Augustin ou Le Maître est là

Augustin ou Le Maître est là est un roman-fleuve français de Joseph Malègue publié en 1933. Il raconte la vie d'Augustin Méridier, né à la fin des années 1880. Au cours de sa brève existence, cet esprit supérieur rencontre toutes les formes d'amour, complexes et extrêmes, et leurs chagrins.

Augustin ou Le Maître est là

Auteur Joseph Malègue
Pays France
Genre Roman
Lieu de parution Paris
Éditeur Spes
Date de parution 1933
Nombre de pages 900 pages
Chronologie

L'amour filial avec son père, l'amour humain auquel l'initie une splendide jeune fille, Élisabeth de Préfailles, qui l'embrasse maternellement alors qu'il est dans les premières années de son école primaire, l'amour d'amitié à l'École normale supérieure, avec Pierre Largilier. Élisabeth transmet à sa nièce, Anne de Préfailles, la grâce par laquelle elle avait touché Augustin. Anne se veut la fille d'Élisabeth qui s'en veut la mère. Augustin va l'aimer « à en mourir ».

Autre forme d'amour douloureux, le trouble de l'âme perdant la foi lors de la crise moderniste des années 1900 (ces lectures critiques et historiques des Évangiles qui mettent en cause le fondement dans les Écritures des dogmes chrétiens, malmenés par ailleurs par la rationalité moderne), où Émile Poulat voit l'amorce et l'annonce de la crise chrétienne globale depuis Vatican II[1]. Pour Émile Goichot en 1988, on a ici l'exemple unique d'une œuvre de fiction transposant, au cœur d'une intrigue romancière, les problématiques du modernisme intellectuel et, par là-même, l'« annonce » dont parle Poulat de la crise actuelle de l'Église. Elle révélerait « les failles d'un univers culturel démembré » en un temps d'efflorescence intellectuelle et littéraire catholique aussi trompeuse, pour Malègue et ses lecteurs, que la période de rémission d'une maladie mortelle.

La plupart des philosophes, théologiens, critiques qui ont lu le roman ne voient pas en lui la peinture involontaire d'une déroute intellectuelle. Ils soulignent en tout cas le rôle important que Malègue, penseur chrétien reconnu, accorde à l'intelligence dans la démarche de la foi, bien moins mis en évidence, comme le suggère un commentaire américain de 1980[note 1],[2], chez Mauriac ou Bernanos. Pour Victor Brombert, ceci est inusité dans le roman catholique en général. Un autre Américain, William Marceau, compare en 1987 sa « pensée » à celle d'Henri Bergson.

Les critiques littéraires, francophones ou non, soulignent depuis 1933 la valeur de Malègue (malgré plusieurs défauts relevés même par ceux qui l'apprécient) : la finesse de ses analyses psychologiques, son sens de géographe (les paysages de l'Auvergne), d'économiste ou de sociologue (la haute finance, les classes sociales dans Augustin, un récit faisant songer à La Fin des notables de Daniel Halévy dans le roman inachevé Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut). À cela s'ajoute le sens proustien des métaphores chez ce « romancier de génie » que salue Claude Barthe en 2004 et que le Pape François citait dans la seule biographie qui lui est consacrée en 2010 en tant que Cardinal ou dans une homélie récente en tant que pape.

Le roman est réédité par les Éditions du Cerf en . En , Frédéric Gugelot pose la question de savoir si ce roman n'est pas celui de la nouvelle papauté[3].

Titre, dédicace, éditions, appendice posthume, traductions

« Le Maître est là et il t'appelle. » Psautier de York, 1170)

Le titre fait allusion à un passage de l'Évangile connu sous le nom de Résurrection de Lazare. Lazare, le frère de Marthe et Marie, est mort et Jésus se rend à sa sépulture à Béthanie. Marthe l'aperçoit en chemin, réitère sa foi, puis poursuit l'évangéliste, « Ayant dit cela, elle s'en alla appeler sa sœur Marie, lui disant en secret : « Le Maître est là et il t'appelle »[4]. Jean Lebrec signale l'influence d'Antonio Fogazzaro sur Malègue et de son roman Le Saint[5]. Ce roman met en présence de nombreux personnages de tendance moderniste soucieux de renouveler le catholicisme sous l'inspiration d'un saint. Celui-ci, au début de sa vocation, a la vision « sous ses paupières »[6] des mêmes paroles que l'écrivain italien cite en latin : « Magister adest et vocat te » Le Maître est là et il t'appelle »], répétées par la suite à de très nombreuses reprises.

