Jacques Lacan

Jacques Lacan, né le à Paris 3e et mort le à Paris 6e, est un psychiatre et psychanalyste français.

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Jacques Lacan
Fonction
Président
Société psychanalytique de Paris
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
Jacques Marie Émile Lacan
Nationalité
Formation
Activité
Fratrie
Marc-François Lacan (d)
Conjoints
Enfants
Judith Miller
Sibylle Lacan (d)
Caroline Roger-Lacan (d)
Parentèle
Autres informations
A travaillé pour
Domaine
clinique du déclenchement du délire, fondements structuralistes de la psychanalyse.
Arme
Mouvement
Maîtres
Dir. de thèse
Influencé par
Œuvres principales
1932 : De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité,
1966 : Écrits,
1953-1980 Séminaire[note 1].
Signature

Après des études de médecine, il s'oriente vers la psychiatrie et passe sa thèse de doctorat en 1932. Tout en commençant une psychanalyse qui dure six ans et demi avec Rudolph Loewenstein en se soldant par un échec et la mésentente qui s'ensuit, il intègre la Société psychanalytique de Paris (SPP) en 1934 et en est élu membre titulaire en 1938.

C'est après la Seconde Guerre mondiale que son enseignement de la psychanalyse prend de l'importance. Son évolution théorique  du retour à Freud à l'opposition à certains courants psychanalytiques tels que l’ego-psychology  accompagne une scission au sein de la Société psychanalytique de Paris en 1953, début des séminaires qu'il donne jusqu'en 1979 successivement à l'hôpital Sainte-Anne, à l'École normale supérieure puis à la Sorbonne.

Jacques Lacan a donné naissance à un courant psychanalytique, le lacanisme, qui s'est développé en de nombreuses associations de psychanalystes se réclamant de son enseignement. Figure contestée, Lacan aura marqué le paysage intellectuel français et international, tant par les disciples qu'il a suscités que par les rejets qu'il a provoqués.

Biographie

Enfance, adolescence, études (1901-1923)

Jacques Lacan[note 2] naît le [6], sous le nom complet de Jacques Marie Émile Lacan [6], dans une famille de la moyenne bourgeoisie qui prospère durant la phase de grand progrès technique et économique qu'est la Belle Époque : son grand-père paternel, Émile Lacan, était un représentant de commerce qui avait épousé Marie Julie Dessaux, sœur de son patron[7], vinaigrier à Orléans[8],[note 3].

Si sa mère, Émilie Baudry (1876-1948), fille de rentier enrichi dans l'écachage d'or, au style austère, fut élevée dans la religion[6], son père, Alfred (1873-1960), se consacre surtout à son travail de responsable financier des Vinaigres Dessaux à Paris[6]. Le toit d'un appartement parisien est partagé avec les grands-parents, ce qui entraîne une rupture entre père et grand-père[9]. Lacan, élevé en compagnie d'une gouvernante, garde ensuite de cette enfance un souvenir effroyable, aussi bien à l'égard des conflits domestiques que de la religiosité, incarnés dans le mépris qu'il portait à son grand-père[10].

Des quatre enfants, Lacan est l'aîné : son puîné, Raymond, naît en 1902 mais meurt deux ans plus tard d'une hépatite[9], peu de temps après la naissance de sa sœur Madeleine Marie Emmanuelle, en 1903[9],[note 4] que suit un frère cadet de sept ans, Marc Marie, né en 1908, connu sous le nom de François, lorsqu'il se fait moine bénédictin[12],[note 5].

Collège Stanislas, rue Notre-Dame-des-Champs.

Jacques Lacan fait sa scolarité au collège Stanislas[13],[14], établissement d'enseignement privé catholique[note 6], où il suit brillamment[16] à partir de 1907 le cursus primaire puis secondaire malgré une complexion maladive et de nombreuses absences[17],[note 7]. À quatorze ans, il découvre l'Éthique de Spinoza[17] qui a ensuite une grande influence sur lui.

Vers la fin de la Grande Guerre, Lacan rompt avec les idées de son milieu[18],[14]. En classe de philosophie, durant l'année 1917-1918, il reçoit avec un intérêt vif l'enseignement de Jean Baruzi (avec lequel il noue plus tard des liens d’amitié)[17],[19], auteur d'une thèse sur Jean de la Croix, ayant une conception de l'étude des religions orientée vers l’étude scientifique, historique et comparative[note 8]. Baruzi s'intéresse également à Leibniz, Saint Paul et Angelus Silesius. Saint Paul est une référence importante dans la réflexion ultérieure de Lacan sur le désir et la loi[21] et Angelus Silesius est cité lui aussi à plusieurs reprises[22].

Son père, rentré du front, n'est plus le même, le père aimant de son enfance. Le fils renonce à la foi[23], fréquente la librairie d’Adrienne Monnier[note 9] et y découvre Dada[18],[14] et le premier surréalisme avec la revue Littérature[18]. Il rencontre André Breton et Philippe Soupault[18] qui expérimentent l'écriture automatique notamment dans Les Champs magnétiques. C'est contre l'avis de son père qu'il commence des études de médecine à la rentrée 1919.

1923: Lacan entend parler de Freud.

Étudiant dans le quartier latin des années folles, il assiste à la première lecture d'Ulysse de James Joyce à la librairie Shakespeare & Co.[18],[14], donnée par Sylvia Beach le . En 1923, il entend parler pour la première fois de Sigmund Freud[18]. La même année, il est exempté du service militaire du fait de sa faible constitution. Germaniste accompli, il lit Nietzsche en allemand et scandalise son ancien lycée et sa famille en proposant à son petit frère de lire pour la fête de la Saint Charlemagne de l'année 1925 l'éloge qu'il a rédigé de l'auteur de Par-delà le bien et le mal[24].

Incertitudes maurrassiennes (1923-1925)

Dès 1923, Lacan s'intéresse aux idées de Charles Maurras, sans pour autant adhérer au principe de l’antisémitisme[18]. En 1924, au terme de son externat, Jacques Lacan interrompt ses études de médecine et envisage de s'installer au Sénégal[25]. Introduit auprès de Maxime Weygand, c'est en monarchiste nouvellement converti qu'il se présente à Léon Daudet, ex-étudiant en médecine qui accompagna Sigmund Freud en 1886 au cours de Jean-Martin Charcot. Il sollicite avant son départ pour un appui, un rendez-vous avec Charles Maurras[25],[note 10], peut-être pour faire de la politique[36]. L'entrevue dure cinq minutes, suite de quoi il participe à des réunions de l’Action française[18],[29].

Selon Bertrand Ogilvie[note 11], la sociologie positiviste de Maurras, qui présente le sujet comme un produit de son milieu[37], partant de sa culture, a pu créer un malentendu avec une conception qu'Édouard Pichon pousse jusqu'à l'absurde d'un inconscient national. Le jeune Lacan s'inspire[38] pour sa part de la thèse de l'éthologue Jakob von Uexküll[39] sur le rôle déterminant de l'environnement non pas seulement sur l'évolution des espèces mais sur l'élaboration d'un langage. Il se montre en cela fidèle au projet spinozien d'une anthropologie déterministe[40], de ce déterminisme qui réduit l'illusion cartésienne du libre-arbitre[41] à l'inconscience de ses déterminations[42], en particulier de ses déterminations sociales. En cela, il préfigure[43] la conception de Claude Lévi-Strauss qui identifie le développement du psychisme individuel à un jeu dans la structure sociale à laquelle appartient cet individu[44].

Entrée dans la langue des fous (1926-1927)

1927: Lacan commence son internat à Sainte-Anne.

Le départ pour les colonies n'a finalement pas lieu et l'étudiant reprend son cursus à la faculté de médecine de Paris en neurologie, la spécialité psychiatrie n'existant pas à l'époque[réf. nécessaire].

Parce qu'il a perdu la foi pendant son adolescence et qu'il se sent une responsabilité d'aîné, il vit comme un échec personnel l'ordination sacerdotale de son frère à l'abbaye d'Hautecombe en [11]. Le [note 12], il fait sa première présentation de malade sous la direction du neurologue Théophile Alajouanine[note 13] à la Société neurologique de Paris[45],[46],[note 14].

Lacan réussit le concours qui lui permet de commencer en 1927 son internat dans le service « Clinique des maladies mentales et de l’encéphale », dirigé par Henri Claude, un des maîtres de Lacan[47] à Sainte-Anne. Lacan y reste jusqu'en 1931 [45]. Durant cette période, son intérêt se déplace de la neurologie à la psychiatrie[45].

Il s'initie à la linguistique structuraliste de Ferdinand de Saussure[48] [49] pour analyser un cas de psychose, dans lequel le délire s'exprime par une forme de langage écrit[50],[note 15]. Il présente ses conclusions le à la Société médico-psychologique où il défend l'idée que le déficit de la pensée des patients n'est pas antérieur mais consécutif à leurs hallucinations et qu'il arrive même que leurs délires, construits par négation (analgésie, hypocondrie, idée d'immortalité, mégalomanie, etc.), s'expriment avec force et vivacité dans un discours à la structure grammaticale singulière mais riche, notamment par des écrits plus ou moins poétiques, avant de conduire à la vésanie[51]. Ce qui lui est donné d'observer, ce sont en quelque sorte des cas Schreber in vivo, dans la ligne des troubles du langage étudiés par Jules Seglas[52].

École française des aliénistes (1928-1929)

À Sainte-Anne, l'interne Lacan est au cœur de l'école de la clinique des formes les plus inexplicables de la psychose, celles de la paranoïa délirante, telles que les y a décrites de la manière la plus fine jusqu'à quelques décennies plus tôt Valentin Magnan[53], et telles que continuent de les enseigner Henri Claude. Toutefois dans la très grande majorité des cas le patient reste traité en rebut et l'étiologie toujours attribuée à une supposée dégénérescence physique. Lacan bénéficie d'échanges de vues avec les aliénistes les plus brillants, du partage des cas les plus remarquables, et du soutien du cercle de recherche que constitue la revue L'Évolution psychiatrique[54] animé par Angelo Hesnard, René Laforgue, Henri Codet, Adrien Borel et Eugène Minkowski.

C'est auprès du chef du service de l'asile de Maison Blanche et ami[55] Marc Trénel[56], élève de Paul Sérieux et spécialiste de la psychiatrie légale[57], qu'il apprend la clinique des troubles du langage[58]. Le , il présente à la Société neurologique de Paris[59] un cas diagnostiqué comme étant de pithiatisme[60],[61] résistant à la « suggestion »[61] dont il diagnostique la nature psychonévrotique en l'absence de lésion organique[61].

Il exerce son année d'internat 1928-1929 à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police[45],[note 16] sous la direction de Gaëtan de Clérambault. Lacan dira que c'est auprès de l'inventeur de l'automatisme mental et de l'érotomanie qu'il a appris à observer les néologismes « idéogéniques » par lesquels Paul Guiraud caractérise les langues psychotiques[62] en dépit de son opposition au point de vue mécaniste et organiciste de Clérambault[63] et, selon Paul Bercherie, des jalousies sourcilleuses de celui ci[64]. Clérambault ne pardonnera pas à son élève d'être passé, dans sa thèse de doctorat, dans le camp adverse, celui d'Henri Claude et de la psychanalyse. Querelleur fameux, il l'accusera publiquement de plagiat au cours d'une séance de la Société médicopsychologique, ce à quoi le jeune docteur répondra avec un aplomb inouï. Il empêchera Jacques Lacan d'obtenir l'agrégation, qui reconnaitra pourtant en lui, - non sans une ingratitude provocatrice, comme à l'endroit des nombreux professeurs brillants dont il a reçu l'enseignement, et de Sigmund Freud lui-même[65] ni une douce ironie contre ceux qui se targuent d'une position supérieure -, son « seul maître en psychiatrie »[66]. Il qualifiera l'automatisme mental de Clérambault de « conception élémentaire »[51].

Relations triangulaires et surréalisme ou la folie faite art (1929-1930)

Παντα ῥει[67]
Choses que coule en vous la sueur ou la sève,
Formes, que vous naissiez de la forge ou du sang,
Votre torrent n’est pas plus dense que mon rêve,
Et si je ne vous bats d’un désir incessant,
Je traverse votre eau, je tombe vers la grève
Où m’attire le poids de mon démon pensant ;
Seul il heurte au sol dur sur quoi l’être s’élève,
Le mal aveugle et sourd, le dieu privé de sens.
Mais, sitôt que tout verbe a péri dans ma gorge,
Choses qui jaillissez du sang ou de la forge,
Nature –, je me perds au flux d’un élément :
Celui qui couve en moi, le même vous soulève,
Formes que coule en vous la sueur ou la sève,
C’est le feu qui me fait votre immortel amant.
Melancholiae Tibi Bellae[note 17]. Hardelot.
Sonnet de Jacques Lacan dans une phase surréaliste[note 18]
intitulé Hiatus irrationnalis et adressé à Ferdinand Alquié,
publié en 1933 aux côtés de Arp, Goll, Asturias et Queneau[68].

Pendant son internat, Lacan habite un modeste meublé, rue de la Pompe[note 19]. Il est l’amant à cette époque de Marie-Thérèse de Bergerot, de quinze ans son aînée, et, vers 1929, d'Olesia Sienkiewicz, deuxième femme de son futur ami Pierre Drieu la Rochelle, qui venait de la délaisser pour Victoria Ocampo[70]. La liaison avec Olesia dure jusqu'en 1933 et demeurera secrète[69]. Elle dactylographiera sa thèse[54] tandis que Marie-Thérèse en financera l’impression[69].

Selon Victoria Ocampo, il fréquente le cercle décadent de la comtesse Isabel Dato où il se lie avec Georges Bataille [réf. souhaitée], - qu'il ne suivra cependant pas dans le mouvement anti mussolinien du Cercle communiste démocratique -, et avec Pierre Drieu la Rochelle, - qui a quitté sa femme, Olesia Sienkiewicz, devenue maitresse de Lacan, en 1929 pour complaire à la jalouse Victoria Ocampo. (Celle-ci, de passage à Paris pour organiser une exposition Tagore, a promis à l'écrivain d'entrer au comité de rédaction de sa future revue Sur…).

En , la lecture de L'Âne pourri de Salvador Dalí[71] dans la revue Surréalisme au service de la révolution, lui permet, selon ses termes, de « rompre avec la doctrine des constitutions et de passer à une nouvelle appréhension du langage dans le domaine des psychoses »[72],[note 20] à travers une conception particulière de Dalí nommée la méthode paranoïaque-critique[72]. Lacan contacte le peintre et vient l'écouter dans sa chambre d'hôtel disserter sur des rapports entre création artistique et paranoïa qui permettraient de surpasser la passivité de l'écriture automatique. À partir de décembre, il retrouve au Cyrano de la place Blanche le directeur de la revue, André Breton, ancien infirmier psychiatrique sensible au rôle de suppléance joué par le délire et adepte de Freud qu'il est allé rencontrer à Vienne en 1922.

De l'école zurichoise du Burghölzli au concept de personnalité paranoïaque (1930-1931)

En août et , il accomplit, peut-être grâce à l'entremise d'Eugène Minkowski, un stage à la Polyclinique du Burghölzli, - qui en est le service de psychiatrie ambulatoire -, sous la direction de l'ex assistant de Carl Gustav Jung, et successeur d'Eugène Bleuler, Hans Maier (de)[55]. Il poursuit l'expérience de soins sans enfermement systématique de 1931 à 1933 à l’hôpital qu'Henri Rousselle a ouvert en 1922[74] dans les locaux du service des admissions et de l'infirmerie de l'hôpital Sainte-Anne. Établissement autonome dirigé par Édouard Toulouse, c'est le premier de ce type en France[74]. Avec son dispensaire et son service social[74], il préfigure, non sans insuffisances, la politique de secteur qui se mettra en place en 1960 à partir de l'impulsion donnée par Georges Daumezon.

C'est au cours de cet internat dans l'Hôpital Henri Rousselle[55], établissement le plus avancé de la recherche psychiatrique[55] à Sainte-Anne, qu'il obtient un diplôme de médecin légiste[55] et surtout qu'il peut faire l'observation de la genèse de la paranoïa et du développement du délire chez ses propres prises en charge. En suivant la voie de la phénoménologie prônée par Eugène Minkowski[75],[76],[note 21], il théorise l'une et l'autre en 1931 dans "Structures des psychoses paranoïaques"[77] « premier texte doctrinal »[78] dans lequel la paranoïa est perçue comme un effet de « structure » au sens phénoménologique et sous l’influence des vues de Clérambault[78]. Avec le chef de clinique Henri Ey, il applique la leçon de Hans Maier de rapporter les symptômes, au-delà de leur description détaillée, à la personnalité propre du patient[79], conception empruntée[80] à Karl Jaspers[81]. Pour faire valider sa formation, il se contraint à un discours conformiste sur l'hérédodégénérescence mais s'efforce d'y apporter toutes les nuances possibles[82].

C'est cependant dans le service voisin d'Henri Claude  qui défendait la psychanalyse en psychiatrie[note 22]   qu'il perfectionne sa clinique, en compagnie d'Henri Ey[83] et Pierre Mâle. C'est là que Georges Dumas, titulaire de la chaire en psychopathologie de la Sorbonne, opposé à Henri Claude et à la psychanalyse, et qui fut un maître pour Lacan[84], a fondé, selon Michel Caire, le célèbre Laboratoire de psychologie[74], lieu de tous les débats. C'est là que Georges Heuyer, successeur intérimaire d'Ernest Dupré en 1921, a introduit la psychanalyse dans l'institution hospitalière en confiant le poste de psychologue à Eugénie Sokolnicka. S'il est un tenant de l'hérédodégénérescence, Georges Heuyer est sensible à l'efficacité d'une écoute du patient, qu'il assimile à un soin psychologique, et reste ouvert à la psychanalyse, à condition que son exercice soit réservé de préférence à des femmes non médecins. Du côté du freudisme, à cette époque, ce ne sont que déchirements teintés de chauvinisme entre partisans et opposants de l'analyse profane, au spectacle duquel il assiste les 30 et avec son collègue Henri Ey lors de la 6e conférence des psychanalystes de langue française, et c'est parce qu'Henri Claude, en prenant ses fonctions en 1922, révoque Eugénie Sokolnicka au motif que la psychanalyse devrait être réservée aux médecins, que Georges Heuyer, qui a besoin d'une preuve médicale de l'efficacité de la psychanalyse, encourage l'interne Lacan à accomplir le saut épistémologique qui est de donner une étiologie psychanalytique au délire[54]. C'est ainsi que le , à la section féminine, lui est confié l'examen d'une érotomane criminelle, suivie par Joseph Lévy-Valensi[85] et Daniel Lagache, qui relève de sa spécialité, la médecine légale.

L’année 1931 est une année charnière pour Lacan; celle où il commence une synthèse, en partant de la paranoïa, de « trois domaines du savoir : la clinique psychiatrique, la doctrine freudienne et le deuxième surréalisme »[86]. Cela le conduit, en s’appuyant sur une « brillante connaissance de la philosophie »[86],[note 23] et après le « cas Aimée », à rédiger sa thèse qui « fera de lui un chef d'école »[86].

