résistants[75],[76]. Pour les spécialistes, si René Hardy est le principal suspect de « l'affaire Moulin », Aubry, qui a insisté pour qu'il soit présent au rendez-vous, et Bénouville, qui a fait de même et qui aurait été au courant de son arrestation[N 3],[77], ont au mieux été imprudents, faute de preuves. Selon Gelin, les exécutions de témoins capitaux dans les derniers moments de la guerre (Multon, transfuge de la Résistance ayant procédé à la première arrestation de Hardy ; Dunker, le rédacteur du rapport Flora) empêchent de trancher[75],[78].

Par ailleurs, certains, comme Henri Frenay[79], chef du réseau Combat, ou l'avocat et historien Charles Benfredj[80] accusent Jean Moulin d'avoir été cryptocommuniste, c'est-à-dire d'avoir par ses relations dans les milieux radicaux secrètement favorisé les intérêts pro-soviétiques en France en détournant notamment l'aide anglo-américaine aux mouvements de résistance ; ils évoquent ses liens avec Pierre Cot, lui-même proche du communisme, et d'autres sympathisants issus de la Confédération générale du travail (CGT), du mouvement de résistance communiste Front national et du parti communiste proprement dit qui seront représentés au sein du CNR[81] (sur les dix-neuf participants à la réunion fondatrice du CNR, deux représentent le parti communiste et le Front national et un la CGT). Henri Frenay lui reproche également d'avoir voulu réhabiliter les partis de la IIIe République au sein du CNR, au détriment des mouvements de Résistance qui, pour certains, se voulaient seuls légitimes à diriger la France à la Libération.

Thierry Wolton met en avant quant à lui les liens existant entre Jean Moulin et Harry Robinson (arrêté par la police secrète allemande à Paris, le 21 décembre 1942), chef clandestin (rézidiente) d'un des principaux réseaux de renseignement de l'Armée rouge en Europe, notamment au travers du communiste Maurice Panier[82].

Pour répondre aux diverses critiques entourant Jean Moulin, et démentir notamment les accusations de cryptocommunisme, son ancien secrétaire Daniel Cordier a entrepris à la fin des années 1970 une biographie en six volumes. Refusant l'emploi des souvenirs personnels et des témoignages oraux facilement imprécis ou déformés par le temps, Daniel Cordier s'est appuyé sur les archives de Jean Moulin en sa possession, sur une patiente étude critique des documents écrits, et sur un effort de rétablissement de la stricte chronologie des faits. Publiée entre 1989 (Jean Moulin – L'inconnu du Panthéon, t. 1, J.Cl. Lattès) et 1999 (Jean Moulin – La République des catacombes, Gallimard), la somme de Daniel Cordier, et son apport à l'histoire de la Résistance intérieure française, dont il ne cherche pas à gommer les aspérités et les difficultés, ont été discutés, notamment par Charles Benfredj, historiographe d'Henri Frenay[83].

La mise au point de Daniel Cordier est complétée par un observateur privilégié : Jacques Baumel, membre de Combat et secrétaire général des MUR. Il confirme n'avoir « jamais constaté chez Moulin la moindre tendance à privilégier la Résistance communiste ». Bien au contraire, Jean Moulin refusait régulièrement de verser des fonds aux Francs-tireurs et partisans (FTP), et il s'opposait à leur « stratégie d'insurrection prématurée ». Selon Baumel, « Moulin avait fait entrer les communistes au CNR pour qu'ils soutiennent de Gaulle contre Giraud »[84].

La journaliste Ghislaine Ottenheimer affirme que Jean Moulin aurait été franc-maçon[85], mais aucun historien n'a pu le confirmer. Les ouvrages d'historiens comme André Combres confirment que son père, Antoine-Émile Moulin, l'était mais le dictionnaire de référence de Daniel Ligou, affirme que l'appartenance de Jean Moulin est une « légende tenace », ce dernier n'ayant jamais été reçu dans un ordre maçonnique[86],[87]. Inversement, le nom de Jean Moulin figure bien dans le dictionnaire des francs-maçons français[88].