Triste bleu de la couverture et grossièreté du papier des premières éditions, rappelle Jacques Vier qui juge le titre « peut-être malhabile », le prénom écrasant, même si le sous-titre est « plein d'amour reconquis[7]. » La dédicace à l'épouse de l'auteur, Yvonne Pouzin, est en latin : « Hoc tibi opus adscriptum cuius opera scriptum sorori sponsae » : « Que cette œuvre te soit dédiée, à toi par la collaboration affectueuse et attentive de qui elle fut écrite, ma sœur épouse »[8].

Dans les huit premières éditions (de 1933 à 1947), le livre comportait deux tomes : le tome premier de 380 pages et les cinq premières parties ; le tome second, 524 pages et les trois dernières. Il y eut onze éditions : en (3 000 exemplaires à compte d'auteur) (1re éd.), , (10 000) (2e éd.), juin 1935 (9 000) (3e éd.), mars 1940 (6 000, (4e éd.), 1942 (5 000) (5e éd.), 1943 (5 000) (6e éd.), 1944 (16 000) (7e éd.).

Dans la 8e édition en 1947 (15 000), la pagination s'est modifiée, signale M. Tochon[9]. Elle est augmentée d'un appendice posthume, « Le sens d'Augustin », conférence de Malègue faite dans des universités, centres d'études et séminaires en France, Belgique, Pays-Bas et Suisse. Certaines études critiques renvoient à cette édition de 1947, à de précédentes comme celle de 1935 ou d'autres années dont les paginations ne concordent pas toujours. La 5e éd. est utilisée par de nombreux critiques qui utilisent l'œuvre en deux volumes (ou concorde avec elle ainsi qu'avec celle en train de s'élaborer sur Wikisource).

Cette page de Wikipédia se réfère à la 5e éd. de 1942 (pour la version en deux volumes), à la 11e éd. pour celle en un volume et à la réédition de 2014 au Cerf.

L'appendice posthume, publié la première fois en 1947, est suivi d'extraits de lettres reçues par l'auteur et ses réponses. Malègue avait songé dès 1933 à écrire ce commentaire et en faire une préface[10]. Il y expose le problème intellectuel et psychologique d'Augustin, y définit sa propre vision de l'influence du scientisme et du positivisme, analyse comment la notion de « cœur » chez Pascal (rapproché de Kant) est au centre de la façon dont se résout la question exégétique chez Augustin.

Il y eut encore trois éditions (en un tome) en 1953 (5 000) (9e éd.) ; en 1960 5 000 (10e éd.) ; en 1966 (5 000) (11e éd.), sur papier bible et toutes identiques. Le livre a été tiré à 84 000 exemplaires en français[11] ce qui est d'ailleurs noté dans la 11e édition (84e Mille) : 64 000 des 84 000 exemplaires publiés l'ont été l'année de la mort de Malègue ou après, soit les trois-quarts du tirage total jusqu'ici.

Ces renseignements sur les tirages sont publiés aussi bien dans l'ouvrage de Jean Lebrec[11] que dans celui d'Elizabeth MIchaël qui arrête logiquement le décompte en 1957, année de la parution de son livre et qui totalise cette année-là 74 000 exemplaires[12] auxquels viendront s'ajouter les 5 000 exemplaires de 1960 et les 5 000 exemplaires de 1966. Les éditions du Cerf rééditent le roman en .

Outre les traductions en italien et en allemand dont il est question plus bas, le roman aurait dû être traduit en anglais, mais la guerre suspend le projet. Des Jésuites polonais proposent une traduction dans leur langue mais ils ne survivent pas à la guerre. En 1946, les éditions Spes signe un contrat pour une traduction en espagnol qui ne verra jamais le jour[13].