Aimée ou la psychanalyse sortant du puits de la médecine (1932)

Le « cas Aimée » lui donne les arguments de sa thèse de médecine, intitulée De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité[87],[88]. Soutenue en devant un jury présidé par Henri Claude[69]. Elle lui confère le doctorat en médecine, spécialité médecine légale, ainsi que le titre d'assistant des hôpitaux.

Cette thèse est, selon Robert Misrahi[89] « placée sous le signe »[90] et l'« esprit »[90] de Spinoza, cité à la première page et en fin de l’ouvrage, notamment à travers la notion de parallélisme, réponse au problème de l’union de l'âme et du corps[note 24] et au problème posé dans la psychiatrie par les théories de l’hérédité-dégénérescence[91]. Selon Bertrand Ogilvie, Jacques Lacan, par un renversement d'une morale qui fustige l'illusion[92] réitère la leçon spinozienne qu'au contraire la vie psychique de chacun est d'agir pour la satisfaction de ses différences[93], et invite à reconnaître que chez le paranoïaque « les illusions n’ont pas moins de consistance et d’intérêt que les vérités »[94], c'est-à-dire qu'il a une personnalité propre, éventuellement productive et poétique, et non pas seulement altérée. Il s'agit de substituer à la tentative de dialogue normatif une analyse des mécanismes de ces illusions au sein du monologue du psychotique pris au sérieux[95]. Cette conception « situe la paranoïa — et la folie en général —, non plus comme un phénomène déficitaire relevant d'une anomalie, mais comme une différence ou une discordance par rapport à une personnalité normale »[96],[note 25]. Lacan rapproche le concept spinozien de discordance avec celui de clivage du moi de Freud[97],[note 26].

La définition et la causalité de la paranoïa selon Jacques Lacan s'inscrivent dans une perspective dynamique et non plus organique, remettant en cause le fait que la psychose pourrait avoir une origine unique, et avançant au contraire l'idée de détermination multiple[98],[note 27]. Ainsi « Lacan inaugurait, à la manière de Freud, un mode de pensée topique, qui se retrouvera tout au long de son trajet intellectuel »[99]. Lacan, à travers le cas Aimée quittait la psychiatrie pour la psychanalyse et « c'est à Freud et à ses disciples qu'il empruntait des concepts cliniques […] il abordait le continent de la folie à partir de la révolution freudienne et du primat de l'inconscient »[100],[note 28]. Dès lors, la paranoïa, et la psychose, étaient-elles comprises comme étant curables et Lacan invitait la psychiatrie à quitter tout organicisme et à abandonner la position répressive pour adopter les principes de tolérance, de prophylaxie et de cure psychanalytique[103].

Si sa Thèse occupe une place particulière dans l’itinéraire de Lacan dans la mesure où « elle est encore une œuvre de psychiatrie tout en étant déjà un texte de psychanalytique »[90], il s'y démarque de la première génération psychiatrico-psychanalytique française qui avait intégré le freudisme à une refonte de la théorie de l’hérédité-dégénérescence, en y faisant montre au contraire de son refus « d'intégrer la psychanalyse à la psychiatrie » et de sa conviction de la « nécessité absolue de faire primer l’inconscient freudien dans toute élaboration nosographique issue de la psychiatre »[104] ; ajoutant à cela une valorisation des conceptions philosophiques et psychiatriques allemandes au détriment des conceptions françaises, dites « latines »[note 29], Lacan rejoignait les surréalistes[105]. En cela « était-il le premier penseur de la deuxième génération psychiatrico-psychanalytique à opérer une synthèse entre les deux grandes voies de pénétration du freudisme »[105] en France, entre la voie psychiatrique et la voie surréaliste. Lacan regretta de n’avoir pu mener une cure psychanalytique avec Aimée comme il le note dans sa thèse[note 30],[90].

Sa thèse resta cependant ignorée par la première génération de psychanalystes français[106],[note 31]. En psychiatrie, c'est son camarade Henri Ey qui rédigera un compte-rendu élogieux dans L'Encéphale[106]. Ce sont des personnalités du milieu artistique et littéraire[106], Paul Nizan, René Crevel[note 32], Salvador Dalí[note 33], Jean Bernier[note 34]  tous traversés à des degrés divers par un engagement marxiste[106] , qui concoururent à faire de Lacan un « maître à penser pour le futur mouvement psychanalytique français »[106] en tant que « chantre d'une doctrine matérialiste dans le domaine des maladies de l’âme »[106]. Cela conduira Lacan à dépasser sa théorie de la personnalité d’influence spinoziste et la phénoménologie psychiatrique pour se tourner vers un matérialisme hégéliano-marxiste, ce qui le mènera quatre ans plus tard à s'initier à Phénoménologie de l'esprit et à la pensée heideggerienne à travers Kojève et Koyré[107],[note 35].

Lacan traduit en 1932 pour la Revue française de psychanalyse un texte de Freud paru en 1922 et intitulé « De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité » dont le thème se rapportait à une nouvelle conception de la paranoïa[73],[note 36].

1933-1934 : début d'analyse, mariage, S.P.P.

Représentation de Jacques Lacan, date inconnue.

Lacan a entamé en juin, quelques mois avant la soutenance de sa thèse (« probablement en 1933 après sa thèse », selon Jacques Sédat[110], « depuis l'automne 1932 » selon Éric Laurent[111]), une psychanalyse auprès de Rudolph Loewenstein[90], médecin zurichois installé à Paris en 1926 et amant de Marie Bonaparte (« depuis le 2 novembre 1926 après avoir analysé son fils l’année précédente », à l'écart donc, en tant que séducteur, des « règles strictes qu’il promeut » par ailleurs[111]). Celle-ci, unique analysante de Sigmund Freud en France avec Eugénie Sokolnicka, est la mécène de la Société psychanalytique de Paris (SPP)[112].

Selon Élisabeth Roudinesco et Michel Plon, l'analyse de Jacques Lacan avec Rudolph Loewenstein durera « six ans et demi » et se soldera « par un échec et une mésentente durable entre les deux hommes »[113]. D'après Éric Laurent, avec Rudolph Loewenstein comme analyste, Lacan a été confronté durant six ans à un « standard rigide et idéalisant » impliquant une fin de la cure où l'« on doit pouvoir interpréter le transfert en principe sans reste ». Or, « la compétition entre Loewenstein et Lacan se marque nettement dans le transfert »[111]. Au bout de six ans d’analyse, Loewenstein, l'analyste, veut contraindre « son analysant à poursuivre alors que tout est consommé entre les deux partenaires. Bien que l’analyse de Lacan ait duré plus longtemps que la moyenne dans ces années-là, il veut le forcer à rester après son élection [à la S.P.P.] en 1937-1938 » (les titulaires, alors au nombre d’une dizaine, constituaient une élite à l’époque)[111]. Pour Lacan, « ce forçage absurde n’avait pas de sens » : il « retiendra de cette analyse que le transfert négatif est un élément décisif de la pratique psychanalytique : “le nœud inaugural du drame analytique” »[111].

En , Lacan est invité par son professeur Hans Maier (de) à écouter Ferdinand de Saussure lors de la conférence annuelle de la Société suisse de psychiatrie[79]. Quelques semaines plus tard, Man Ray et Paul Éluard[114] le sollicitent au sujet du procès des sœurs Papin. Celui-ci a pris une tournure politique, les partisans de l'ordre espérant une condamnation à mort[115]. L'assassinat de la patronne des deux domestiques est vu comme l'expression d'une révolte de classe[109]. Jacques Lacan intervient[116] pour appuyer son collègue le Docteur Benjamin-Joseph Logre et les journalistes Jean et Jérôme Tharaud dans leur contestation des trois experts[117] qui ont conclu à la responsabilité pénale. Le cas lui est l'occasion de reprendre la conception des crimes passionnels formulée dans sa thèse à savoir que le passage à l'acte est la satisfaction d'un désir, une auto punition[118], résolvant un délire soudain. Il exclut de cette façon la préméditation. Il précise que l'énucléation à vif répond à une image, à réaliser donc, de soi au miroir de l'autre comme le corps morcelé qu'est le sujet hors construction œdipienne. Il s'appuiera sur le cas Papin pour réviser sa théorie des psychoses jusqu'en 1950[119]. Ce cas marque également pour Lacan le passage théorique de Spinoza à Hegel[120].

Le , à Paris 17e, il épouse l'artiste-peintre Marie-Louise Blondin [121], dite Malou, qu'il connaissait depuis longtemps, celle-ci étant la sœur de son ami Sylvain Blondin, chirurgien des hôpitaux[122]. En , Lacan obtient par concours le titre de médecin-chef des asiles[123], mais déjà engagé dans l’exercice de la psychanalyse, il renonce à la carrière hospitalière et obtient son admission comme membre adhérent de la Société psychanalytique de Paris, le [124],[note 37]. C'est à cette période qu'il entame la cure de son premier analysant[note 38], Georges Bernier, rencontré quelques années auparavant, et dont les premières séances se déroulent rue de la Pompe avant de se poursuivre boulevard Malesherbes[125].

Lacan devient au cours de cette période l’un des théoriciens importants de la Société psychanalytique de Paris et il entretient un dialogue particulièrement nourri avec Rudolph Loewenstein, Paul Schiff, Charles Odier et Edouard Pichon[126].

Danse intellectuelle sur un volcan (1935-1937)

Lacan s'initie à Phénoménologie de l'esprit de Hegel à travers Kojève.

En , Marie Bonaparte lui présente Michel Leiris. Les années trente sont celles de sa participation, commencée en 1933, au séminaire qu'Alexandre Kojève donne sur la phénoménologie hégélienne à l'École pratique des hautes études[127]. C'est un lieu d'échange entre des personnalités très différentes Raymond Aron, Jean Hyppolite, Georges Bataille… Le cours, transcrit par Raymond Queneau, se prolonge au café d’Harcourt place de la Sorbonne autour de Maurice Merleau-Ponty, Henry Corbin, Alexandre Kojève, Georges Bataille, Pierre Klossowski ou encore Alexandre Koyré[128]. Pour Lacan, c'est un moment de formation intellectuelle important[129]. Dans le discours de Kojève, il retrouve formulé en système ce que la clinique lui donne à observer, la conception spinozienne[130] du désir humain comme désir de désir, la dimension, primordiale pour Lacan comme pour Kojève (les deux hommes ont eu un projet d’ouvrage commun), de la reconnaissance, voire l'affirmation de la nature imaginaire du moi[131],[132].

En 1936, il emménage au 97 boulevard Malesherbes, où il poursuit ses consultations de psychanalyse. C'est là qu'en la présence silencieuse du psychiatre se tiennent les comités de rédaction de L'Acéphale. Antithèse de la revue « scientifique » L'Encéphale, la revue prolonge dans le champ littéraire le combat politique du mouvement Contre attaque[133],[134], dissous en à la suite de la rupture entre Georges Bataille et André Breton. Ce mouvement, soutenu par la revue La Critique sociale dans son opposition au stalinisme, était lui-même une dissidence fondée le en réponse à l'exclusion du Parti communiste des surréalistes, accusés par Ilya Ehrenbourg de « pédérastie », et en réaction au suicide de René Crevel.

À partir de 1936, Lacan s'intéresse au stade du miroir et en s'aidant d'Henri Wallon, d’Alexandre Kojève et Alexandre Koyré, invente une théorie du sujet qui se fonde sur Freud tout en lui donnant un nouveau contenu[135]. Cela fera l’objet d’une communication  dont le texte est perdu mais connu pour l'avoir livré avant à la SPP[136],[137]  à l’occasion des sa première participation en août au 14e congrès de l’Association psychanalytique internationale à Marienbad mais Ernest Jones, président en exercice, ne le laisse pas terminer au-delà des dix minutes imparties[138],[139]. C'est la première fois qu'on ose ne pas se contenter de paraphraser Sigmund Freud, se référer à des savants non psychanalystes, et proposer un concept original[140]. La réception en est, selon Lacan, plutôt chaleureuse[141],[139].

Le nait son premier enfant, Caroline[142],[note 39] (1937-1973), future mère de Fabrice Roger-Lacan. « Malou » aura deux autres enfants de lui, Thibault (1939-?), et Sibylle (1940-2013).

Ruptures (1938-1940).

En 1938, l’Encyclopédie française dirigée par Lucien Febvre fait, par l’intermédiaire d'Henri Wallon[note 40], appel à Jacques Lacan[144] pour rédiger l'article « Famille »[145], mais la reconnaissance par ses pairs, en fait Rudolph Loewenstein, de sa pratique de psychanalyste tarde, alors que son confrère Daniel Lagache, universitaire agrégé, est titularisé par la SPP dès 1937. De simple membre, il n'en devient lui-même membre titulaire que le après un exposé clinique illustrant la rénovation de la psychiatrie par la psychanalyse, en l'occurrence le concept d'impulsion et plus généralement la pratique de l'écoute des patients[146]. À la recherche d'une structure préœdipienne correspondant à un stade du moi morcelé, il en appelle à cette occasion à une notion de Réel, lieu d'une « pulsion à l'état pur » se manifestant par une « béatitude passive » face à l'horreur[réf. nécessaire]. Loewenstein a conditionné son soutien à cette candidature, qu'il continue sa psychanalyse avec lui. Mais après son élection, Lacan ne revient pas, et Loewenstein y voit une « tricherie » par rapport à ce qu'ils avaient convenu : « On ne triche pas sur un point aussi important impunément (ceci entre nous). », confiera-t-il à Marie Bonaparte en 1953[note 41].

Le , il reçoit à Sainte-Anne Antonin Artaud[147], qui avait été arrêté à Dublin pour scandale sur la voie publique. La prise en charge dure onze mois, jusqu'au transfert du patient à Ville Évrard dans l'ancien service de son professeur Marc Trénel[note 42]. Il diagnostique une graphorrhée[148], c'est-à-dire, contrairement à l'avis de son collègue Nodet, un salut possible dans l'écriture à l'instar de James Joyce.

Au cours de cette année 1939, l'année de la mort de Sigmund Freud, il noue une relation avec l'actrice de cinéma Sylvia Bataille. Elle est mariée à son ami Georges Bataille mais une vie de fête, de débauche et d'alcool les ont séparés depuis 1933[149]. Il est mobilisé dans le service neuropsychiatrique de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, puis affecté début 1940 à l'hôpital militaire de Pau[150].

Le , la veille de l'entrée des Allemands dans Paris, sa consœur Sophie Morgenstern se suicide. Jacques Lacan, démobilisé des services de santé des armées, rejoint en famille Marseille[151], principale ville de la Zone libre, où il retrouve André Malraux, à court d'argent. Pour abriter Sylvia Bataille enceinte, il sous-loue la villa La Souco que ce dernier loue à Roquebrune, près de Nice. Celle-ci s'étant imprudemment déclarée comme « juive » au commissariat de Cagnes, Lacan s'introduit subrepticement dans le bureau où est rangé son dossier et le dérobe sur une étagère. Il retrouve la sœur de Sylvia Bataille et le beau-frère de celle-ci, André Masson, à Montredon chez la Comtesse Pastré, dont l'association Pour que vive l'esprit cache des artistes, telle Youra Guller, menacés par les lois contre les juifs, et sert d'antenne légale au réseau du Centre américain de secours.

Silence de la guerre (1941-1945)

En 1941, alors qu'ils sont chacun encore mariés de leur côté, nait leur enfant, Judith Bataille, à laquelle la loi confère le nom du mari de sa mère[152]. Le choix du prénom d'une héroïne juive et castratrice est en soi un programme et dans la circonstance un défi. Jacques et Marie-Louise divorcent le . Sylvia Bataille demande alors le divorce qui sera prononcé après guerre[153].

Plaque au 5, rue de Lille.

À court d'argent, incapable de donner le secours financier qu'André Malraux lui a réclamé pour faire libérer son frère, il revient à Paris prendre son poste dans le service désormais dirigé par Henri Ey à Sainte-Anne. Les patients, arrivant déjà dénutris, meurent de faim et de froid en nombre[154]. Placée comme gouvernante chez le père de Jacques Lacan, Aimée échappe à ce sort. Lui-même est hébergé par Denise Rollin et Georges Bataille, 3 rue de Lille, où s'organisent des réunions entre intellectuels.

Une partie de l'hôpital est réquisitionnée par l'occupant pour servir d'hôpital militaire, une autre abrite le réseau communiste Front national sanitaire, que dirige Lucien Bonnafé[74]. Le trafic de faux certificats médicaux y fleurit. Jacques Lacan y propose son aide à un jeune confrère, Jacques Biézin[155], menacé par les lois antisémites, mais il reste en retrait de l'engagement de ses collègues résistants, Julian de Ajuriaguerra, Jean Talairach, Pierre Deniker, René Suttel, Henri Cénac-Thaly, qui est arrêté en 1943, le capitaine Delcourt, Virginie Olivier alias Charlotte, qui meurt à Ravensbrück.

Durant toute l'Occupation, il s'interdit de publier ou d'enseigner[156] mais, comme John Leuba et Françoise Dolto, poursuit en privé une activité de psychanalyste. Au début de l’année 1941 il emménage dans un appartement de l'immeuble voisin, 5 rue de Lille[157]. Parmi ses patients, René Diatkine, un camarade de Julian de Ajuriaguerra. C'est durant ces années de silence qu'il s'initie[158] auprès de Paul Demiéville au chinois, langue « idéographique » qui interroge moins la vérité du signifiant que le rapport du signifié au signe[réf. nécessaire].

Le , il est avec entre autres Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Raymond Queneau, Pierre Reverdy, Dora Maar, qui interprète le rôle de l'Angoisse, Brassaï, Valentine Hugo, Zanie Campan, Maria Casarès du cercle qui assiste à la lecture que fait Albert Camus dans l'appartement de Michel Leiris du Diable attrapé par la queue écrit par Pablo Picasso[note 43],[159].

Dora Maar, jalouse de la jeune Françoise Gilot, n'éprouve alors plus que du dépit pour Picasso. Quelques mois plus tard, elle sombre dans la rancune et est hospitalisée sous contrainte à Sainte-Anne en à la suite d'un scandale sur la voie publique. Le médecin chef Jean Delay[160] laisse prescrire la sismothérapie expérimentale[161] mise en place en 1943. Celui-ci, opposé aux méthodes médicales nazies et promoteur d'une « sismothérapie respectueuse de la personne et attentive à la douleur »[162], a été nommé par intérim à la suite de l'exclusion professionnelle consécutive à la loi du de son ami Joseph Lévy-Valensi, déporté en dépit de ses efforts pour le protéger. Détenteur du seul traitement efficace dans les cas de délires aigus, il est désormais distant avec la psychanalyse de ses maîtres qui faisait la spécificité du service au temps d'Henri Claude. Alerté par André Breton, le praticien hospitalier Lacan échoue le à évacuer la patiente en urgence sous un faux certificat[163] mais finit par obtenir la signature de Jean Delay, après l'avoir giflé, autorisant le transfert[164] vers l'hôpital psychiatrique de Bonneval que dirige son ami Henri Ey depuis 1938. Il la soignera lui-même et réussira à l'orienter vers une vie vivable, dans la religion et l'art[réf. nécessaire].

Il reçoit un premier récit détaillé des camps de la femme de Georges Duthuit, qui en est revenue[165].