Jean Moulin et les ordonnances allemandes contre les juifs

Lors d'un colloque présidé par Daniel Cordier en 1999, Yves Bernard a révélé que les Archives nationales contiennent la preuve que des listes de juifs ont été constituées en Eure-et-Loir alors que Jean Moulin était encore préfet. Cette révélation explosive étant restée peu connue, l'historien Gérard Leray a entrepris de la préciser et de la contextualiser[89].

Le 9 novembre 1940, le cabinet du préfet adresse au Feldkommandant Ebmeier trois listes de 120 personnes (dont huit considérées à tort comme juives), ainsi que les listes d'entreprises juives, en application des ordonnances allemandes des 27 septembre et 18 octobre 1940. L'opération a été coordonnée par le commissaire Lautier, chargé des renseignements généraux. La liste qui recense les juifs de l'arrondissement de Dreux a été signée par le sous-préfet Maurice Viollette, nommé à ce poste par Jean Moulin. Celui-ci était toujours en poste à Chartres, quelques jours après sa révocation, et en attente de son successeur. Sa signature n'apparaît pas sur la lettre d'envoi, car il s'agit d'une copie pelure, mais elle a été tapée par sa secrétaire personnelle, et on ne peut l'attribuer au secrétaire général de la préfecture.

Les listes sont incomplètes et fautives, mais elles serviront de base aux persécutions futures. Sur les 112 juifs recensés, 55 seront déportés et tués à Auschwitz. Gérard Leray rappelle que les préfets étaient tenus d'obéir aux autorités d'occupation, et que personne en 1940 « ne se doute de l'exploitation ultérieure de ces listes à des fins génocidaires ». Il estime que Jean Moulin, préfet exemplaire et bientôt résistant, doit être néanmoins considéré comme « le responsable de la fabrication du dossier juif transmis aux Allemands »[90].

Vie privée

En , sa demande en mariage à Jeannette Auran, rencontrée en 1920, est rejetée par le père de celle-ci. Son mariage avec Marguerite Cerruti, célébré le , s'achève par un divorce, prononcé le .

Jean Moulin enchaîne les amours, jusqu'à son arrestation en . Sa liaison avec Marie-Gilberte Riedlinger (« Madame Lloyd »), à partir de 1937 et jusqu'à leur rupture en , semble avoir beaucoup compté pour lui[91]. Il noue simultanément des relations amoureuses avec l'artiste Antoinette Sachs (de 1936 à 1943[92]), égérie de Paul Géraldy ou encore, avec Colette Pons[93] (Colette Jacques), en 1942, laquelle tient la galerie de peintures Romanin à Nice[91] qui sert de couverture à Jean Moulin.

La sexualité de Jean Moulin est sujette à controverse[9]. En 2003, le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes supervisé par Didier Eribon évoque « l'éventuelle homosexualité ou bisexualité d'un grand résistant, comme Jean Moulin », supposant par ailleurs les prédispositions des homosexuels de l'époque à entrer en résistance, au motif que ceux-ci auraient déjà l'expérience de la clandestinité dans leur vie privée. Dans Jean Moulin, l'ultime mystère, Pierre Péan et Laurent Ducastel consacrent un chapitre à ce sujet, « L'était-il ? », évoquant « un séducteur, goûtant des plaisirs charnels avec des filles, éventuellement avec des garçons », pour noter que « les voix officielles de la Libération s'efforceront toujours de nier la présence d'homosexuels dans la Résistance, image qui fut longtemps peu conforme à l'idée que la France avait de ses héros » ; les auteurs n'apportent néanmoins aucune conclusion à leur questionnement. A contrario, Jean-Paul Sartre observa, dans un article de 1949[94], les supposées prédispositions des milieux homosexuels parisiens à la collaboration[95],[96]. Les Allemands auraient fait pression sur Jean Moulin, lors de son arrestation à Chartres, le , en lui déclarant « Comme nous connaissons maintenant votre amour pour les nègres (…) nous avons pensé vous faire plaisir en vous permettant de coucher avec l'un d'eux »[97]. Cette déclaration et cette nuitée de prison interviennent alors que les Allemands torturent Jean Moulin afin qu'il impute à des tirailleurs sénégalais des crimes que ceux-ci n'ont pas commis[98]. L'historien Thomas Rabino, dans L'autre Jean Moulin (2013) ne recense que trois liaisons féminines au cours de sa vie, dont celle avec Marguerite Cerruti, son épouse entre 1926 et 1928.