Le Corriere della Sera et La Civiltà Cattolica rééditent ensemble la traduction italienne du roman le dans le cadre d'une collection intitulée Biblioteca di Papa Francesco, une collection éditant les « livres les plus aimés de Jorge Mario Bergoglio[14]. » Ferdinando Castelli signe le jour même un compte rendu dans L’Osservatore romano du Il capolavoro di Joseph Malègue La classe media della santita[15], l'auteur de l'article publie également la préface à cette nouvelle édition d' Augustin ou Le Maître est là en italien sous le titre La classe media della santita[16]

Parution et accueil de l'œuvre

Le journal de Malègue à Londres en (mentions du prénom Augustin, du patronyme Méridier), est l'acte de naissance du livre de 1933. Réécrit de 1921 à 1929, le manuscrit est confié en à Jacques Chevalier, qui, après de nombreuses retouches de l'auteur, le remet () à son éditeur (Plon) qui le refuse[17]. L'éditeur Spes l'accepte finalement début 1932, mais Malègue doit assumer les frais d'impression de 3 000 exemplaires qui sont donc publiés à compte d'auteur le . Malègue en est profondément humilié.

Réception

François Mauriac (1933) : « Cela n'a jamais été fait[18]. »

Malègue est totalement inconnu du monde littéraire, il n'y possède aucune relation. Pourtant, Paul Claudel lui écrit début qu'il est un écrivain alliant « un vigoureux sentiment du concret et une riche intellectualité [...]. Un de ces hommes [...] chez qui la sensation est amplifiée par l'intelligence » et que son livre prouve « que l'on réussit à grouper de vastes ensembles » seulement par « l'idée ». Claudel fait connaître Malègue à Jacques Madaule[19]. Pendant quatre mois, la presse ignore le livre.

Le , il reçoit le Prix de littérature spiritualiste, ratant ainsi le bien plus important Prix Femina, attribué en décembre à Geneviève Fauconnier. Le jury du Femina aurait voulu le lui décerner, mais ne put ni ne voulut couronner un ouvrage déjà primé[20].

Aux 3 000 exemplaires du premier tirage à compte d'auteur, s'en ajoutent 81 000 de 1933 à 1966 à compte d'éditeur : René Wintzen s'étonne donc de ne retrouver ce livre si lu dans aucun des catalogues de livres de poche[21].

Jean Lebrec compte 150 recensions parues de 1933 à 1936 : quotidiens et hebdomadaires de Paris, de province, des pays francophones, d'Europe, au Brésil, en Tunisie). Dans des revues d'idées : La Vie intellectuelle, Esprit, Étvdes, La Terre wallonne, The Irish Monthly, Vasârnap, Vita a Pensiero, Boekenschouw, Schweizerische Rundschau et Robert Poulet, Robert Kemp, Franc-Nohain, Louis Chaigne, André Thérive sont élogieux. Celui-ci affirme cependant qu'il « ne le présente pas comme un chef-d'œuvre. Il oscille entre le sublime et le ridicule, touchant à ces deux pôles tour à tour[22]. »

Hubert Colleye signale également qu'André Thérive qui parle de la « gloire secrète » de Malègue dans Le Temps du [23] considérait la VI Partie du roman Canticum cannticorum « comme mortellement ennuyeuse et d'un style excécrable[24]. ».

Augustin était sorti le avec, dans Journal-Neuilly une mention le lendemain, un compte rendu dans Vérité marocaine le .

L'Action française, le , réagissait de manière également négative dans un article de Gonzague Truc : trouvant la question du modernisme dépassée. Et était tout aussi sévère sur la forme : « Il doit souvenir toutefois à M. Malègue que l’art consiste à choisir, que c’est ne rien dire ou dire très mal que tout dire, que l’appareil scientifique fait du savant une sorte de monstre, qu’enfin c’est la mort du talent que la recherche du talent[25]. »

Malègue est comparé à Marcel Proust, voire jugé par Léopold Levaux supérieur à Bernanos et Mauriac[26]. Ce qui est aussi le sentiment de Paul Doncœur « à la hauteur et parfois supérieur à l'œuvre de François Mauriac[27]. »

En 1974, Victor Brombert estimera en tout cas dans The Intellectual Heroe que l'intelligence humaine – comme dimension de la foi – est plus respectée chez Malègue que chez eux[28] et en 2005 au Colloque La finalité dans les sciences et dans l'histoire, Benoît Neiss estime que Malègue « descend plus profond dans l'âme individuelle »[29]. Gaston Gallimard propose d'éditer les futurs romans de Malègue[30].