De la Société psychanalytique de Paris à la Société française de psychanalyse (1946-1953).

Après guerre, peu de temps après les grandes controverses, Jacques Lacan se rapproche de Melanie Klein, voyant en elle un parallèle à ses propres démarches[166]. Il la convainc ainsi de venir  malgré la présence d’Anna Freud  à Bonneval en 1947 au congrès de psychiatrie présidé par Henri Ey, faisant appel à leur progressisme opposé aux tendances conservatrices de la psychanalyse[167]. En , il présente au XIe Congrès des psychanalystes de langue française à Bruxelles un rapport consacré à l'agressivité, il reprend ses recherches précédentes en intégrant des thèses kleiniennes, notamment autour de la position paranoïde dans la constitution du moi, la rejoignant sur les questions du transfert et de la formation psychanalytique[168].

À l'été 1949, se tient à Zurich le XVIe congrès de l'Association psychanalytique international : les Américains y dominaient désormais et les Français y étaient représentés par la première génération avec Marie Bonaparte et John Leuba, et la deuxième avec Daniel Lagache, Sacha Nacht et Jacques Lacan dont l'intervention était intitulée « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je »[169]. Si Melanie Klein, présente, ne s'intéressait pas aux recherches lacaniennes, elle s'attachait à l'appui politique qu'il pouvait lui apporter et accepta sa proposition de traduire son ouvrage La psychanalyse des enfants, mais Lacan ne mena pas à bien ce projet et perdit son soutien et celui de ses partisans[170].

En 1949, paraissent Les Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss qui fut un évènement pour Lacan et toute une génération[171],[note 44]. La psychanalyse et l’anthropologie avaient, dès leur naissance au tournant du XXe siècle, échangé autour des questions d'universalité de l'œdipe, de prohibition de l’inceste, et de Totem et Tabou, dialogue qui aboutissait à une impasse[173]. Lévi-Strauss allait renouveler la discussion : l’ethnologue avait été lecteur de Freud, et ses recherches mettaient en évidence que l'interdit de l’inceste, ne devait plus être compris comme une « peur » fondatrice de la « famille » mais comme une fonction symbolique organisatrice des structures de parenté[174]. Lacan y trouva la « solution théorique à une refonte d'ensemble de la théorie freudienne » : l'inconscient échappe au biologique et devient structure langagière, l’œdipe un universel non plus naturel mais symbolique où, pour reprendre les mots de Lévi-Strauss, « le signifiant précède et détermine le signifié »[175],[176]. Par ailleurs, Lacan et Lévi-Strauss devinrent amis[177].

1951: achat d'une maison à Guitrancourt

En 1951, Lacan devient propriétaire d'une maison de campagne à Guitrancourt, dans les Yvelines, « La Prévôté », où il travaille le dimanche, organise des réceptions, reçoit aussi des patients. Il y constituera une bibliothèque plus importante encore que rue de Lille, témoignant de son érudition et de sa « quête passionnée des éditions rares ou originales ». Il collectionne des objets d'art et acquerra en 1955 de L'Origine du monde de Gustave Courbet qu'il fera dissimuler derrière un nouveau cache, le panneau de bois d'origine ayant été perdu[178]. Jacques Lacan était collectionneur d'œuvres de Balthus, Renoir, Masson, Derain, Monet, Giacometti, de dessins de Picasso, de statuettes alexandrines et gréco-romaines et de 5 147 livres[179].

Le mouvement psychanalytique français commençait à son tour par être traversé par des tensions comparables à celles de l'IPA. D'après Élisabeth Roudinesco, Lacan faisait tout son possible pour éviter une scission, et était entre 1949 et 1953 aussi bien hostile au rejet du modèle médical au profit de la psychologie par les psychanalystes les plus libéraux menés par Daniel Lagache qu'opposé aux conservateurs arc-boutés à des théories médicales figées qui suivaient Sacha Nacht[180]. Lacan se présente d'abord à titre provisoire comme président de la SPP le mais son élection définitive est confirmée le en même temps que les nouveaux statuts de la SPP qui marquent une victoire de Sacha Nacht[181]. Pour Élisabeth Roudinesco, Lacan joue dans cette bataille un rôle de médiateur en tant que participation à la direction mais de bouc-émissaire en tant que didacticien[182]. Ce sont les psychanalystes en formation, opposés à Nacht, qui vont entraîner Lacan dans la scission et à suivre Lagache[183].

Le , après un conflit d'un an et en opposition à Sacha Nacht et ses partisans, Daniel Lagache, Juliette Favez-Boutonnier, Françoise Dolto et Blanche Reverchon-Jouve démissionnent de la SPP[184] pour fonder une nouvelle société, dont les statuts ont été déposés par Lagache quelques jours plus tôt, la Société française de psychanalyse[185]. Si Lacan ne fait pas partie des membres fondateurs, il est « démissionné » de ses fonctions de président de la SPP et quitte par la même occasion définitivement celle-ci le même jour pour les suivre[185].

À la différence de ce qui se passait au Royaume-Uni, le conflit entre Nacht et Lagache ne tournait pas autour de la compréhension de Freud mais portait sur la formation des psychanalystes et opposait l'autoritarisme médical du premier à un libéralisme universitaire du second[184]. Si Lacan était porteur d'une nouvelle approche théorique, il n'avait pas encore acquis de position dominante dans le paysage psychanalytique français[184]. Il se trouva cependant attaqué pour le temps de séance des cures qu'il menait, l’une des seules règles intangibles et ciment des diverses tendances de l'IPA[180]. Lacan n'effectuait pas encore des séances dites courtes mais plutôt de durée variable, choisissant d’arrêter la séance sur certains mots signifiants appui d’un désir inconscient et de la relation transférentielle[180]. Il s'était exprimé à trois reprises à ce sujet devant les membres de la SPP, en , , et sans publier pour autant ces conférences[186]. En , Lacan menait une analyse didactique avec un tiers des élèves de la SFP, ce qui représentait une quinzaine de personnes environ[187]. Il occupe dès lors la première place dans une société, la SPF, qu'il n'avait pourtant pas fondée[188].

Le discours de Rome ou le retour à Freud (1953)

Jacques Lacan.

À partir de l’année 1953 Lacan élabore ce que Roudinesco nomme « la relève orthodoxe du freudisme »[189]. D'abord avec un exposé fait le au Collège philosophie sur « Le mythe individuel du névrosé »[note 45], révision structurale du complexe d’Œdipe[190], où apparaît pour la première fois l'expression « nom-du-père », puis en juillet une conférence sur « Le symbolique, l'imaginaire et le réel », exposition d'une nouvelle topique[191] dans laquelle il fait explicitement référence à un retour aux textes freudiens[note 46] et surtout dans le cadre du « discours de Rome » conférence donnée dans la capitale italienne le et intitulée « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », avec la mise en place d’une théorie structurale dans la cure[189]. Lacan poursuivra ce travail dans les deux séminaires des années 1953-1954, Écrits techniques de Freud et 1954-1955 Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse et le conclura dans une conférence prononcée à Vienne en sous le titre explicite, « La chose freudienne ou le sens du retour à Freud »[189].

Selon Joël Dor, l'enseignement de Jacques Lacan débute sur ce mot d'ordre du retour à Freud. Au tout début de son Introduction à la lecture de Lacan, Dor rappelle d'emblée pour un tel « retour à Freud » — comme il le souligne — « l'incidence inaugurale » que représente « le “Discours de Rome” (26/27-9-1953) qui prend toute sa portée à la faveur de la première scission du mouvement psychanalytique français en 1953 »[192]. Dans le « Discours de Rome » en effet, Lacan engage la communauté psychanalytique à se fonder précisément sur le texte freudien plutôt que sur ce qui a pu être désigné comme l’orthodoxie de l'Association psychanalytique internationale. Le ton y est donné : « La lecture de Freud est préférable à celle de M. Fenichel » lit-on dans Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse [193]. Lacan y justifie indirectement la notion de séance à durée variable ou courte : le psychanalyste ne peut jamais prévoir le temps nécessaire à un sujet pour comprendre et il fait partie d'un ordre symbolique ; il faut éviter donc au sujet de s'appuyer sur une durée fixe qui pourrait lui servir d'échappatoire[194].

La volonté d'un retour à Freud suppose que Lacan considérait qu'il existait une lacune en France, donc un besoin de retourner à l'œuvre de Freud, de la retrouver, et qu'il mettait implicitement en cause la qualité des traductions, de l'enseignement des psychanalystes et des théoriciens de la psychanalyse de son époque. Lacan s'opposa dès ses débuts à ce qu'il considérait comme une dérive de la psychanalyse, telle l'ego-psychology[195], représentée par Anna Freud et Rudolph Loewenstein[note 47],[196].

Outre les différends théoriques avec ses pairs, ce qui caractérise l'attitude de Lacan dans son « retour à Freud », c'est une lecture qui ne cherche pas à rester dans l'orthodoxie freudienne, mais plutôt à dégager ce qu'il y a de plus révolutionnaire et cohérent chez Freud, ainsi que le formule Jean-Michel Rabaté[197] : « de même qu'Althusser se demandait comment lire Marx de façon “symptomatique”, en séparant ce qui est authentiquement “marxiste” de ce qui est purement “hégélien” dans ses écrits, Lacan se demande où et comment repérer les textes où Freud se montre authentiquement “freudien”. »

Lacan laisse ainsi de côté les spéculations de Freud touchant à la biologie[note 48]. Selon Élisabeth Roudinesco et Michel Plon, Lacan a donné une armature philosophique à l'œuvre freudienne permettant de la sortir de son ancrage biologique sans verser pour autant dans le spiritualisme[113].

C'est dans cette manière de concevoir son retour à Freud que l'on peut saisir la pensée lacanienne, qui retourne chaque fois à Freud, qui s'en réclame, et qui la renouvelle à l’aide d'avancées dans le champ du savoir de son temps — la linguistique par exemple n'avait pas, du temps de Freud, la solidité qu'elle a acquise après-guerre[note 49].

Heidegger, le logos et la rencontre sans lendemain

Concomitamment à la refonte appuyée sur Lévi-Strauss, Lacan s'intéresse également à Martin Heidegger[199]. Il avait pris en analyse Jean Beaufret en 1951 qui allait lui permettre de relire l’œuvre du philosophe et de le rencontrer[200]. Lacan trouvait notamment un parallèle entre la notion heideggerienne de « quête de la vérité » et celle freudienne de « dévoilement du désir », lui permettant d'interroger ce qui se dit dans l’erreur, le mensonge et l’ambiguïté[201]. Il rencontre Heidegger en 1955 à Fribourg et celui-ci l’autorise à traduire l'un de ses articles intitulé « Logos » pour le premier numéro d'une revue de la SFP La psychanalyse, texte qui l’intéresse sous l'angle du langage et du signifiant[202]. Lors de la venue d'Heidegger pour le colloque de Cerisy la même année, il l'héberge[203]. Lacan n'avait jamais adhéré à l’ontologie du philosophe et quatre ans plus tard toute référence à ses concepts disparaissait, sa lecture ne s'était effectuée qu'à travers le structuralisme de Lévi-Strauss[204] mais il chercha tout de même une reconnaissance de son œuvre de la part de Heidegger qu'il n'obtint jamais[205].

L'amitié avec Françoise Dolto, entre échange professionnel et intellectuel

Lacan s'est également rapproché de Françoise Dolto[206]. Ils s'étaient croisés à la SPP en 1936, elle s'était montrée fortement intéressée par son exposé sur le « stade du miroir »[note 50] puis leur rencontre s'effectua en 1938, à la suite de sa lecture de l'article sur la famille[207]. C'est après-guerre qu’ils devinrent amis[208] et au moment de la première scission en 1953, ils se retrouvèrent dans le même camp bien qu'à partir de positions différentes[209]. Par la suite Françoise Dolto contribuera à « donner au mouvement lacanien son essor prestigieux » comme après le « discours de Rome » où elle prit la parole après Lacan[209] : elle adhérait à la proposition de Lacan d’un inconscient structuré tel un langage tout en restant attachée dans une certaine mesure au biologisme freudien tandis que Lacan lui savait gré de comprendre le rôle du psychanalyste comme entendant sous les mots de l'adulte névrosé, le langage de l’enfance[209]. Leur relation professionnelle et amicale se perpétua  doublée d’un échange épistolaire continu  tout au long de l'existence de Lacan[210].

Rupture avec l'IPA

Dans le cadre de la SFP, Jacques Lacan et Françoise Dolto développèrent leur enseignement tout en devenant le centre des débats tant à l'API qu'en France, bien qu'à des titres différents[211]. Dolto, dans sa pratique et son style, correspondait en tout point aux règles en vigueur dans les instances internationales, mais ne fut pas pour autant réintégrée [212]. Avec les séances courtes, ou le sens qu'il donnait à la cure ou à la didactique, insistant sur la vérité et le désir, Lacan se trouvait en position de nette rupture avec l'API, sa bureaucratisation ou son entreprise de normalisation, retrouvant la geste freudienne des origines[213]. Dès lors, cherche-t-il tout autant à se montrer orthodoxe qu'à reconstituer un cercle restreint dans la lignée du cercle viennois[213] ; et c'est dans cette même perspective que peut être inscrite sa relecture, dans le séminaire de 1960-1961 consacré au transfert, du Banquet de Platon, mettant Socrate dans la position du psychanalyste comme maître qui enseigne à ses disciples une vérité inaccessible à la conscience, le transfert étant tout autant une forme d'amour qu'un artifice qui fait prendre un objet pour un autre[214]. Lacan pourtant espérait encore une reconnaissance par l'API, et le monde psychanalytique anglo-saxon, au nom justement de sa relève orthodoxe du freudisme et également parce que les psychanalystes de sa génération se refusaient à tout chauvinisme[215] mais en 1963-64, la rupture se fit définitive[216].

Séminaire à Saint-Anne, entretien à l’Express, colloque à Royaumont : structure et nom-du-père

De 1953 à 1963 Lacan tient chaque semaine son séminaire, tout autant laboratoire de recherche que banquet socratique, avec dialogues riches entre le maître, désormais cinquantenaire, et des psychanalystes, des philosophes et des écrivains[217].

En 1960, Henri Ey organise un colloque à l'abbaye Saint-Florentin de Bonneval sur le thème de l'inconscient : il y réunit des psychanalystes de la jeune génération, des philosophes comme Merleau-Ponty et Jean Hyppolite[218]. « Pour Lacan, Bonneval est un enjeu de taille », écrit Élisabeth Roudinesco: « Il s'agit, face à l'IPA, de faire la démonstration en France, que le freudisme revu et corrigé par la linguistique a le statut d'une science à part entière »[219]. Presque tous les débats se rapporteront à la théorie lacanienne de l'inconscient, désormais formée dans ses grandes lignes et résumée par le mot d'ordre lacanien par excellence : « l'inconscient est structuré comme un langage ». Mais, explique É. Roudinesco, si « tous les philosophes rendent hommage aux travaux de Freud », « tous n'acceptent pas la refonte de Lacan », et l'historienne de citer la déclaration de Merleau-Ponty: « J'éprouve un malaise à voir la catégorie du langage prendre toute la place »[220]. Jean Laplanche a quant à lui entrepris de critiquer sur le plan métapsychologique cette conception linguistique de l'inconscient dans le rapport coécrit avec Serge Leclaire et soumis à discussion du Colloque de Bonneval[221].
Dès cette époque du début des années 1960, la psychanalyse en France semble en effet se résumer à ce positionnement : être avec ou contre Lacan. Celui-ci a acquis une position centrale et cristallise les débats.

Le père de Jacques Lacan est mort le .

Les douze ans qui s'écouleront entre la fondation de la SFP et sa dissolution en 1965 sont une période de grands changements dans le paysage psychanalytique français. D'un point de vue institutionnel, il s'agira de dix ans de négociations pour que les psychanalystes ayant fait scission en 1953 soient reconnus par l'Association psychanalytique internationale. L'enquête de l'IPA se concentrera progressivement sur Lacan et ses séances dites courtes – en fait à l'époque de durée variable, cette durée étant toujours inférieure à la norme de l'IPA. L'enquête conclura en 1963 que la SFP pourra recevoir l'agrément si elle retire à Lacan (et à Françoise Dolto) son titre de didacticien, c'est-à-dire qu'elle lui enlève le droit de former des psychanalystes et de continuer son enseignement. Cela provoqua l'éclatement de la société fondée par Daniel Lagache, tous ceux ne pratiquant pas et ne soutenant pas la technique de Lacan se voyant condamnés à l'exclusion des instances internationales s'ils continuent à protéger Lacan. Ainsi naîtra en 1964 l'Association psychanalytique de France, sous les auspices de Daniel Lagache, Jean-Bertrand Pontalis, Didier Anzieu, Jean Laplanche et Juliette Favez-Boutonier. Pour les lacaniens, il s'agira de l'École française de psychanalyse, bientôt renommée École freudienne de Paris.

Lacan, chef d'école (1964-1979)

En 1964, sa fille Judith Bataille obtient enfin le changement de son nom en Judith Lacan.

À soixante-trois ans, Lacan fonde sa propre « école ». Les statuts de cette École freudienne de Paris suppriment toute hiérarchie. « L'École » s'est vue reprocher a posteriori et paradoxalement de placer le fondateur en position de maître. Les organes décisionnels sont effectivement composés par lui et n'outrepasseront jamais ses avis.

Le phénoménologiste François Wahl organise l'édition des Écrits, qui sont publiés au Seuil en 1966. L'ouvrage donne son assise structuraliste à la psychanalyse et, coup de génie de François Wahl[222], change en un éclair le paysage intellectuel. Lacan fait dorénavant partie des ténors du structuralisme et son nom est cité à côté de ceux de Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes, Michel Foucault. Cette célébrité tardive provoque un afflux important de jeunes à l'École freudienne de Paris, en même temps que, dérive inévitable, le phénomène de groupie. On imite son dandysme daliesque, son style de discours à la scansion si singulière, mais, témoignage de l'efficacité de la parole provocatrice, on le moque aussi. La langue française s'en trouve marquée irréversiblement et des tournures lacaniennes finiront inconsciemment par entrer dans le langage des journalistes puis de la langue courante. Non sans un certain malentendu, Mai 1968 accentue le phénomène de mode Lacan, lequel se voit assailli d'admirateurs maoïstes, lui qui vote De Gaulle[223].

Lacan introduit en 1969 une procédure de passage au [être] « psychanalyste » dite « la passe », qui se révèlera à la fois être un facteur de dissension et un échec selon l'aveu même de Lacan. Facteur de dissension parce que l'adoption de cette procédure provoque immédiatement une scission : plusieurs membres historiques dont François Perrier, Piera Aulagnier et Jean-Paul Valabrega démissionnent de l'École freudienne de Paris et fondent le Quatrième Groupe.