Le musée Jean-Moulin affirme que le résistant était « un homme à femmes, séducteur avec ça - un vrai tombeur ». Le secrétaire de Jean Moulin, le résistant Daniel Cordier, interrogé sur le livre de Pierre Péan, indique ne pas avoir lu le chapitre sur la sexualité de Moulin et affirme que « c'était un homme à femmes »[9]. Cependant, les divers travaux historiques n'ont pas permis d'identifier les dizaines de conquêtes que son entourage lui avait attribuées après-guerre et il semble qu'à partir des années 1950 certaines de ses relations sentimentales avec des hommes, comme le poète Max Jacob, aient été volontairement effacées car considérées comme peu conformes à l'image du héros[73].

Décorations

Hommage à Jean Moulin à Saint-Andiol.
Ruban Décoration
Officier de la Légion d'honneur (décret du )
Compagnon de la Libération (décret du , sous le pseudonyme de caporal Mercier)
Médaille militaire
Croix de guerre 1939-1945 avec palme (décret du )
Chevalier du Mérite agricole
Médaille interalliée 1914-1918, dite « Médaille de la Victoire »
Médaille commémorative de la guerre 1914-1918
Médaille commémorative des services volontaires dans la France libre (médaille FFL)
Médaille commémorative de la guerre 1939-1945 avec barrettes « France » et « Libération »
Médaille d’or de l'Éducation physique
Médaille d'argent de l'Assistance publique
Médaille d'argent des Assurances sociales
Médaille d'argent de la Prévoyance sociale
Chevalier de la Couronne d'Italie (Italie, 1926)
Ordre de la Couronne yougoslave (en) (royaume de Yougoslavie)
Ordre du Jade brillant (Chine, 1938)

Ouvrage

  • Premier combat, journal posthume de Jean Moulin, préface du général de Gaulle, publié aux éditions de Minuit en 1947. Ce journal, récit des événements qui se sont déroulés à Chartres du au mois de , a été écrit par Jean Moulin à Saint-Andiol après sa révocation par le gouvernement de Vichy le  ; il y relate notamment l’épisode tragique des 17-, lorsqu’il refuse, sous les coups, de signer un document accusant à tort les tirailleurs sénégalais de massacres sur les populations civiles, et tente de se suicider pour défendre leur honneur[99] :

« Pendant sept heures j'ai été mis à la torture physiquement et mentalement. Je sais qu'aujourd'hui je suis allé jusqu'à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer. (…)
Et pourtant, (…) je ne peux pas être complice de cette monstrueuse machination. (…) Je ne peux pas sanctionner cet outrage à l'Armée Française et me déshonorer moi-même. (…)
Je sais que le seul être humain qui pourrait encore me demander des comptes, ma mère, (…) me pardonnera lorsqu'elle saura que j'ai fait cela pour que des soldats français ne puissent pas être traités de criminels et pour qu'elle n'ait pas, elle, à rougir de son fils. »

Filmographie

Cinéma

Télévision

Musées consacrés à Jean Moulin

Expositions

Georges Mandel caricaturé par Romanin.

Pour le 70e anniversaire de la disparition de Jean Moulin, l’exposition « Redécouvrir Jean Moulin, collections inédites (1899-1943) » s'est tenue jusqu’au au musée de la Libération de Paris - musée du Général Leclerc - musée Jean-Moulin à Paris. Celle-ci a présenté également des documents inédits, à la suite du legs de l’une de ses petites cousines[103].

À l'occasion de la commémoration du 120e anniversaire de sa naissance, une exposition du musée des Beaux Arts de Chartres est organisée jusqu'au . Elle permet de découvrir le parcours artistique (dessins et caricatures) de Jean Moulin. Ces dessins sont signés Romanin, un pseudonyme qu'il conservera jusqu'à son engagement dans la Résistance[104].