En 1972-1973 (Séminaire XX Encore), avec le néologisme qu'il crée de « lalangue », Lacan est amené « à se déprendre du structuralisme de son temps qui finalement “intégrerait le langage à la sémiologie”, mais il s’éloigne aussi bien de sa propre valorisation de la syntaxe. Il crée une linguisterie, terme qui évoque menuiserie… ou piraterie », écrit Jean-Claude Milner dans Le périple structural[224]. D'après Rose-Paule Vinciguerra citant Milner dans L'amour de la langue, « lalangue, figuration directe de la langue maternelle, est “en toute langue, le registre [de ce] qui la voue à l’équivoque” »[224]. Lacan délaissera finalement sa définition de l’inconscient structuré comme un langage qu’il renverra, comme le dit Jacques-Alain Miller, à une « pratique rhétoricienne »[224]. 

Peu après la fondation de son école, Lacan opère un nouveau tournant dans son enseignement : à la suite des interventions du tout jeune Jacques-Alain Miller, il se tourne vers Frege, Gödel et la topologie. Son but est d'assurer que la réception de son enseignement ne soit pas sujette aux dérives qui ont marqué selon lui la réception de Freud. Les nœuds, les formes impossibles, les mathèmes vont désormais envahir les séminaires du maître et les rendre encore plus difficiles d'accès.

Après avoir fait se joindre temporairement la psychanalyse et les sciences sociales quant à leur sort ainsi suturé, c'est l'échappée vers les sciences exactes : « Seule demeurait, unique aliment de l'ermite au désert, la mathématique », relève l'historien et épistémologue François Dosse[225]. Il peut aussi bien demander à une personne de venir trois fois pour trois séances éclairs de quelques minutes dans la même journée et la garder une heure entière la semaine d'après. Il pouvait se lever, manger, écrire pendant les séances. Il reçoit à son cabinet tout le jour durant un flot ininterrompu de personnes. Les choses en sont à ce point que souvent on ne prend même pas rendez-vous.

Profitant de la réforme des universités consécutive aux événements de , Lacan, d'abord assisté de Serge Leclaire, tente de s'implanter dans l'université par le biais d'un département de psychanalyse à Vincennes (Paris VIII). Malgré la proposition du président du département, il n'y occupera aucun poste, mais le département sera une sorte de bastion lacanien. Cette dernière expérience cristallisera les oppositions déjà existantes entre différents courants au sein de l'École freudienne de Paris. La reprise en main du département au nom de Lacan par Jacques-Alain Miller en 1974, marquée par le remplacement de plusieurs chargés de cours, provoqua une vive polémique à l'intérieur et à l'extérieur de la faculté, chez les psychanalystes et les non-psychanalystes[226].

Quelques années plus tard, le suicide d'une psychanalyste ayant échoué à la procédure de la « passe » sert de révélateur aux dissensions d'une école dont beaucoup doutent qu'elle soit encore dirigée par le maître et non par son entourage proche[227]. Lacan se montre de plus en plus fatigué et délègue de plus en plus la gestion des affaires à son gendre Jacques-Alain Miller. Il décide de dissoudre l'École freudienne de Paris[note 51]. Après quelques années de crise perpétuelle, l'École freudienne de Paris, seule école fondée par Lacan, est dissoute le .

Dissolution (1980-1981)

Souffrant d'un cancer du colon dont il a tardé à se faire opérer, déjà très diminué depuis un accident de voiture survenu en 1978, Lacan réduit sans les cesser ses activités à partir de . Le , il choisit l'hôtel Pullmann Saint-Jacques pour prononcer d'une voix claire et forte, debout pendant plus d'une heure devant un parterre de huit cents personnes, une conférence intitulée Dissolution, qui est un programme de refondation de la « Cause freudienne ». Sa dernière intervention publique est donnée lors de la conférence internationale qui se tient à Caracas du 12 au .

Le , il est très affecté par le passage à l'acte de Louis Althusser, qu'il se reproche de ne pas avoir pris en charge lui-même. Durant ses derniers mois, il se remet d'une aphasie, conséquence d'un AVC, au domicile de sa fille Judith Lacan et de son gendre Jacques-Alain Miller[228], où la chambre de son petit-fils, polytechnicien, est disponible. Alors que son carnet de rendez-vous est rempli[229], il meurt le à la clinique Hartmann à Neuilly-sur-Seine, d'une insuffisance rénale[153] consécutive à l'ablation en urgence de sa tumeur : « Je suis obstiné… Je disparais. »[179] (Décédé en son domicile, 74, rue d'Assas le à vingt-trois heures quarante-cinq minutes dans le 6e arrondissement de Paris, selon son acte de décès, no 262.)

Le , son frère Marc-François, bénédictin, lui rend hommage en l'église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou[230] : « Jacques Lacan a parlé. » Le corps est enterré par toute la famille, réunie physiquement mais pas moralement, selon Sibylle Lacan[231], dans le cimetière de Guitrancourt, près de La Prévoté, sa maison de campagne[228]. Le gendre est l'exécuteur testamentaire du défunt, chargé d'éditer et de faire publier les vingt volumes posthumes des vingt-cinq du Séminaire[note 52].

La forclusion du Nom-du-père

Selon Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, Lacan se réclame de l'emploi que fait Freud dans certains textes du terme de Verwerfung (rejet) en relation avec la psychose et propose « comme équivalent français le terme de forclusion »[232]. Il introduit le terme de forclusion pour la première fois le 4 juillet 1956 dans la dernière séance de son séminaire sur les psychoses consacré à la lecture du commentaire freudien sur la paranoïa du juriste Daniel Paul Schreber[233],[234] : « ce qui est forclos du symbolique fait retour dans le réel », en échappant au refoulement (propre à la névrose) et en pouvant produire une hallucination à certains moments significatifs pour le sujet (cf. supra, cas des sœurs Papin). À la suite de Freud, Lacan note que ce processus n'est pas un mécanisme projectif, une sorte de ressort à retard dont la cause du déclenchement serait bien difficile à expliquer. Il note comme lui qu' « il n'était pas exact de dire que sentiment réprimé au dedans fut projeté au dehors »[234]. Il précise ce que Freud n'a pas plus développé, qu'il s'agit non d'un refoulement qui finirait par éclater mais de l'absence d'acquisition d'un signifiant nécessaire à la communication métaphorique, celle qui permet de partager des significations. C'est la rencontre avec une image de ce signifiant non symbolisé, « sans nom », comme une horreur, qui déclenche le délire, une image d'autorité paternelle par exemple ou quoi que ce soit qui appelle le sujet à être désigné dans sa position de sujet.

La définition donnée par Jacques Lacan de ce qu'il entend sous le terme de forclusion est la suivante : « défaut qui donne à la psychose sa condition essentielle, avec la structure qui la sépare de la névrose » (Dune question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, 1957)[235]. Dans le cadre de sa théorie du « symbolique », Lacan forge le concept de forclusion en s'appuyant notamment sur le texte freudien de L'homme aux loups[232]. D'après le Vocabulaire de la psychanalyse, la notion lacanienne de forclusion désigne le « rejet primordial d'un “signifiant” fondamental (par exemple: le phallus en tant que signifiant du complexe de castration) hors de l'univers symbolique du sujet »[232].

Pour Jean-François de Sauverzac, la théorie de la forclusion du Nom-du-Père, qui forme le pivot de la doctrine lacanienne, trouve son fondement dans le drame de la paternité de Lacan qui lui fit reconnaître seulement très tardivement sa fille Judith, laquelle porta longtemps le nom du premier mari de sa femme Sylvia Bataille[236].

« L'inconscient est structuré comme un langage »

Primat du signifiant pour Lacan qui inverse l'ordre du signe linguistique selon Saussure.

« L'inconscient est structuré comme un langage »[237] n'est pas un postulat mais une hypothèse nouvelle à l'épreuve d'une clinique héritée des écoles de psychiatrie française et allemande et de la pratique psychanalytique, hypothèse déjà sous-jacente sinon explicite dans l'étude que fait Sigmund Freud des lapsus et des jeux de mot par exemple. C'est une phrase centrale dans l'élaboration théorique de Lacan qui donne une assez bonne idée générale de sa pensée. Elle rappelle, en utilisant le concept d'inconscient, que Lacan s'inscrit dans le courant psychanalytique. Elle indique, avec le terme de structure, l'approche particulière de Lacan, qui est l'approche structuraliste[238]. Enfin, elle spécifie son apport, qui consiste principalement dans l'importance donnée à la nature du langage dans l'explication du fonctionnement psychique[239].

Pour expliciter la chose, il prend appui sur les trois œuvres majeures de Freud, L'Interprétation des rêves, Psychopathologie de la vie quotidienne et Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient. C'est ainsi qu'il effectue un « retour à Freud ».

Une interview qu'il accorde à Madeleine Chapsal, pour L'Express, en 1957[240], révèle la portée de ce qu'il avance :

« Voyez les hiéroglyphes égyptiens : tant qu'on a cherché quel était le sens direct des vautours, des poulets, des bonshommes debout, assis, ou s'agitant, l'écriture est demeurée indéchiffrable. C'est qu'à lui tout seul le petit signe “vautour” ne veut rien dire ; il ne trouve sa valeur signifiante que pris dans l'ensemble du système auquel il appartient. Eh bien ! les phénomènes auxquels nous avons affaire dans l'analyse sont de cet ordre-là, ils sont d'un ordre langagier.
Le psychanalyste n'est pas un explorateur de continents inconnus ou de grands fonds, c'est un linguiste : il apprend à déchiffrer l'écriture qui est là, sous ses yeux, offerte au regard de tous. Mais qui demeure indéchiffrable tant qu'on n'en connaît pas les lois, la clé. »

Lacan se livre alors à un plaidoyer pour démontrer en quoi toute l'œuvre freudienne peut et doit être lue avec l'appui de ces références linguistiques et que, pour ces raisons mêmes, ce qui fait l'efficience de la psychanalyse est lié au fait de parler, qu'elle est une expérience de parole.

Il propose la métaphore d'un hamac :

« l'homme qui naît à l'existence a d'abord affaire au langage ; c'est une donnée. Il y est même pris dès avant sa naissance, n'a-t-il pas un état civil ? Oui, l'enfant à naître est déjà, de bout en bout, cerné dans ce hamac de langage qui le reçoit et en même temps l'emprisonne. »

Au Colloque de Bonneval de l'automne 1960, dans le rapport présenté avec Serge Leclaire et soumis à discussion « L'inconscient, une étude psychanalytique », Jean Laplanche a critiqué la théorie linguistique de l'inconscient de Lacan selon laquelle « l'inconscient est structuré comme un langage »[241].

Langue et structure : métaphore et métonymie.

La métaphore dans la chaîne des signifiants.

Freud avait désigné l'inconscient comme concept explicatif majeur du fonctionnement psychique. Il avait tâché de l'étudier à partir de ses manifestations, qu'elles soient normales[242] ou pathologiques[243]. L'abandon des méthodes d'hypnose et de suggestion a marqué un tournant dans la pensée freudienne, tournant qui a commencé à permettre à la psychanalyse de sortir de la simple technique de suggestion et de psychothérapie. À partir de ce moment, Freud n'interprète plus la maladie psychique qu'en fonction de la parole du patient.

Lacan[244] souligne que, dans les travaux de Freud, l'inconscient se laissait saisir de deux manières : lorsque le locuteur ou le rêveur commet un déplacement (dire un mot à la place d'un autre) ou lorsqu'il produit une condensation (le mot d'esprit « famillionaire », « famillionär » en allemand, analysé par Freud[245]). Il affirme que le déplacement et la condensation, en l'espèce de la métonymie et de la métaphore, sont les deux seuls moyens de produire de la signification si l'on se réfère aux analyses de Jakobson[246], et qu'ainsi l'inconscient a un fonctionnement comparable à celui du langage.

Lacan a donc voulu renouveler la réception de Freud en opérant une lecture structuraliste de son œuvre, utilisant pour cela les outils de la linguistique. Ces outils, il ne fera pas que les réutiliser, il les remaniera pour servir son propos. C'est à la fois cette volonté de renouvellement de la lecture de Freud et le remaniement des outils théoriques de la linguistique qui valent à Lacan son succès auprès des uns et son rejet par les autres[247].

Le nouage du réel, du symbolique et de l'imaginaire ou le concept de structure

Lacan fait apparaître dans la psychanalyse, la perspective structuraliste : en opérant une lecture rigoureuse de Freud[note 53], il montre que Freud est déjà dans une perspective structurale, à partir de la deuxième topique[248].

Lacan a affirmé à plusieurs reprises devoir sa conception de la structure à Claude Lévi-Strauss[note 54], qui a été lui-même un lecteur attentif de Freud[249],[250]. Et la thèse de Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, est l'ouvrage écrit par un contemporain le plus cité dans les séminaires de Lacan[251].

Nœud borroméen illustrant l'intrication du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire au sens lacanien[note 55].

Une définition illustrant le sens que Lévi-Strauss donne au terme de structure est :

« Les institutions humaines elles aussi sont des structures dont le tout, c'est-à-dire le principe régulateur, peut être donné avant les parties, c'est-à-dire cet ensemble complexe constitué par la terminologie de l'institution, ses conséquences et ses implications, les coutumes par lesquelles elle s'exprime et les croyances auxquelles elle donne lieu. Ce principe régulateur peut posséder une valeur rationnelle sans être conçu rationnellement ; il peut s'exprimer de façon arbitraire, sans pour autant être privé de signification[252]. »

De cette définition ressort que le « tout » de la structure en est le principe régulateur, indépendant des parties. La structure chez Lévi-Strauss est structure logique, c'est un ensemble de relations entre des termes interchangeables.

Ce principe régulateur, la structure du sujet, Lacan en voit l'efficacité dans le déclenchement d'un délire (cf. supra cas Papin) ou, dans le cas de la schizophrénie décrite par Philippe Chaslin[253], l'inefficience. Il l'observe plus généralement dans toute manifestation de l'inconscient par une certaine intrication propre à chacun à des moments précis de l'histoire du sujet de trois fonctions : le Réel, le Symbolique, l'Imaginaire (ce qu'il appellera R.S.I).

Lacan s'entoure à partir de 1972 de plusieurs jeunes mathématiciens[note 56],[note 57]. Aidé par Jean-Michel Vappereau[256],[257], ex-étudiant en mathématiques[note 58], il représente cette intrication des trois fonctions par le nœud borroméen (qu'il appellera aussi le nœud-bo). Il suffit que n'importe lequel parmi les trois anneaux soit rompu pour que tous les anneaux soient indépendants. Ce « tripode R.S.I », comme il sera appelé par Lacan lui-même, marque à la fois l'aboutissement de ses recherches antérieures, dans une perspective topologique, en même temps qu'un nouveau paradigme[258],[259]. C'est un des concepts clef de son œuvre.

Le parlêtre ou de l'importance du langage

La Bataille de San Romano, Paolo Uccello. Dans le séminaire V, Lacan s'appuie sur cette scène de bataille et sur une histoire drôle pour illustrer une des particularités du symbolique : la généricité (ou la stéréotypie).

Élève et analysant de Jacques Lacan, Charles Melman affirme dans un ouvrage de témoignages : « En premier lieu, il s'est agi pour Lacan de souligner ce que Freud n'a pas pu ou n'a pas osé faire, à savoir montrer combien le langage est ce qui ordonne notre rapport au monde aussi bien qu'à nous-mêmes »[260].

La pensée de Lacan pourrait être définie comme une théorie structurale du désir et du langage. Théorie du désir, parce que l'essence de l'être humain est le désir pour le lecteur de Spinoza que sera Lacan toute sa vie. Théorie du langage, parce que c'est par celui-ci que l'on a accès à l'inconscient. Théorie structurale, car le langage répond à des logiques internes que les recherches linguistiques du XXe siècle ont réussi à subsumer sous le terme de structure[note 59]. Or, la structure, pour Lacan, est à la fois ce qui produit et ce qui est la réalité de l'inconscient. En effet, l'inconscient n'est pas un stock de non-conscient, il correspond à un ensemble de processus actifs[note 60].

Ainsi, lorsque Lacan avance la théorie des trois ordres (Réel, Symbolique, Imaginaire), il le fait en s'appuyant sur ses réflexions concernant la nature, non du langage en général, mais de l'humain, l'être parlant (qu'il surnommera le parlêtre). Le fait d'apprendre le langage nous coupe en quelque sorte du monde : ainsi naît le Réel, ce qui ne peut être nommé, ce qui ne relève pas du langage. Le langage dans lequel nous naissons contient des valeurs, il organise le monde dans lequel nous vivrons avant même que nous soyons nés[note 61], cette dimension organisatrice et de distribution de la valeur, Lacan l'appelle le symbolique. Quant à l'imaginaire, il désigne la manière dont le sujet se perçoit par le truchement des autres et du langage dans lequel il se trouve.

La théorie lacanienne est à ce point tournée vers le langage qu'on peut en déceler l'importance dès son travail sur le stade du miroir. Lorsque l'enfant fait la différence entre l'image et la représentation, qui est exactement ce que décrit le stade du miroir, il ne fait rien d'autre que découvrir le signe, c'est-à-dire ce qui est mis là pour autre chose, qui désigne cette chose et qui pourtant ne l'est pas.

Situation et enjeux

Objet de la première communication donnée par Lacan à un colloque international[note 62], le stade du miroir n'a cessé d'accompagner sa réflexion pendant toute son œuvre[note 63]. En effet, dans sa réflexion sur ce stade ou cette phase, Lacan va reposer de manière tout à fait neuve un certain nombre de problèmes propres à la psychanalyse : sur la nature du moi, sur les rôles — pas clairement séparés chez Freud — du moi idéal et de l'idéal du moi, mais aussi sur la nature du narcissisme, point crucial de la théorie psychanalytique. Il semble que cette approche a été déterminée par les cours d'éthologie animale que Lacan a suivis[261].

Les stades du miroir

Lacan ayant commencé à travailler sur ce concept vers 1936 et l'ayant remanié jusqu'en 1960 environ, on comprendra aisément qu'il est impossible de réduire une réflexion de plus de vingt ans à une seule théorie. Il y aura par exemple le stade du miroir avant et après l'invention des trois ordres que sont le Réel, le Symbolique, et l'Imaginaire. Il y aura le stade du miroir avant et après l'invention de l'objet (a). Ce concept s'inscrira donc dans l'histoire de la réflexion lacanienne et, malgré sa célébrité qui pourrait laisser croire à quelque chose de simple et de réutilisable hors même du lacanisme, il est nécessaire pour le comprendre de le restituer dans les problématiques propres à la pensée de son inventeur.

Le stade du miroir est avant tout une réflexion sur deux concepts : celui de corps propre, le terme wallonien de corps propre désignant l'intuition de l'unité de sa personne par le bébé, et celui de représentation - c'est-à-dire à la fois la capacité à organiser les images et à se situer dans l'ordre de ces images. Lacan affirme que l'enfant anticipe sur son unité corporelle pas encore physiologiquement accomplie - du fait de la maturation incomplète du système nerveux - en s'identifiant à une image extérieure qu'il a été capable de différencier des autres : la sienne. Pour avoir pu différencier son image de celle des autres, il a fallu qu'il comprenne la différence entre l'image (au sens de tout ce qui est vu) et la représentation - l'image qui est mise à la place de ce qu'elle figure. Ma propre image dans le miroir ne peut être en effet qu'une représentation, elle me montre ce qu'en aucun cas je ne saurais voir directement, sans utiliser d'artifice. C'est ainsi que l'on peut comprendre une première différence entre le Je, celui qui voit son image et qui s'identifie à celle-ci, et le moi, l'image à laquelle l'enfant s'identifie.

Version finale du schéma du stade du miroir selon Lacan. S barré : le sujet divisé. M : Miroir. À : le grand Autre. C : le corps propre. a : l'objet du désir. i'(a) : moi idéal. S : sujet de l'inconscient. I : idéal du moi.

Cela découvre le sens de l'identification pour Lacan : c'est une tension entre un Je, qu'il renommera plus tard "sujet de l'inconscient"[note 64], et un moi toujours social, posé dans l'ordre de la logique (puisque le corps distingué comme étant le corps propre l'est du fait d'une induction logique) et dans l'ordre social (plus tard Lacan soulignera l'importance du fait que l'assentiment d'un adulte soit donné à ce qui n'est qu'une intuition d'identification). Le stade du miroir, c'est donc l'aliénation active du sujet à une image, image qui ne peut servir à ce processus d'identification que si elle est reconnue à la fois comme artificielle par l'enfant et désignée comme représentation adéquate par l'adulte.

On croit parfois que le stade du miroir dévoile un moment du développement de l'enfant. Or ce qu'il entend dévoiler c'est la dynamique même de l'identification, dynamique qui reste la même tout au long de l'existence. Il décrit la structure - que Lacan appelle encore paranoïaque en 1949 - du sujet, divisé entre le Je, bientôt le sujet de l'inconscient, et le moi. Le Moi est redéfini comme une instance qui relève de l'image et du social, pur mirage, mais mirage nécessaire.

Le stade du miroir est-il un concept lacanien ?

Lacan avait l'habitude de faire des emprunts à ses contemporains. Concernant le stade du miroir, les pages d'Henri Wallon dans Les origines du caractère chez l'enfant[262] sont régulièrement citées, ainsi que les origines kojéviennes de la définition dynamique de l'identification conçue comme mouvement. Élisabeth Roudinesco[153] rappelle aussi que la distinction Moi/Je qu'opère Lacan dans différents textes, et très importante pour sa réflexion, a certainement pour origine les remarques d'Édouard Pichon sur la difficulté qu'il y avait à traduire le Ich de Freud systématiquement par moi alors que dans certains contextes, le Je paraissait plus adapté[note 65]. Même si ces problèmes de traduction ont effectivement intéressé Lacan, le Je lacanien est avant tout un Je imaginaire.

Néanmoins, sans nier l'apport de tous ces penseurs, la réflexion lacanienne sur le stade du miroir n'a que peu à voir avec la dialectique du développement que l'on retrouve chez Henri Wallon, qui n'a pas pour objet de recherche les problèmes conceptuels concernant l'identification en psychanalyse, comme il ne s'intéresse pas au narcissisme, ni à la nature imaginaire ou non du moi ou de l'objet du désir. Si l'on peut supposer une importance considérable de l'hégélianisme à la manière de Kojève, celle-ci s'efface dès 1954, peu de temps après l'entrée en jeu des concepts de Réel, Symbolique et Imaginaire.

Quant à l'apport de Pichon concernant la distinction Je/Moi, on sait que cette distinction subira des aventures conceptuelles bien éloignées des considérations théoriques du grammairien. Lacan a emprunté à Kojève, à Wallon, à Pichon, voire à Dali[note 66], mais force est de constater que le stade du miroir selon Lacan n'a, en définitive, rien de wallonien, de hojèvien, de pichonien ni de dalinien.

Le pas tout

Le stade du miroir inscrit le sujet dans une incomplétude radicale (Lacan se réfère explicitement à Kurt Gödel) non réductible à l'autre sexe[263]. L'éternel discours amoureux, celui de l'amour courtois par exemple, n'est qu'une tentative de masquer qu'« il n'y a pas de rapport sexuel ».

Le sinthome et la singularité du sujet

Lacan décrit en 1975-1976 dans son Séminaire, Le Sinthome, comme ce qui pallie un défaut de « nouage » dans l'enfance des trois registres du langage que sont réel, symbolique et imaginaire et l'illustre avec l'exemple de l'écriture de James Joyce. Il s'appuie sur ce concept pour approcher une explication de la psychogénèse des structures psychiques, névrose, psychose et perversion, comme une manière propre à chacun de « nouer » ces trois registres c'est-à-dire d'entrer et se maintenir dans le langage[264].

Selon les théorisations freudiennes, les symptômes que soigne la cure analytique sont une expression d'un désir inconscient qui se manifeste à l'occasion de lapsus, rêves, rires, associations libres notamment. Il y a cependant des manifestations de ce désir inconscient qui ne sont ni lapsus, rêves ou rires, association libre. Elles ne disent rien d'un désir refoulé mais elles sont pourtant elles aussi des déplacements de sens[265]. Les romans de James Joyce en sont l'illustration[266]. Selon quelle logique ces déplacements se font-ils ? Ils ne sont guidés ni par un désir refoulé ni par une hallucination, ce qui n'exclut pas que désirs refoulés et hallucinations s'y mêlent. Il y a là quelque chose qui construit la langue unique de James Joyce mais qui ne relève en rien d'un symptôme. Au contraire, cela révèle quelque chose d'absolument singulier, le « sinthome, qui est ce qu'il y a de singulier chez chaque individu »[267].

Il reste donc, au cours d'une analyse par exemple, quelque chose de l'inconscient d'irréductible[264], qui ne s'exprime pas comme quelque chose de significatif, marque primordiale de l'entrée de l'enfant dans le langage indépendamment, peut être antérieurement] au stade du miroir, de la construction d'un moi en une névrose ou une psychose. Ce résidu, ou ce dont il témoigne par défaut[note 67], Lacan l'appelle sinthome. La fin d'une analyse est autant que possible d'assumer comme son symptôme ce résidu sinthomatique[264].

Lacan s'appuie sur ce constat d'une limite à l'exploration de l'inconscient pour faire l'hypothèse que chacun bricole une manière particulière de composer les registres du réel, symbolique et imaginaire générés par le langage et que c'est de ce bricolage propre, le sinthome, que se construit un nouage particulier de ces trois registres, une structure psychique. La névrose est de ce point de vue une suppléance[264], une construction palliative, au même titre que la psychose. Refoulement et forclusion ne sont que des modalités d'un procédé de construction psychique unique, le sinthome, dont il faut bien supposer l'existence pour expliquer qu'il y a refoulement ou forclusion].

Cela ne remet pas en cause la distinction entre névrose, psychose et perversion mais infère l'existence de quelque chose de propre à chacun qui le construit dans une de ces structures. Lacan propose toutefois, peut être plus comme une piste de recherche qu'un dogme, de préciser la nosographie et de donner une place distincte d'une part à ce qu'on pourrait appeler une psychose réussie qui ne sombre pas dans le délire paranoïaque mais s'exprime par exemple dans l'écriture comme l'a fait James Joyce, d'autre part à une « psychose ordinaire » ou blanche, mais non asymptomatique, qui se maintient en deçà du déclenchement d'un délire, ainsi qu'à une névrose phobique[264].

La reconnaissance de l'existence d'un sinthome, de quelque chose qui reste totalement inconscient, hors du langage mais nécessaire au langage, c'est aussi l'invitation faite au psychanalyste de ne pas réduire le sujet à ses symptômes ni à un diagnostic de structure mais d'en affirmer l'absolu singularité inconsciente. Le concept de sinthome permet à Lacan d'inscrire la psychanalyse à la fois dans une modestie qui reconnait les limites de la cure, ce que les détracteurs de Freud ont pris pour argument, et dans une éthique respectueuse des différences de chacun en dehors de toute psychologie normative ou normalisante, ce à quoi l'Ego-psychology ou la psychologie comportementaliste ne se résout pas.

Éthique et désir

A mon seul désir, devise de la Dame à la Licorne et paraphrase à travers les siècles du « ne pas céder sur son désir » lacanien. C'est dans l'amour courtois que Lacan voit[268] naître « une éthique de l'érotisme »[269] qui, en soutenant non la satisfaction d'un plaisir mais, loin de toute mystique[270], le « plaisir de désirer », donne sa juste place, celle d'une possibilité de transgression[269], à la fonction du signifiant tel qu'il structure l'individu[271].

« C'est à titre expérimental que j'avance (…) que la seule chose dont on puisse se sentir coupable […], c'est d'avoir cédé sur son désir »[272].

Paradoxalement, cette éthique, à l'adresse tant du psychanalyste que de l'analysant, est une invitation non au débridement des sens mais au devoir[222], un devoir dicté par un impératif catégorique où le postulat de la raison pratique kantienne[273], tel que le dénonce dans son universalité la subversion sadienne[274], se révèle être une structure fatale, voire tragique[275] du désir : « (…) la bonne intention (…) promue [par] Abélard (…) ne nous met certainement pas à l'abri de la névrose et de ses conséquences. »[272]. Le courage est d'assumer son désir, son être, jusque dans ses déterminations inconscientes[223], par exemple une homosexualité[222], une judéité rejetée[222] ou tout autre singularité liée à l'histoire du sujet[note 68] qui fait qu'il est devenu ce qu'il est, et non de se dédouaner[note 69] comme un Tartuffe de la culpabilité que ce désir et ses négations génèrent derrière un masque de moralité.

Par cette leçon du intitulée Céder sur son désir, Lacan reformule la maxime de Freud : « Wo Es war, soll Ich werden »[276],[note 70], qu'il étendra six ans plus tard dans son Séminaire Le sinthome en affirmant, au-delà de toute réduction nosographique, la singularité du sujet psychotique[note 71].

Cet éclairage de l'éthique par l'expérience de la psychanalyse n'est pas pour Lacan sans conséquence politique. « Céder sur son désir », c'est, plus que se soumettre à un ordre moral, consentir à un ordre, communiste aussi bien que capitaliste, « post révolutionnaire »[277]. Prolongeant l'analyse de Malaise dans la civilisation[278], Lacan voit dans les « sciences humaines » une tentative de substitution de facteurs externes aux déterminations intrinsèques du désir et de la récupération de celui-ci dans le but de son asservissement[279]. Inversement, il voit avec optimisme l'expression contemporaine de ce désir libéré de la religion, au risque de son utilisation à des fins de mort, dans le progrès de la science physique[280].

Influences et réceptions

Jacques Lacan « a dominé pendant trente ans la psychanalyse en France. Il l'a marquée de son style ; il y laisse une trace ineffaçable », écrit Patrick Guyomard[281] : « Aimé et haï, adoré et rejeté », il s'est imposé même à ceux qui ne voulaient pas de lui, « ne laissant personne indifférent », quelles que soient « les contraintes, les difficultés, voire les limites » de sa pensée et de son oeuvre[281].

Mouvement lacanien, lacanisme

Le mouvement lacanien français consiste en de nombreuses associations, environ une vingtaine, qui sont issues de la dissolution en 1980 de l'École freudienne de Paris (E.F.P.) et, en janvier1981, de la fin de de La Cause freudienne devenue l'École de La Cause freudienne[282]. Jacques Sédat en cite les principales dans l'ordre chronologique :

  • Le 1er février février 1981 sont créés par Claude Dumézil et André Rondepierre les Cartels constituants. Cette association va se trouver affaiblie par le décès d'André Rondepierre et de nombreux départs à l'origine de deux autres associations[282].
  • Le 7 mars 1981, Jean Clavreul, Solange Faladé et Charles Melmans fondent le Centre d'études et de recherches freudiennes (C.E.R.F.), d'où naissent trois autres associations après son implosion[282].
  • En juin 1982, Charles Melmans fonde l'Association freudienne, devenue ensuite l'Association freudienne internationale : c'est la plus importante en nombre des associations lacaniennes. De nombreux membres sont en Belgique et en Argentine. L'association réintroduit la question de la passe en juin 1994. Elle publie : Discours psychanalytique, Le Journal de la psychanalyse de l'enfant, Le Trimestre psychanalytique, Le Journal français de psychiatrie et depuis 1999, La Célibataire[282].
  • Le 28 juin 1982, Maud Mannoni fonde avec Octave Mannoni et Patrick Guyomard le Centre de formation et de recherches psychanalytiques (C.F.R.P.), qui se développe rapidement et compte cinq cent cinquante membres au moment de sa dissolution en 1995. Le C.F.R.P. publie Esquisses psychanalytiques et est à l'origine d'une importante collection chez Denoël[282].
  • L'École lacanienne de psychanalyse (E.L.P.) est fondée en 1983 par d'anciens membres des Cartels constituants (Jean Allouch, Guy Le Gaufey, Philippe Julien, Erik Porge et Christian Simatos). L'E.L.P. soutient une passe sans nomination ; elle est très active, publie de nombreuses revues, dont Littoral et L'Une-bévue, et elle est très présente en Amérique latine (Brésil et Argentine)[282].
  • L'association Analyse freudienne, créée par Claude Dumézil à la suite de la scission des Cartels constituants, publie Analyse freudienne devenue en 2000 analyse freudienne Presse[282].
  • Issues de la dissolution du C.F.R.P., deux associations importantes en nombre privilégient l'enseignement et la formation des analystes: « Espace analytique », fondée par Maud Mannoni le 16 octobre 1994, publie Figures de la psychanalyse, et la Société de psychanalyse freudienne, fondée en février 1995 par Patrick Guyomard, publie les Lettres de la Société de psychanalyse freudienne. Ces deux sociétés ont renoncé à la passe : les analystes deviennent membres grâce à un jury d'habilitation prenant en compte leur parcours et leur pratique analytique[282].
  • Sont citées aussi l'École freudienne, fondée en 1983 par Solange Faladé, le Cercle freudien et le Mouvement du Coût freudien, ainsi que deux associations issues, par scission, de l'École de la Cause freudienne : l'École de psychanalyse Sigmund Freud (mai 1994), qui reconduit l'expérience de la passe, et l'École du Champ lacanien (mai 1999) fondée par plusieurs responsables de l'E.C.F., dont Colette Soler[282].

Sur le plan international, les lacaniens se retrouvent dans une structure souple, Convergence, à laquelle il faut ajouter l'Interassociatif européen de psychanalyse (1989) qui regroupe aussi quelques autres associations en France, au Danemark, en Espagne, en Italie et au Luxembourg [282].

Le légitimisme lacanien est « incarné en France par Jacques-Alain Miller, exécuteur testamentaire et gendre de Jacques Lacan »[283]. Dans l'histoire du mouvement psychanalytique, le lacanisme se définit comme « un courant représenté par les divers partisans de Jacques Lacan, toutes tendances confondues »[283]. Il « se reconnaît dans la doctrine fondée par Sigmund Freud » et se distingue en conséquence des autres écoles de psychothérapie « par son adhésion à la psychanalyse, c'est à dire à la cure par la parole comme seul lieu du traitement psychique, et aux grands concepts freudiens fondamentaux : l'inconscient, la sexualité, le transfert, le refoulement, la pulsion »[283]. D'après Élisabeth Roudinesco et Michel Plon, le lacanisme n'existant que pour s'être constitué historiquement comme un freudisme et plus encore comme « l'essence du “vrai” freudisme », il ne peut se fonder qu'« en surajoutant le nom même de Freud à sa démarche et à ses institutions »[283]. Il se situe toutefois à contre-courant des autres tendances du freudisme, notamment de celles « qualifiées péjorativement de “psychanalyse américaine” » : sont désignés sous ce terme le néofreudisme (représenté par Karen Horney, Erich Fromm, Harry Stack Sullivan), l'annafreudisme et l' Ego psychology. Pour Jacques Lacan et après lui ses disciples et héritiers, ces courants renvoient à une « conception “dévoyée” de la psychanalyse » : à une doctrine centrée sur le moi et oublieuse du ça, « à une vision adaptative ou culturaliste de l'individu et de la société »[283].

Critiques et réception par les psychanalystes non lacaniens

Gilbert Diatkine fait un bilan critique de l'héritage lacanien dans le dernier chapitre de son ouvrage consacré à Lacan[284]. Il se demande comment le fait que Lacan ne garde pas les concepts de libido, de pulsions sexuelles et agressives, de conflit psychique, de l’objet interne, et tous les aspects du narcissisme qui ne relèvent pas de la relation en miroir peut être compatible avec l'attachement de Lacan à Freud[284]. Il y a, selon lui, une part de calcul lié à son exclusion de l'API et destiné donc à se présenter comme le véritable représentant de Freud mais cela s'accompagne d'une identification réelle à Freud de sa part[284]. Diatkine avance que Lacan attribue parfois à Freud ses propres concepts ou bien qu'il lui prête parfois l'inverse de ce qu'il a exprimé[285]. S'il lui arrive de s'opposer à Freud, il montre cependant le plus souvent un accord total avec lui, quitte à nier les divergences[286].

Selon Diatkine, la pensée de Lacan a dès lors une tournure paradoxale et opère une critique de Freud qui n'est pas présentée comme telle, et bien qu'il ait dénoncé la figure du narcissisme aliénant, il finit par s'y identifier lui-même[287]. François Roustang parle à ce sujet de « destin si funeste » qui consiste pour Lacan à faire ce qu'il a reproché à ses adversaires[288]. Selon Diatkine, Lacan fait preuve de « paradoxes pragmatiques », c'est-à-dire de contradictions dans la cure et les institutions psychanalytiques aussi bien que dans la théorie où il emploie parfois un mot dans un sens qui lui est propre aussi bien que dans son sens usuel[288], et ces contradictions se retrouveront dans sa vie : attaque de l'API et demande de reconnaissance de sa part, attitude à la fois critique et respectueuse à l'égard de la psychiatrie[289], de même à l'égard de la religion ou du communisme[290]. Diatkine avance l'hypothèse que la cause de cette attitude se trouve dans la fin de la propre analyse de Lacan, achevée prématurément à cause de calculs propres à son psychanalyste[291].

Si Lacan a permis de saisir l'importance d'une nouvelle dimension psychique, celle spéculaire du sujet, différente d'une intériorité, sa remise en cause de certains concepts ne se justifie pas forcément pour Diatkine[292]. Dès lors, l'utilisation de Lacan ne s'avère pas aisée mais peut permettre de « s'enrichir de bien des connaissances »[292].

Il met au crédit de Lacan divers apports dans le domaine de la théorie[292]. Son travail sur la terminologie a entraîné de nouvelles traductions que ce soit par Jean Laplanche et André Bourguignon ou Jean-Bertrand Pontalis[292]. La dimension spéculaire du narcissisme est selon Diatkine celle qui a été la mieux perçue par les psychanalystes non lacaniens et dont découlent en bonne part les travaux sur le Moi-Peau de Didier Anzieu ; L'opposition entre Moi idéal et Idéal du Moi est critiquée par Janine Chasseguet-Smirgel mais reprise par Pierre Marty ; Donald Winnicot reprend le concept de stade du miroir à propos de la mère[293], et son concept de vrai self se rapproche de l'émergence du sujet chez Lacan en tant que but à l'analyse[294].

La conception lacanienne du symbolique a influencé la théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche ; selon Diatkine, c'est grâce à Lacan que l'on s’intéresse plus au complexe d'Œdipe en France que dans les pays anglo-saxons et les travaux de Michel Fain et Denise Braunschweig, ou de Claude Le Guen en découlent ; Piera Aulagnier ou Guy Rosolato ont développé leurs propres théories à partir de Lacan et son influence sur André Green a été considérable[295].