Cette exposition présente des dessins patriotiques, publiés dès 1915 dans la revue La Baïonnette mais aussi des caricatures illustrant de manière humoristique l'actualité et sa vision personnelle de la société des années 1920 et 1930.

Ces dessins furent également exposés au 5e salon de la caricature à l'hôtel du Donjon à la Cité de Carcassonne en mai 2019[105].

Le musée des Beaux-Arts de Quimper expose en permanence des dessins, gravures et souvenirs divers relatifs au séjour de Jean Moulin en Bretagne comme sous-préfet de Châteaulin de 1930 à 1933. Ils ont été légués par Laure Moulin. D'autres éléments sont venus se rajouter dont la Piété, unique céramique réalisée par Jean Moulin et son dessin préparatoire.

Notes et références

Notes

  1. Voir le facsimilé de l'ordre de mission signé par le général de Gaulle[35].
  2. Ce monument reproduit une photographie de Jean Moulin, adossé à un mur, vêtu à la mode du moment d'un pardessus, emmitouflé dans un cache-nez de laine et portant un chapeau de feutre rabattu, prise mi-février 1940
  3. Dans ses mémoires (de Bénouville 2001), Bénouville a affirmé ne pas avoir été au courant, mais Hardy déclare sur l'honneur l'en avoir informé (Noguères 1985). Bénouville l'a confirmé peu avant sa mort.
  4. Interprétant le rôle de Jean Moulin.

Références

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  6. Zamponi, Bouveret et Allary 1999, p. 11.
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  10. Jean-Claude Richard, « Notes et informations : Jean Moulin, une année d'études et de célébration [1] », Études héraultaises, Montpellier, s.n., nos 28-29, 1997-1998, p. 2 / 42 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
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  12. Centre inter régional de développement de l'occitan, « Jean Moulin et la langue d'oc : une sélection de documents conservés au CIRDÒC », Occitanica, (lire en ligne, consulté le ).
  13. Registre Matricule no 993, recrutement de Béziers, classe 1919, Archives départementales de l'Hérault, 1 R 1328 p. 319-325.
  14. Robert Taussat 2001, p. 25.
  15. Zamponi, Bouveret et Allary 1999, p. 14.
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  17. Dessins et aquarelles de Jean Moulin, présentés par Jacques Lugand, Montpellier, Presses du Languedoc, 1993, à l'occasion de l'exposition Jean Moulin, peintre et dessinateur au Musée des beaux-arts de Béziers, qui possède la collection d'art de Jean Moulin, donnée à sa ville natale par sa sœur Laure Moulin en 1975 ; rééd. Paris, Éditions de Paris, 2005 (ISBN 2-84621-068-3).
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  35. Zamponi, Bouveret et Allary 1999, p. 104-105.
  36. Ibidem.
  37. François Bédarida, Jean-Pierre Azéma (sous la dir. de), Daniel Cordier, ibidem. .
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  83. Cf. son ouvrage Henri Frenay, la mémoire volée éd. Dualpha, p. 60 et ss.
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Voir aussi

Bibliographie

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  • Jean Sagnes et Bernard Salques (dir.), Autour de la figure de Jean Moulin, héros et résistances, éditions du Mont, 2015.
  • Marguerite Storck-Cerruty, J'étais la femme de Jean Moulin, Paris, Régine Deforges, 1977 (ISBN 2-901980-74-0).
  • Robert Taussat, Jean Moulin : la constance et l'honneur de la République, Rodez, Fil d'Ariane, (ISBN 2-912470-26-9)
  • Bénédicte Vergez-Chaignon, Jean Moulin, l'affranchi, Paris, Flammarion, , 416 p. (ISBN 978-2-08-139572-5, lire en ligne).
  • Francis Zamponi, Nelly Bouveret et Daniel Allary, Jean Moulin : mémoires d'un homme sans voix, Paris, Éditions du Chêne, , 144 p. (ISBN 2-84277-240-7). 

Articles connexes

Liens externes

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