Sa relecture de Freud a fait saisir les spécificités de la projection psychotique, du clivage du moi, de la forclusion[295] qui si elle échoue selon Diatkine à expliquer les psychoses a permis de sensibiliser l'ensemble des psychanalystes français aux fondements de la psychopathologie[294]. Maria Torok et Nicolas Abraham ont quant à eux élaboré un compromis entre sa critique de l’introjection et les découvertes de Sándor Ferenczi et de Melanie Klein[294]. La scansion signifiante et la ponctuation en lien avec les séances courtes est reprise par Jean-Luc Donnet[294].

Diatkine affirme également que même sans reprendre aucune de ses théories des psychanalystes non lacaniens ont été sensibles à l'influence de Lacan[294]. La critique du symbolisme par Lacan se retrouve dans la méfiance des psychanalystes français à l'égard de l'interprétation de « contenu » tel que pratiqué dans les pays anglo-saxons[296]. Sa remise en cause de la pulsion est de plus en plus acceptée et la réaction des psychanalystes américains contre la psychologie du Moi rejoint les critiques de Lacan[297].

Lacan a également influencé les débats sur la pratique de la cure à la Société Psychanalytique de Paris notamment en 1974 à la suite du travail de Serge Viderman, et de nombreux psychanalystes reconnaissent leur pratique comme un travail sur le signifiant[297]. La critique par Lacan du système de formation y a également eu une grande influence notamment sur les travaux de Jean Favreau, de Jean-Luc Donnet ou Robert Barande sur la suggestion bien que de nombreuses réformes viennent surtout de l'influence de Sacha Nacht[297].

Enfin, pour Diatkine, c'est sur la question de l'éthique analytique que les points de passages sont les plus difficiles à trouver entre les psychanalystes lacaniens et non lacaniens[297].

Philosophie

La question des rapports entre l'œuvre de Lacan et la philosophie peut se poser de différentes manières. En premier lieu, il est possible de se questionner sur l'influence de la philosophie dans le parcours intellectuel de Lacan et sur ce que celui-ci a pu emprunter aux différents penseurs dont il faisait la lecture. On peut aussi s'interroger sur l'importance du travail de Lacan pour la philosophie[note 72], voire, avec Jean-Pierre Cléro, se demander s'il existe une philosophie de Jacques Lacan.

Références philosophiques dans l'œuvre de Jacques Lacan

La philosophie de Hegel (réinterprétée par Kojève) a eu une importance dans le cheminement intellectuel de Lacan. Ses rencontres avec Heidegger, et sa cotraduction de l'article Logos avec une amie germaniste montre l'intérêt qu'il aura porté à une philosophie dont on retrouve les traces dans ses séminaires[note 73],[238].

Ses relations avec Merleau-Ponty ont encouragé une redécouverte de Saussure mais son influence en tant que philosophe reste à démontrer.

Jean-Pierre Cléro[298] a souligné l'importance de la théorie des fictions de Bentham dans l'élaboration de la pensée lacanienne[note 74].

Le concept de Réel aurait été forgé en pensant à l'usage qu'en fait Georges Bataille dans ses ouvrages[note 75], qu'à défaut de catégorie où faire entrer ce dernier, on peut classer comme philosophe.

Mikkel Borch-Jacobsen a affirmé que les idées de Lacan doivent beaucoup plus à ces penseurs qu'à Freud et ne seraient en somme qu'une philosophie déguisée[300].

Malgré ses nombreuses amitiés avec des philosophes, malgré une culture philosophique et les références faites dans ses séminaires à des philosophes et à leurs concepts[note 76], Lacan affiche avec persistance une méfiance, voire une défiance — qu'il partage d'ailleurs avec Freud — envers la discipline fondée par Socrate[301].

Le lacanisme pour la philosophie, les écrivains et plusieurs intellectuels

De son vivant, Lacan intéresse des philosophes tels Louis Althusser[note 77] ou Michel Foucault[302]. Ses travaux sont repris aux États-Unis dans le champ des « cultural studies ». Judith Butler, après Juliet Mitchel, a utilisé et critiqué des concepts lacaniens pour son travail de critique philosophique des processus de socialisation et des rapports de force dans la société contemporaine, ainsi Monica Zapata rapporte que selon la psychanalyste Monique David-Ménard « la théorie psychanalytique a depuis les débuts de sa réflexion, intéressé Judith Butler, qui n’a jamais cessé de produire une lecture intelligente et personnelle des textes de Freud et Lacan, en particulier »[303].

Alain Juranville affirme que Lacan révolutionne le concept même de vérité en introduisant l'idée que la vérité serait nécessairement partielle[304]. Gérard Granel opère un recroisement entre la perspective lacanienne et la perspective heideggerienne sur les questions de la vérité, du sujet et de la science[305].

Aujourd'hui, Lacan fait partie de la réflexion de divers philosophes tels Julia Kristeva, François Regnault, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, Barbara Cassin, Catherine Clément, Slavoj Žižek, Alain Badiou[306]. Selon Stephen Law, Julia Kristeva s'est inspirée de Lacan et a développé l'idée que l'inconscient est structuré comme un langage. Elle fait une distinction entre le terme de sémiotique pour ce qui est instinctif et sensuel, venant de la phase prélinguistique de l'enfant et le terme de symbolique où le système des signes du langage des gens matures correspond à la compréhension du monde en général[307] : François Regnault, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, Barbara Cassin, Slavoj Žižek.

Le philosophe Jean Guitton pour sa part en dénonçant cette idée selon laquelle en psychanalyse, et comme le pensait Freud, presque tous les maux sont d'ordre sexuel, a dit de Lacan : « L'on a toujours l'impression avec Lacan qu'autrui n'est qu'un être, un objet dont on voudrait abuser, et de ne pas le pouvoir librement là serait l'origine de tous les problèmes psychiques. »

Face aux accusations d'hermétisme et de « terrorisme intellectuel » lancées par les adversaires de Lacan, Michel Foucault réagit ainsi : « Je pense que l'hermétisme de Lacan est dû au fait qu'il voulait que la lecture de ses textes ne soit pas simplement une “prise de conscience” de ses idées. Il voulait que le lecteur se découvre lui-même, comme sujet de désir, à travers cette lecture. Lacan voulait que l'obscurité de ses Écrits fût la complexité même du sujet, et que le travail nécessaire pour le comprendre fût un travail à réaliser sur soi-même. Quant au “terrorisme”, je ferai simplement remarquer une chose : Lacan n'exerçait aucun pouvoir institutionnel. Ceux qui l'écoutaient voulaient précisément l'écouter. Il ne terrorisait que ceux qui avaient peur. L'influence que l'on exerce ne peut jamais être un pouvoir que l'on impose. »[308],[309].

Après avoir reçu un exemplaire de ses Écrits, avec une dédicace de Lacan, Heidegger, dans une lettre à Medard Boss, parle d'un « texte manifestement baroque », ajoutant quelques mois plus tard : « Il me semble que le psychiatre a besoin d'un psychiatre »[310].

L'écrivain Philippe Sollers ainsi qu'un certain nombre d'analysants connus de Lacan ont été influencés par la pensée et l'œuvre de celui-ci : Moustapha Safouan, Jean-Bertrand Pontalis, Didier Anzieu, Gérard Haddad, Pierra Aulagnier, Jean Beaufret, Roland Castro, Léon Chertok, Antoinette Fouque, Françoise Giroud, Félix Guattari, Jean Laplanche, Eric Laurent, Serge Leclaire, Dora Maar, Jean-Claude Maleval, Maud Mannoni, Octave Mannoni, Marianne Oswald, Jean Oury, François Perrier, Nicos Poulantzas, François Regnault, Antoine Vergote, François Wahl, François Weyergans[311].

Féminisme

L'affirmation de la primauté du phallus parmi les autres signifiants a fait considérer à certains et à certaines que son approche est phallocentrée. Dominique Sels, dans son commentaire du Banquet, apporte un argument textuel en faveur de cet avis[312]. Il a été critiqué sur ce point par Luce Irigaray[313] ou Judith Butler[314],[315].

Cet avis n'est pas partagé par les psychanalystes, notamment les psychanalystes femmes. Liliane Fainsilber[316], reprend pas à pas les approches de Lacan concernant la différence des sexes et la sexualité féminine, en particulier la question laissée en suspens par Freud de la jouissance féminine. Juliet Mitchell, dans un ouvrage de 1975[317], considère que la théorie lacanienne et le féminisme ne sont pas incompatibles. Plus récemment, les travaux de Lacan ont été utilisés par Bracha L. Ettinger[318],[319].

Quant à un phallocentrisme de la théorie lacanienne, Lacan, pour définir la différence entre les sexes, affirme que les hommes croient avoir le phallus quand les femmes croient en manquer, alors que personne ne le possède et que tous le désirent[320]. Car le phallus lacanien est un signifiant, le signifiant d'un manque. Ce terme, « phallus », ne doit pas être confondu avec l'organe, le pénis[321].

L'objet atteint sa forme ultime de « pièce détachée » en 1962-1963, quand il traite la question de l'angoisse dans Le séminaire, Livre X, L'angoisse. Revisitant la place à donner à la marque signifiante ou à l'objet, il prépare un changement de cap sur la théorie du manque. Il déclare concernant la sexualité féminine : « on nous rabat les oreilles avec l'histoire du Pénis »et la théorie du manque. Il évoque déjà la trompeuse jouissance phallique, et décline que l'impuissance n'est pas là où on croit. Il dénonce aussi le masochisme féminin comme fantasme de l'homme[322].

Lacan en 1960 dans ses « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine » énonce, partant d'une étape de la castration symbolique supposée reliée à la subjectivité d'un Autre de la loi, que l'altérité des sexes assurément dénaturée, fait de l'homme le relais pour que la femme devienne cet Autre à elle-même, comme elle l'est pour lui.

Selon Danièle Lévy, ces développements sur la sexualité féminine, ou l'homosexualité sont loin de s'opposer au féminisme[323]. Parfois mal compris quand il énoncera que "LA" femme n'existe pas en barrant d'un trait le "La", c'est pour lui reconnaître son caractère d'Unicité et pour ne pas recouvrir d'un universel, ce qui est le propre féminin. Une et PAS-TOUTE, seront des outils pour se confronter à la question de la jouissance féminine qui ne se réduit pas à la jouissance phallique. Dans ses tableaux de la sexuation, du Le séminaire, Livre XX, Encore, il tente de faire surgir comment passer de l'idée d'impuissance à l'impossible. Dévoilant la dispersion de la jouissance féminine, vers une jouissance Autre, il apportera des éclairages à la théorie des genres qui ne sont pas biologiques mais choix de position subjective[324],[325]

Homosexualité

D'après le philosophe et sociologue Didier Éribon dans son ouvrage Écrits sur la Psychanalyse, la position conservatrice de Lacan tient à ce qu'il étudie des pathologies en rapport avec une normalité, et qu'il choisit contre toute attente le terme de perversion pour qualifier le comportement homosexuel. Pour Éribon, le projet de Lacan se situe du côté d'un essentialisme anhistorique du psychisme, contre lequel se sont opposés des philosophes comme Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur ouvrage L'Anti-Œdipe[326] mais aussi Michel Foucault, Jean-Paul Sartre et Roland Barthes. Ces philosophes se seraient, selon lui, insurgés contre cette transcendance de la psychanalyse[327], essayant de proposer des alternatives pour permettre au sujet de se constituer de façon autonome et politique. Éribon soutient que le propos de Lacan est homophobe et sexiste, en ce qu'il a pour objectif de normaliser un comportement hétérosexuel et de faire accepter le rôle hiérarchique du père, ce qui est, selon Éribon, explicite dans les mots employés par Lacan dans Le Séminaire, livre IV, La relation d'objet[327] : « Il ne suffit donc pas que le sujet après l'Œdipe aboutisse à l'hétérosexualité, il faut que le sujet, fille ou garçon y aboutisse d'une façon telle qu'il se situe correctement par rapport à la fonction du père. »[327]. À ceci s'ajoute, selon Éribon, la notion d'atypicité centrale chez Lacan, exposée dans son article Complexes familiaux, où il explique l'homosexualité (et sa conséquence qui est la dévirilisation des hommes et de la société) par une nature atypique du couple parental, par exemple un couple où la mère prendrait le rôle du père en dirigeant[327].

Élisabeth Roudinesco répond à cette critique dans un article intitulé Psychanalyse et homosexualité : réflexions sur le désir pervers, l'injure et la fonction paternelle[328] dans lequel elle indique que Jacques Lacan « acceptait d'analyser les homosexuels comme des patients ordinaires, sans chercher à les normaliser ». Elle estime qu’il a été le premier à autoriser les homosexuels à devenir psychanalystes. Selon elle « Quant à sa conception de l’homosexualité, elle ne mérite pas tant d’opprobre. Certes, elle exclut l’idée que l’homosexuel puisse vouloir se « normaliser », au point d’imiter les formes les plus bourgeoises, et donc les plus névrotiques des structures de la parenté. Mais elle a le mérite de rendre hommage à cette place occupée par le personnage de l’homosexuel dans la société occidentale : un personnage maudit et sublime »[329],[330].

Tout en rapportant que, selon le sociologue et spécialiste de théorie queer Javier Sáez del Álamo (es), Lacan « accueille les homosexuels sans réticence ne cherchant pas à les transformer en hétérosexuels »[331], le psychiatre et psychanalyste Albert Le Dorze rapporte aussi que, selon Didier Eribon[332], Lacan est « grossièrement homophobe », d'une pensée hétérocentrée, phallocentrique et sexiste et qu'il cherchait à « éradiquer l'homosexualité »[333]. Le Dorze relève également que contrairement aux affirmations de Didier Eribon, et cette fois selon le philosophe et spécialiste de théorie queer Tim Dean (en), « la théorie lacanienne permettrait le démantèlement d'une conception identitaire du sexe, a fortiori hétéronormée »[334],[335].

Judaïsme

« S’il est un invariant tout au long de l’œuvre de Lacan », note Gérard Haddad, « c’est sa référence constante aux trois catégories : de l’Imaginaire I, défini dans sa référence au stade du miroir, du Symbolique S ou ordre du langage dans lequel en tant que parlants nous nous trouvons immergés, du Réel R enfin, défini comme impossible à dire ou à imaginer, zeste de théologie négative »[336]. Haddad remarque « que ces trois lettres, surtout quand Lacan prend soin d’y ajouter trois points de suspension, ISR…, sont les trois premières lettres du nom biblique Israël »[336].

Haddad met en jeu l’influence de Moïse Maïmonide sur Lacan, et en particulier l’influence de la théologie négative maïmonidienne où « Dieu apparaît comme “réalité véritable” à laquelle la tare originelle de l’homme, son imaginaire, collé au corps, l’empêche d’accéder »[336].

Haddad met également en jeu l’influence de la Kabbale sur Lacan, notamment à travers sa lecture d’Elie Benamozegh[337]. Ainsi, « à l’un des séminaires, Lacan parla du maître ouvrage du rabbin kabbaliste Elie Benamozegh, Israël et l’Humanité », comme du « livre par lequel je serais devenu juif si j’avais eu à le faire »[338].

Lacan, lui-même, a évoqué l’influence de la kabbale sur Freud, dans plusieurs de ses séminaires ou conférences, notamment en 1972, en se demandant, à propos de Freud : « Qui sait la graine de mots ravis qui a pu lever dans son âme d’un pays où la Cabale cheminait ? À toute matière, il faut beaucoup d’esprit, et de son cru, car sans cela d’où lui viendrait-il ? »[339].

Bernard-Henri Lévy se souvient qu’en 1968, lors de son séminaire, Lacan donnait à ses auditeurs « un mystérieux “quitus”, au nom d’une ”religieuse énigme” »[340]. « Plus tard, le séminaire de 1974 sur “les Non-Dupes Errent”, où il s’écria : “moi, la Bible, ça ne me fout pas la trouille” – avant de rappeler cette énigmatique vertu qu’avaient les talmudistes de “n’étudier que la lettre”, de jouer avec ses “combinaisons” les plus loufoques et, le jour où ils en sortent, de devenir les plus sérieux », témoigne de l’intérêt que Lacan portait au judaïsme, et à la kabbale en particulier, selon Lévy[340].

Lacan a « lu avec passion Elie Benamozegh », rappelle Marie Olmucci[341], qui souligne que Lacan a trouvé chez Benamozegh « le dépassement de la logique binaire » par la « structure trinitaire de l’arbre des sephiroth » propre à la Kabbale, un dépassement que Lacan appelle la « Chose freudienne », selon Olmucci[341]. La « Chose freudienne », c’est-à-dire le postulat que l’inconscient est structuré comme un langage, selon les trois axes (l'Imaginaire, le Symbolique, le Réel) assimilables aux trois axes, ou aux trois degrés, de l’Arbre de Vie kabbalistique.

Marc-Alain Ouaknin a également mis en jeu les rapports entre Lacan et la Kabbale[342], ainsi qu’Alain Didier-Weill[343].

Mathématiques

« […] trique. C'est une élision de l’o. […] je suis attaché à considérer le tore comme étant capable d'être découpé selon […] une bande de Moebius double. […] Le conscient et l'inconscient communiquent et sont supportés tous les deux par un monde torique »[344].

Alan Sokal et Jean Bricmont, dans Impostures intellectuelles, consacrent leur premier chapitre à Lacan dont ils critiquent l’usage de divers concepts mathématiques : « Nous ne prétendons pas juger la psychanalyse de Lacan, la philosophie de Deleuze ou les travaux concrets de Latour en sociologie. Nous nous limitons aux énoncés qui se rapportent soit aux sciences physiques et mathématiques, soit à des problèmes élémentaires en philosophie des sciences »[345]. Les auteurs s'intéressent notamment à l'usage des paradoxes concernant les fondements des mathématiques (paradoxes de Russell ou de Cantor). Tout en admettant que les mathématiques sont dans ce domaine moins maltraitées, ils soulignent « qu'aucun argument n'est donné pour relier ces paradoxes appartenant aux fondements de la mathématique et la béance qui constitue le sujet en psychanalyse »[346].

La psychanalyste Nathalie Charraud critique le point de vue de Sokal et Bricmont : « les attaques de Sokal et Bricmont, […] reposent toutes sur une certaine précipitation, une immense mauvaise foi, et une volonté de n'en rien savoir de la psychanalyse. Leur conclusion concernant Lacan est particulièrement consternante d'arrogance et de prétention. Les connaissances mathématiques de Lacan sont loin d'être « superficielles », il savait s'entourer de mathématiciens qui lui apportaient la garantie nécessaire dans ses avancées ; les propriétés qu'il exploitait ne sont jamais fausses[347], même si, aux yeux des spécialistes, elles sont présentées sous une formulation inhabituelle, qui prouve qu'il les avait travaillées et assimilées pour en faire quelque chose de personnel, ce que précisément ne supportent pas Sokal et Bricmont »[348].

Le mathématicien René Lavendhomme défend dans son ouvrage Lieux du sujet. Psychanalyse et mathématique[349] que si les mathématiques ne sont pas dans les « sciences humaines » une « langue-outil » comme elles le sont en physique, elles peuvent permettre en psychanalyse d'exposer ponctuellement quelques éléments de la structure du sujet mieux que ne le ferait le seul langage, et ce notamment à travers l'usage que Lacan faisait de la topologie[350] : « les mathèmes lacaniens ne constituent pas un modèle de fonctionnement, ils ne se réduisent pas non plus à des simples artifices littéraires. Ils indiquent une homologie de structure sans réduire les concepts analytiques à des concepts mathématiques »[351].

Linguistique

Le linguiste Georges Mounin affirmait dans un article[352], que Lacan mésusait des concepts saussuriens, et que son enseignement à l'ENS « ruinait quinze ans d'enseignement » de la linguistique dans cette école. Un autre linguiste, Michel Arrivé, tout en soulignant les différences entre le signe lacanien et le signe saussurien, ne les considère pas comme des distorsions mais comme l'adaptation que nécessite la transposition d'un univers conceptuel à un autre[353]. C'est ainsi que Lacan remodèle le concept saussurien de signifiant pour construire une logique du signifiant originale.

Structuralisme

Interrogé sur son assistance, une seule fois, à un séminaire de Lacan (le premier à l'ENS de la rue d'Ulm, sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, en 1964), Claude Lévi-Strauss confie qu'il prêta plus d'attention à la situation concrète qu'au contenu des propos, disant qu'il fut fasciné par la dimension ethnographique de cette séance et la manière dont Lacan envoûtait son auditoire, à la manière d'un chaman : « Ce qui était frappant, c'était cette espèce de rayonnement, de puissance, cette mainmise sur l'auditoire qui émanait à la fois de la personne physique de Lacan et de sa diction, de ses gestes. […] je retrouvais là une sorte d'équivalent de la puissance chamanistique. J'avoue franchement que, moi-même l'écoutant, au fond je ne comprenais pas. Et je me trouvais au milieu d'un public qui, lui, semblait comprendre »[354]. Au-delà de cette présence, la personne et l'art de la parole de Lacan, Lévi-Strauss explique également que s'ils se sont croisés, leurs chemins allaient dans des directions très différentes : « Moi-même venant de la philosophie, j'essayais d'aller vers ces sciences humaines dont Lacan critiquait la légitimité, tandis que Lacan, qui, lui, était parti d'un savoir positif, ou qui se considérait comme tel, a été amené vers une approche de plus en plus philosophique du problème ».

Œuvre

Textes édités, textes inédits

Les écrits sont la partie aboutie et condensée de la pensée de Lacan, tandis que les séminaires montrent la pensée de Lacan en acte, avec des avancées, des reculs, des hésitations.

  • De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Le Seuil, 1975
    (sa thèse de doctorat en médecine légale éditée une première fois en , en ligne).
  • Écrits, Paris, Le Seuil, 1966; réed. 1999 (ISBN 2020380544).
  • Le Séminaire, Paris, Le Seuil
    (vingt-cinq volumes, plus un ultime, dont la publication n'est pas achevée depuis qu'elle a commencé en 1973).
  • Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001 (ISBN 2020486474).
  • Pas tout Lacan, École de la cause freudienne, Paris, 2012 (inédits de Jacques Lacan)

Textes disponibles en ligne

La grande majorité des séminaires et des écrits de Lacan est disponible sur internet, parfois dans des versions différentes tirées d'enregistrements ou de notes de cours, notamment :

Notes et références

Notes

  1. Encore non intégralement publiés.
  2. S'il existe quelques ouvrages abordant la vie de Jacques Lacan— voir cette section bibliopgraphique par exemple —, son parcours relève d'une source principale, l'ouvrage de l’historienne de la psychanalyse Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan : esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée dont la première édition date de 1993[1]. Cette biographie a été remarquée par l'ampleur et la qualité du travail réalisé ainsi que sa richesse documentaire, souvent de première main[2],[3], mais l’ouvrage a également été critiqué pour certains choix biographiques et théoriques[4],[5].
  3. L. Dessaux, Règlement intérieur, Dessaux Fils, Orléans, 1880. La firme a exploité un brevet Pasteur d'acétification du médiocre blanc de Loire.
  4. Sœur qui se marie plus tard avec un cousin, Jacques Houlon, et vit longtemps en Indochine[11].
  5. en référence à François d'Assise.
  6. Roudinesco précise que le collège était prisé par les familles de la moyenne et la grande bourgeoisie catholique, devenu, après la loi de 1901, une école libre où l'enseignement était confié au clergé séculier et à des maîtres laïcs. L’enseignement y était de culture classique, sous les auspices d’un cartésianisme chrétien[15].
  7. Voir son bulletin scolaire du 16 juin 1917.
  8. Roudinesco rappelle la proximité de Baruzi avec Étienne Gilson, Alexandre Koyré et Henry Corbin et le situe dans le courant de pensée issu de la création en 1886 de la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études (EPHE)[20].
  9. Appelée La Maison des Amis du Livre
  10. Selon Roudinesco, la fréquentation de cercles aussi opposés que les surréalistes et la Droite catholique caractériserait une position anticonformiste prononcée et une attention particulière aux problèmes du langage. Même lorsqu'il s'éloigne des thèses de son mouvement, Lacan continue à reconnaître en Charles Maurras un maître de la langue française (Cf. le point de vue de Roudinesco, 1986, 1994). Élisabeth Roudinesco[26] et les détracteurs de Jacques Lacan[27], avec lesquelles celle-ci prend ses distances[28], lisant dans le midrashiste[29] marié à une femme d'origine juive un antisémite[30] inspiré par Léon Bloy[31] et Édouard Pichon[32], voient en Maurras une étape dans la genèse de sa pensée Lacan. L’idée que la société se compose plus de familles que d’individus, l’insistance sur la longue durée au détriment de l’événementiel, la perception de l'inanité des convulsions révolutionnaires et de l’importance primordiale du langage[33] ne découleraient pas de l'origine œdipienne des Complexes familiaux mais seraient un certain héritage positiviste de la pensée maurrassienne : « Partant de Maurras, il arrivait ainsi à Freud, pour rappeler […] combien la tradition, malgré les apparences, pouvait favoriser le progrès[34]. » Par ailleurs, devant le retentissement du nazisme auquel il assiste en 1936, Lacan éprouve « un sentiment de dégoût »[35]
  11. Membre du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine.
  12. Le même jour que la création de la Société psychanalytique de Paris[45].
  13. ami d’Édouard Pichon[45].
  14. rivale fondée à la Pitié par Joseph Babinski, successeur de Jean-Martin Charcot, de la Société française de psychologie fondée par Pierre Janet à la Salpêtrière
  15. Le concept de schizographie étant repris de celui de schizophasie inventé en 1913 par Emil Kraepelin[49].
  16. Sa curiosité pour la criminologie ayant été éveillée par Marc Trénel.
  17. A la santé de votre mélancolie.
  18. Victoria Ocampo témoigne qu'à l'époque, en 1930, Jacques Lacan était extrêmement fier de cette œuvre et jaloux de son originalité in Victoria Ocampo, « Lettre à une de ses sœurs, Angelica,  », Cartas a Angélica y otros, Sudamericana (es), Buenos Aires, 1997
  19. Même s'il dort le plus souvent à l’hôpital Saint-Anne[69].
  20. « au moment où Lacan lisait l’œuvre de Freud, il trouvait dans la position dalínienne l’instrument qui manquait à la théorisation de son expérience clinique en matière de paranoïa »[73] cf. P. Scmitt, « Dalí et Lacan dans leurs rapports à la psychose paranoïaque », Les Cahiers Confrontations, n°4, automne 1980, Aubier, pp. 129-136.
  21. Minkowski avait lui-même introduit dans la psychiatrie française les recherches en phénoménologie issues d'Edmond Husserl et de Ludwig Biswanger[75].
  22. « protecteur officiel d’une psychanalyse adaptée au "génie latin" »[47] selon Roudinesco, il chargea à partir de 1922 « René Laforgue d'une consultation qui regroupait Adrien Borel, Henri Codet, Angelo Hesnard et Eugénie Sokolnicka »[47] ; il permit l’existence de l'école dynamique et organiciste française dont Henri Ey héritera[47].
  23. Spinoza, Jaspers, Nietzsche, Husserl, Bergson[86].
  24. où Spinoza pose « l’union entre le mental et le physique selon un rapport de traduction »[91]. Voir également la proposition 7 du livre II de l'Éthique de Spinoza.
  25. voir J. Allouch, Lettre pour lettre, Toulours, Erès, 1984, p. 186
  26. Lacan n'emprunte pas les concepts à Spinoza mais les traduits dans une optique qui montre que s'il ne maîtrise pas encore à cette époque la terminologie freudienne, il en a compris la portée[97].
  27. La définition de la paranoïa était construite autour de cinq notions : la personnalité, la psychogénie (différente du concept de psychogenèse ou d'organogenèse), le processus, la discordance, le parallélisme[99]. Sur l'idée de détermination multiple voir Ogilvie 1993, p. 17.
  28. Lacan y recourt à de nombreux termes de l'appareil conceptuel de Freud : pulsion insuffisamment socialisée, contenu manifeste et contenu latent du délire, narcissisme secondaire, fixation anale, irrésolution de l'Œdipe, homosexualité féminine refoulée, inefficience du surmoi, sublimation[101]. pour caractériser « paranoïas d'auto punition » et « paranoïas de revendication »[102].
  29. la psychiatrie française a longtemps adhéré à une conception « latine » du psychisme, un certain « chauvinisme »[104].
  30. « Notons en terminant que si la psychanalyse n’a pas été pratiquée chez notre malade, cette omission qui n'est pas due à notre volonté, délimite en même temps la portée et la valeur de notre travail » in Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque, p. 303[90]. Lacan avait commencé à s'occuper d'Aimée un an à peine avant de commencer sa propre entrée en psychanalyse sur le divan de Loewenstein en juin 1932[90].
  31. elle ne fit l’objet d’aucun compte-rendu dans la Revue française de psychanalyse, Edouard Pichon l’ignorera également, ainsi que Freud a qui Lacan en avait envoyé un exemplaire[106].
  32. voir R. Crevel, in Le surréalisme au service de la révolution, Paris, mai 1933
  33. « pour la première fois, une idée homogène et totale du phénomène hors des misères mécanistes où s’embourbe la psychiatrie courante. » in Salvador Dalí, Minotaure no 1, Paris, juin 1933
  34. Voir J. Bernier, in Critique sociale, Paris, 1933. Jean Bernier sera son premier analysant
  35. évolution visible dans le premier article de Lacan publié par Le Minotaure où il emploie un vocabulaire marxiste[108] et c'est dans cette perspective qu'il s'intéressa au crime des sœurs Papin[109].
  36. ce texte montre, outre les talents de traduction de Lacan, qu'il acceptait à l'époque la terminologie en vigueur dans la communauté psychanalytique française[73].
  37. trois jours après le suicide de son ancien professeur Gaëtan Gatian de Clérambault
  38. et son seul analysant de longue durée, hors asile, jusqu'en 1939[125].
  39. dont le second prénom est « Image », conformément à la tradition des surnoms de la famille de sa femme, et à ses recherches[142]
  40. chargé de la rédaction du volume VIII nommé La Vie mentale[143]
  41. Rudolph Loewenstein écrit à Marie Bonaparte : « Ce que vous me dites de Lacan est navrant. Il a toujours présenté pour moi une source de conflit, d'une part son manque de qualités de caractère, d'autre part, sa valeur intellectuelle que j'estime hautement, non sans désaccord violent, cependant le malheur est que quoi que nous soyons convenus qu'il continuerait son analyse après son élection, il n'est pas revenu. On ne triche pas sur un point aussi important impunément (ceci entre nous). J'espère bien que ses poulains analysés à la va-vite, c'est-à-dire pas analysés du tout, ne seront pas admis (…) ». Lettre du citée (notamment) dans Célia Bertin, Marie Bonaparte : la dernière Bonaparte, Paris, Perrin, (1re éd. 1982) (ISBN 226201602X), p. 382.
  42. La prise en charge ultérieure, du fait de la guerre et des choix mal éclairés de la famille, sera fatale à l'écrivain qui mourra par défaut de surveillance dans une clinique privée plus confortable en 1948.
  43. Cf. célèbre photographie prise trois mois plus tard par Brassaï lors d'une reconstitution de l'événement quai des Augustins chez Picasso.
  44. Les deux hommes s'étaient rencontrés par l’intermédiaire d’Alexandre Koyré et devinrent amis, ainsi qu'avec Maurice Merleau-Ponty[172]
  45. ou « Poésie et vérité de la névrose »[189]
  46. Retour qu'il date d'ailleurs à 1951[189]
  47. Selon Élisabeth Roudinesco ce dernier « privilégie le moi au détriment de l'inconscient »[196]
  48. Freud ne tranchait pas la question de la possibilité de réduire la psychologie, en dernière analyse, à la biologie. Se reporter au Discours de Rome.
  49. Charles Melman affirmera même : « En premier lieu, il s'est agi pour Lacan de souligner ce que Freud n'a pas pu ou n'a pas osé faire, à savoir montrer combien le langage est ce qui ordonne notre rapport au monde aussi bien qu'à nous-mêmes. »[198].
  50. C'est à elle qu'on en doit la restranscription, le texte en ayant autrement été perdu[207]
  51. De nombreux doutes ont été exprimés quant au fait que la décision de dissolution soit véritablement une décision de Lacan. Roudinesco (op. cit.), tout en citant les opinions contraires, affirme qu'il est probable que la décision soit bien de Lacan lui-même.
  52. Neuf ont été publiés dans la collection Champ freudien des éditions du Seuil, jusqu'au , date à laquelle Jacques-Alain Miller rompt son contrat avec les éditions. Depuis, la publication du Séminaire se poursuit à La Martinière, à un rythme toujours trop lent au goût des spécialistes.
  53. désignée par le « retour à Freud », cf. section supra.
  54. Par exemple : « Comme nous-mêmes faisons du terme de structure un emploi que nous croyons pouvoir autoriser de celui de Claude Lévi-Strauss. » Cf. Perspectives structurales, in La psychanalyse, 1961, no 6, p. 111-147
  55. Les trois anneaux sont indépendants deux à deux mais tiennent ensemble à trois. De même, un mot varie de sens dans son champ sémantique (table au sens de meuble ou table au sens de table des matières par exemple) indépendamment de l'usage qu'un sujet fait de la chose que ce mot désigne (pour écrire ou pour mange par exemple) aussi bien de ce qu'est cette chose (une table à manger ou une table basse par exemple). Pourtant il faut à ce sujet que ce mot (table), corresponde bien à ce qu'il en fait (manger) et ce que c'est (non pas une table basse), pour que le langage ait un sens et que le monde s'organise. Ainsi une dame, comme dans la pièce de Jean Tardieu Un mot pour un autre, accueillant une amie en lui disant "Chère peluche, prenez un tambour et miroitons." se fait parfaitement comprendre alors que le registre symbolique employé ne correspond pas au registre imaginaire du sens commun et encore moins à ce que sont peluches, tambours et miroirs. Ce qui a du sens, c'est la façon dont ces registres s'organisent et coïncident, une structure.
  56. La rencontre antérieure de Lacan avec Georges-Théodule Guilbaud, dès 1950, est essentielle pour comprendre l’utilisation de la topologie par Lacan ; ces deux hommes ont entretenu une « grande amitié » pendant plus de trente ans (ainsi qu'avec Claude Lévi-Strauss), et Lacan faisait régulièrement avec lui des exercices mathématiques et lui demandait son aide pour résoudre des problèmes[254].
  57. Dont Pierre Soury, avec qui il eut un échange épistolaire et personnel très soutenu[255].
  58. A obtenu en 1972 une maîtrise en mathématiques.
  59. « La structure, c'est le langage. » disait Lacan dans sa seule intervention pour la télévision, cf. Télévision, réalisation Benoît Jacquot, 1973. Disponible sur www.ubu.com.
  60. Pour une exposition assez pédagogique de cette conception d'un inconscient actif, opposé à l'inconscient topique, simple lieu accueillant des contenus non-conscients, on peut se reporter aux réponses données par Lacan aux questions posées par les étudiants de la faculté des lettres de Paris in Cahiers pour l’analyse, no 3, Paris, Seuil, octobre, 1975.
  61. On peut voir dans cette théorie l'influence de Claude Lévi-Strauss, mais aussi celle, plus rare chez Lacan, de Ludwig Wittgenstein. En effet, ce dernier a donné tout un cours, édité sous le titre de Remarques sur les couleurs (traduction de Bemerkugen über die Farben par Gérard Granel et Élizabeth Rigal, Mauvezin : Trans-Europ-Repress, 1984, 133 p.) où il souligne le fait que certaines tribus n'ont que deux mots pour les couleurs (un pour les couleurs chaudes et un autre pour les couleurs froides) et sont incapables de reconnaître, au sein des couleurs chaudes, le jaune de l'orange, par exemple.
  62. Cette communication donnée en français à Marienbad en 1936, dont le texte a été perdu, n'est plus accessible que par des notes prises par Françoise Dolto qui n'ont pas encore fait l'objet d'une édition. Pour ce qui est de la réflexion lacanienne sur ce point, on se reportera à l'article de l'encyclopédie française Les complexes familiaux disponible sur internet, ainsi qu'à l'article - très important - Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée, dans l’expérience psychanalytique. Communication faite au XVIe Congrès international de psychanalyse, à Zurich le 17-07-1949. Première version parue dans la Revue Française de Psychanalyse 1949, volume 13, no 4, p. 449-455. Ce stade du miroir reviendra à plusieurs reprises dans l'œuvre de Lacan, en particulier dans le séminaire Les écrits techniques de Freud, ainsi que dans le séminaire sur l'angoisse. Pour une recension de toutes les occurrences du concept dans les séminaires de Lacan, se reporter à H. Krutzen, Jacques Lacan, séminaire, 1952-1980 : index référentiel, Paris : Anthropos : Diffusion, Economica, 2000, 862 p. (ISBN 2717840648).
  63. La littérature consacrée à ce concept clef dans la réflexion de Lacan est par ailleurs abondante. Pour la partie historique, on peut consulter l'article d'Élisabeth Roudinesco, Le stade du miroir, histoire d'une archive introuvable, publié dans Lacan, sous la direction de Jean-Michel Rabaté, coll. les compagnons philosophiques, Bayard, Paris, 2005 (ISBN 2227474963). Pour la partie théorique, on consultera le très complet : Le lasso spéculaire : une étude traversière de l'unité imaginaire, Guy Le Gaufey, Paris : EPEL, 287 p., [1997] (ISBN 9782908855289).
  64. Il ne laissera d'ailleurs plus guère de place au concept de Je à proprement parler, ne lui donnant plus que le statut de shifter au sens ou ce terme est utilisé en grammaire anglaise, et qui est bien rendu par une de ses traductions française, « embrayeur ».
  65. Néanmoins, Guy Le Gaufey, dans l'ouvrage sus-cité, souligne que cette distinction peut aussi bien venir d'un contexte tout à fait différent, c'est-à-dire la lecture des conférences données sous le titre de Méditations cartésiennes par Edmund Husserl et traduites par Pfeiffer et Levinas en 1931 (aux éditions Vrin).
  66. Dès sa thèse lorsqu'il avança l'idée de connaissance paranoïaque.
  67. "Sinthome" est très souvent employé par métonymie pour désigner non une cause, la « part obscure » d'inconscient résiduel constitué, schématiquement par refoulement aussi bien que par forclusion, sans parler de la dénégation, mais un effet, ce que le psychotique non délirant en fait, uns suppléance à l'instar de James Joyce. Parfois même, on trouve alors par allégorie le substantif de « Joyce ».
  68. Pour Abélard, auquel Lacan se réfère, c'eût été de ne pas renvoyer Héloïse à une vie conformiste de recluse dans un Paraclet soumis à l'autorité d'un supérieur masculin. Pour Lacan, c'est par exemple de reconnaître avec quarante-cinq ans de retard son amour pour une femme qu'il a lâchement délaissée par la dédicace d'un exemplaire des Écrits techniques de Freud « Victoria, mon amour » (Cf. O. Quirigoa, Victoria y Lacan Una impensada historia de amor, in Suplementario literario Télam (es) no 109, p. 2, Buenos Aires, ). Lacan ne fait pas justice à Abélard, qui n'a pas tant promu la « bonne intention » qu'assumer par une autobiographie, en cela le premier à le faire, ses désirs les plus inavouables, à la différence de Saint Augustin. Il n'a attendu que quinze ans pour le faire.
  69. Lacan parle de « comptabilité » par opposition à la « culpabilité ». On est comptable de ses lâchetés en termes de symptômes quand on se voudrait comptable devant Dieu, moins de ses propres fautes, quoi qu'on en dise, que de celles des autres.
  70. « Ça était, Je dois devenir »
  71. Cf. supra $ "Sinthome".
  72. C'est ce que fit Alain Juranville dans son ouvrage Lacan et la philosophie, Paris : Presses universitaires de France, 1984, 495 p. (ISBN 9782130382867).
  73. On peut prendre pour exemple les digressions sur le concept de présence que l'on trouve dans le premier séminaire de Lacan. Leur relation avec les réflexions sur l'« ouvertude de l'être » dans la première partie de Être et Temps de Heidegger est assez évidente. Alain Juranville, dans l'ouvrage cité plus haut, affirme que cette influence se voit surtout dans le concept de Réel.
  74. Pour Lacan : « toute vérité a une structure de fiction[299]. »
  75. Le livre Théorie de la religion, (Paris : Gallimard, 1973-1986, 159 p. (ISBN 9782070705771)) donne un exposé systématique de la pensée de Georges Bataille, dans lequel ce concept de réel, proche de l'usage qu'en fait Lacan, est primordial.
  76. Par exemple : « Le ressort de l’amour. Un commentaire du Banquet de Platon » in Le Séminaire VIII : Le transfert (1960-61), Seuil, 1991.
  77. qui accueille Lacan à l'ENS et qui est tenté par le rapprochement de la psychanalyse et du marxisme voir notamment L. Althusser Freud et Lacan, Éditions des grandes têtes molles de notre époque, 1964

    Références

    1. Voir par exemple le commentaire de Pierre Assouline dans L'Histoire : « une biographie de Jacques Lacan, qui reste à ce jour la seule étude historique sur la pensée de cet auteur » in Pierre Assouline, « Élisabeth Roudinesco, le divan et Clio », L'Histoire, Sophia Publications, no 294, (lire en ligne)
    2. (en) Perry Meisel (en), « The Unanalyzable », The New York Times, (lire en ligne)
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    4. Jean Allouch, « Un Jacques Lacan sans guère d’objet ni d'expérience : à propos de l’ouvrage d’Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan : esquisse d’une vie, histoire d'un système de pensée », Littoral, no 38, , p. 121-155 (lire en ligne, consulté le )
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    6. Roudinesco 1993, p. 1520.
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    8. Roudinesco 1993, p. 1516-1519.
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    10. Roudinesco 1993, p. 1521-1522.
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    19. « Fiche de Jean et Joseph », sur IMEC, (consulté le ).
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    21. Revue de l’École Belge de Psychanalyse, "Psychoanalyse", no 4, pp. Bruxelles, 1986, p. 163-187
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    29. N. Jaudel, Lacan, Maurras et les juifs, in La Règle du jeu, Paris, .
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    33. Stéphane Giocanti, Maurras – Le chaos et l'ordre, Flammarion, 2006, p. 324.
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    36. Roudinesco 1993, p. 1528-1529.
    37. B. Ogilvie, Lacan, la formation du concept de sujet (1932-1949), Paris, PUF, coll. « Philosophies », (1re éd. 1987) (ISBN 2-13-042118-0), p. 59-62.
    38. J. Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, p. 337, n. 1, coll. Points essais, Le Seuil, Paris, 1975.
    39. J. von Uexküll Umwelt und Innenwelt der Tiere, Berlin, 1909.
    40. Ogilvie 1993, p. 16-17.
    41. Spinoza, Éthique, II, 49, scolie.
    42. de Baruch Spinoza, « Les hommes se trompent en ce qu'ils s'estiment libres, opinion qui consiste en cela seul qu'ils seraient conscients de leurs actes tout en ignorant les causes par lesquelles ils sont déterminés. Ainsi donc, leur idée de liberté, c'est qu'ils ne connaissent aucune cause à leurs actions. », Éthique, II, 35, scolie.
    43. Ogilvie 1993, p. 63.
    44. Claude Lévi-Strauss, Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, in M. Mauss, Sociologie et anthropologie, p. xvi & xxm, PUF, Paris, 1950.
    45. Roudinesco 1993, p. 1531.
    46. Alajouanine, Delafontaine & J. Lacan, Fixité du regard par hypertonie, prédominant dans le sens vertical avec conservation des mouvements automatico-reflexes; aspect spécial du syndrome de Parinaud par hypertonie associée à un syndrome extrapyramidal avec troubles pseudobulbaires, in Revue neurologique de Paris, t. II, p. 410-418, Société neurologique de Paris, Paris, 1926.
    47. Roudinesco 1993, p. 1537.
    48. En particulier à travers la lecture d'Henri Delacroix, ancien élève de Henri Bergson, Le Langage et la pensée, Paris, F. Alcan, 1930. Il en fait encore, 20 ans plus tard, un usage particulièrement fécond.
    49. Roudinesco 1993, p. 1541.
    50. J. Lévy-Valensi et J. Lacan, « Écrits inspirés : schizographie », AMP, t. II, , p. 508-522.
    51. J. Lacan, Compte-rendu d’un ouvrage d'Henri Ey : Hallucinations et délires, Paris, F. Alcan, 178 p., in L'Évolution psychiatrique, no 1, p. 87-91, Paris, 1935.
    52. Jules Seglas, Les troubles du langage chez les aliénés, 1889.
    53. V. Magnan, Leçons cliniques sur les maladies mentales : le délire chronique, Bureaux du Progrès médical, Paris, 1890.
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    347. La citation donnée sous la figure de droite montre cependant qu'en effet, parfois, « elles ne sont même pas fausses » : comment découper une surface orientable (le tore) à l'aide de surfaces non orientables ?
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    Voir aussi

    Bibliographie

     : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

    Textes de référence utilisés ou commentés par Lacan

    Outre les analyses de l'ensemble de l’œuvre de Freud, Lacan s'est également intéressé à des œuvres non psychanalytiques parmi lesquels on peut citer :

    Ouvrages biographiques et historiques

    • Catherine Clément, Vies et légende de Jacques Lacan, Grasset, Paris, 1981 (ISBN 2246254612), 256 p.
    • Patrick Guyomard, « Jacques Lacan - (1901-1981) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 4 mars 2022. [lire en ligne]
    • Émile Jalley, la psychanalyse pendant et après Lacan, t. 1 : Bion, Blanco, Gaddini, Kohut, Kernberg, Stoller, Robion, L'Harmattan, 2016, 238 p. (ISBN 978-2-343-09872-2)
    • Nathalie Jaudel, La Légende noire de Jacques Lacan : Elisabeth Roudinesco et sa méthode historique, Navarin, Paris, 2014
    • Laurie Laufer (dir.), Lettres à Lacan, Vincennes, Thierry Marchaisse, coll. « Lettres à », (ISBN 978-2-36280-214-0), présentation sur le site de l'éditeur, consulté le , [lire en ligne].
      • Nicolas Evzonas, « Lettres à Lacan, réunies par Laurie Laufer, Paris, Éditions Marchaisse, 2018 », dans « Présentation d’ouvrages », Cliniques méditerranéennes, 2019/2 (no 100), p. 293-301. DOI : 10.3917/cm.100.0293, [lire en ligne]
    • Éric Laurent, « Lacan analysant », La Cause freudienne, 2010/1 (N° 74), p. 16-19. DOI : 10.3917/lcdd.074.0016. [lire en ligne]
    • Jacques-Alain Miller, Vie de Lacan, Paris, Navarin, 2011 (ISBN 2916124098), 24 p. à suivre.
    • J. Baños Orellana, La novela de Lacan. De neopsiquiatra a psicoanalista, El cuenco de plata - Imago, Buenos Aires, 2013 (ISBN 978-987-1772-69-8), 304 p.
    • Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan : Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée, Paris, Fayard, coll. « La Pochothèque », (1re éd. 1993) (ISBN 9782253088516)
    • Élisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, t. 1 et 2, Paris, Fayard, coll. « La Pochothèque », (1re éd. 1994) (ISBN 9782253088516)
    • Élisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, coll. « La Pochothèque », (1re éd. 1997) (ISBN 978-2-253-08854-7), « Lacan Jacques, né Jacques-Marie (1901-1981) », p. 877-889.
    • Jacques Sédat, « Lacan, Jacques-Marie Émile » (article) dans Dictionnaire international de la psychanalyse (dir.: A. de Mijolla), tome 1 A-L, Paris, Hachette Littératures, 2005, p. 945-948.

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    • Joël Dor, Thésaurus Lacan, vol. 2 : Nouvelle bibliographie des travaux de Jacques Lacan, Paris, Epel, 1994.
    • Guy Le Gaufey (dir.), Index des noms propres et des titres d'ouvrages dans l'ensemble des séminaires de J. Lacan, EPEL, (ISBN 2-908855-32-1), 80 p.
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    Introductions à la théorie

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    • Paul-Laurent Assoun, Lacan, « Que sais-je? » No 3660, Paris, PUF, 2003, (ISBN 2130533159)
    • Mark Bracher, Françoise Massardier-Kenney, Marshall W. Alcorn et Ronald J. Corthell, Lacanian Theory of Discourse: Subject, Structure, and Society, New York University Press, New York, (ISBN 0-8147-1299-1) (ISBN 9780814712993).
    • Roland Chemama (dir), Dictionnaire de la psychanalyse. Dictionnaire actuel des signifiants, concepts et mathèmes de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1993, (ISBN 2-03-720222-9)
    • Joël Dor, Introduction à la lecture de Lacan : 1. L'inconscient structuré comme un langage (1985). 2. La structure du sujet (1992), Paris, Denoël, 2002, 555 p. (ISBN 2207254089).
    • Gilbert Diatkine, Jacques Lacan, Presses universitaires de France, (ISBN 213048574X).
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    • Angèle Kremer-Marietti, Lacan et la rhétorique de l'Inconscient, Paris, Aubier-Montaigne, 1978.
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    • Collectif, Lacan, sous la direction de Jean-Michel Rabaté, Paris, Bayard, 2005, coll. « Les compagnons philosophiques » (ISBN 2227474963).
    • Anika Rifflet-Lemaire, Jacques Lacan, Préface de Jacques Lacan, Charles Dessart Éditeur, Bruxelles, 1970, 419 pages, (ISBN 978-2870090879).
    • Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, coll. « La Pochothèque », (1re éd. 1997) (ISBN 978-2-253-08854-7), p. 477-480 (Forclusion), 1071-1073 (Nom-du-père)
    • Thierry Simonelli, Lacan, la théorie. Essai de critique intérieure, Paris, Le Cerf, 2000, coll. « Passages ».

    Études thématiques

    • Jean Allouch, L'Amour Lacan, Paris, Epel, 2009 (ISBN 978-2354270100).
    • Joël Dor, L'a-scientifité de la psychanalyse, Paris, Éditions universitaires, 1989.
    • Claude Jaeglé, Portrait silencieux de Jacques Lacan, Paris, PUF, 2010.
    • Lacan avec les philosophes, ouvrage collectif, Paris, coll. « Bibliothèque du Collège international de philosophie », Albin Michel, 1991.
    • Guy Le Gaufey, Le Lasso spéculaire : une étude traversière de l'unité imaginaire, Paris, EPEL, 1997 (ISBN 2908855283).
    • Patrick Guyomard, La jouissance du tragique, Antigone, Lacan et le désir de l'analyste, Paris, Aubier, 1992.
    • Éric Marty, Lacan et la littérature, Paris, Éditions Manucius, coll. « Le Marteau sans maître », 2005.
    • Jacques Sédat (dir.), Retour à Lacan ?, textes de Michelle Bouraux-Hartemann, Alice Cherki, Monique David-Ménard, Patrick Delaroche… [etc.], Paris, Fayard , 1981.
    • Winnicott avec Lacan, ouvrage collectif dirigé par Catherine et Alain Vanier, Paris, Éditions Hermann, coll. « Psychanalyse », 2010.
    • Markos Zafiropoulos,
      • Lacan et les sciences sociales, Paris, PUF, 2001.
      • Lacan et Lévi-Strauss ou Le retour à Freud 1951-1957, Paris, PUF, 2003.
    Lacan et la philosophie
    • Bernard Baas,
      • Le désir pur (parcours philosophique dans les parages de Jacques Lacan), Louvain, Peeters, 1992, 220 p. (ISBN 90-6831-432-7).
      • De la Chose à l'objet (Jacques Lacan et la traversée de la phénoménologie), Louvain-Paris, Peeters & Vrin, 1998, 256 p. (ISBN 90-429-0702-9).
      • L'écho de l'immémorial (Lacoue – Lacan), préface de Jean-Luc Nancy, éd. Hermann, Paris, 2016, 168 p. (ISBN 9782705691660).
    • Teresa Brennan,
      • A Lacanian Controversy in Feminism, Melbourne University, 1986.
      • History after Lacan, New York, Routledge, 1993.
    • Barbara Cassin, Jacques le sophiste. Lacan, logos et psychanalyse, Paris, Epel, 2008, 260 p. (ISBN 978-2-35427-025-4).
    • Elizabeth Grosz :
      • Jacques Lacan: a Feminist Approach, New York, Routledge, 1995, 218 p.
      • Jacques Lacan: A Feminist Introduction, New York, Routledge, 2002, 224 p.
    • Alain Juranville, Lacan et la philosophie, Paris, PUF, 1984, 495 p. (ISBN 9782130382867).
    • Bertrand Ogilvie, Lacan, le sujet. La formation du concept de sujet, coll. « Philosophies », no 12, Paris, PUF, (ISBN 2130549306)
    • Bernard Sichère, Le Moment lacanien, Paris, Grasset, 1983 ; réédition 2004 (ISBN 9782253130666).
    Lacan et le judaïsme

    Gérard Haddad, Le péché originel de la psychanalyse, Lacan et la question juive, Paris, Seuil, 2007

    Lacan et la religion
    • Pierre Daviot, Jacques Lacan et le sentiment religieux, Toulouse, Erès, 2006 (ISBN 2749206537).
    • Lucrèce Luciani-Zidane, L'Acédie, le vice de forme du christianisme ; de saint Paul à Lacan, Paris, Le Cerf, 2009.
    Lacan et la linguistique
    Mouvement lacanien, lacanisme

    Témoignages

    • F. Perrier, Voyages extraordinaires en Translacanie, Lieu Commun, Paris, 1985, 190 p.
    • P. Rey, Une saison chez Lacan, Laffont, Paris, 1989.
    • Jean-Guy Godin, Jacques Lacan, 5 rue de Lille, Seuil, Paris, 1990, 211 p.
    • O. Corpet et F. Matheron, Jacques Lacan à Louis Althusser, in Louis Althusser, Écrits sur la psychanalyse. Freud et Lacan, Éditions Stock Imec, Paris, 1993.
    • Marc-François Lacan, Dieu n'est pas un assureur. Œuvre 1 - Anthropologie et psychanalyse, préface de Jacques Sédat, Paris, Albin Michel, 2010, (ISBN 978-2-226-20742-5), Présentation sur le site de l'éditeur [lire en ligne]
    • Sybille Lacan, Un père : puzzle, Gallimard, Paris, 1994 (ISBN 2070780546).
    • Collectif, Quartier Lacan, témoignages sur Jacques Lacan, Paris, Denoël, 2001, coll. « L'Espace analytique » (ISBN 2207252531).
    • Jacques Lacan, Deux lettres à Janine Loo, in J. Loo, Mon ami le séducteur — Les petits dépressifs, EPEL, Paris, (ISBN 2-908855-73-9), 110 p.
    • Gérard Haddad, Le Jour où Lacan m’a adopté. Mon analyse avec Lacan, Grasset, Paris, 2002, rééd., coll. Biblio Essais, Le Livre de poche, Paris, 2007, 444 p.
    • Alain Didier-Weill et M. Safouan, Travailler avec Lacan, Aubier, Paris, 2007, rééd. La Pratique de Lacan, (ISBN 9782700724400).
    • Nicole Geblesco, Un amour de transfert. Journal de mon contrôle avec Lacan (1974-1981), Paris, Epel, 2008.
    • C. Jaeglé, Portrait silencieux de Jacques Lacan, Coll. Perspectives Critiques, PUF, Paris, (ISBN 213058098X).
    • P. Chambon, Lacan, la scène, EPEL, Paris, (ISBN 2354270240), 160 p.
    • Gérard Miller, Connaissez-vous Lacan ?, Montparnasse, 2011, DVD, 51 min.
    • Catherine Millot, La Vie avec Lacan, Gallimard, coll. « L’Infini », , 112 p.

    Ouvrages critiques

    • Mikkel Borch-Jacobsen, Lacan, le maître absolu, Paris, Flammarion, 1990, 338 p. (ISBN 2082115445).
    • Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l'analogie : De l'abus des belles-lettres dans la pensée, Raisons d'Agir, 1999 (ISBN 2912107083).
    • Alain Costes, Lacan, le fourvoiement linguistique : la métaphore introuvable, Préface de Jean Laplanche, Paris, PUF, Collection « Voix nouvelles en psychanalyse », 2003, (ISBN 2130529143).
    • Didier Eribon, Échapper à la psychanalyse, Paris, Léo Scheer, 2005 (ISBN 2915280932).
    • François George, L'effet 'yau De Poêle - De Lacan Et Des Lacaniens, Paris, Hachette, 1979. 204 p.
    • Émile Jalley la psychanalyse pendant et après Lacan, t. 2 : Robion Remarques sur Jacques Lacan, L'Harmattan, 2016, 244 p. (ISBN 978-2-336-31186-9)
    • Philippe Laborie, Le patient absent de Jacques Lacan (L'innommable menace), Paris, L'Harmattan, 2002 (ISBN 2-7475-2797-2).
    • François Roustang, Lacan, de l'équivoque à l'impasse, Paris, Minuit, 1986 (ISBN 2707311081).
    • Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles [détail des éditions], 1997.

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