L'incrédulité de Thomas d'après Le Caravage (détail). Page de couverture de la réédition d'Augustin ou le Maître est là par les éditions du Cerf en 2014.

Pour André Bellessort, depuis Sous le soleil de Satan aucun roman n'a donné « pareille sensation de vigueur et d'originalité »[31]. Pour Jacques Madaule, Augustin ou Le Maître est là « est le plus grand roman paru en France depuis À la recherche du temps perdu »[32].

Jean Wahl, Jean Daniélou, André Molitor scrutent la pensée dans l'œuvre. En 1934, Paul Doncœur nie tout fidéisme dans le retour à la foi d'un Augustin qui réfléchit sur la valeur intellectuelle tant du modernisme que du catholicisme[33].

Alfred Loisy en fait une longue analyse en envoyée à Jean Guitton (reproduite par Jean Lebrec). Contrairement à Paul Doncœur, il voit Augustin « converti sans être persuadé[34] », par les procédés habituels des « prédications et des missions populaires. » Il met en cause aussi l'abondance des images« Onques ne vit plus abondante accumulation d'images dans le cadre géographique et historique du récit que dans le récit lui-même. Le cadre est aussi voyant et rutilant que possible, non sans quelque recherche de l'effet » et pense également que « la description réaliste du drame tend à en faire oublier l'objet[35] »

Henri Bergson lit attentivement le roman[36]. Maurice Blondel entame une correspondance avec Malègue conservée en partie à l'Institut supérieur de philosophie de Louvain-la-Neuve[37], et aux archives Malègue de l'Institut catholique de Paris.

Pour Claude Barthe, Malègue est devenu à près de 60 ans, avec un seul livre, « un grand de la littérature »[38].

Marie Dutoit des Cahiers protestants de Lausanne, Charly Clerc, professeur de français à l'École polytechnique fédérale de Zurich (« [votre livre me fait] à moi huguenot une impression poignante[39] »), font partie des protestants romands qui deviendront des amis de Malègue.

L’Idée libre, revue de la libre-pensée[40] estime que Malègue, comme catholique, donne une leçon de tolérance, car il admet qu'on puisse perdre la foi pour des raisons seulement intellectuelles[41].

Dans l’Aftenposten d'Oslo du , Gunnar Host écrit qu'il a « la certitude absolue » que Malègue sera toujours d'actualité quand la plupart des écrivains contemporains seront oubliés, ajoutant qu'il n'a aucun doute que Malègue « soit l'un des noms les plus illustres de la littérature française de ce siècle[42]. »

Augustin ou Le Maître est là est traduit en italien en 1935 par le secrétaire de rédaction de L'Osservatore Romano, Renzo E. de Sanctis et publié en feuilleton dans l’Illustrazione Vaticana[39], mais cette première traduction n'est pas intégrale[43]. Une autre traduction, cette fois intégrale, paraît en 1960 sous le titre Agostino Méridier[44]. Elle contient également (dans le troisième tome) l'appendice posthume intitulé Le sens d'Augustin (Il senso di Agostino Mérider). Une traduction allemande sort en 1956[45].

Les essais théologiques ou spirituels seront également lus attentivement et parfois bien recensés comme De L'Annonciation à la nativité en 1935 (traduit en allemand), Petite suite liturgique en 1938. Pénombres paraît en 1939.

En 1939, Hubert Colleye écrit que « les critiques catholiques paraissent avoir été les plus tièdes [...] Ils n'ont pas osé crier au chef-d'œuvre parce qu'ils ont eu peur de la contradiction et qu'ils tiennent pour impossible un chef-d'œuvre catholique. Un écrivain catholique doit être un chapon. Les chapons ne créent pas[46]. »

De la mort de Malègue (en 1940) à 1960

Augustin ou Le Maître est là est réédité l'année de la mort de son auteur en 1940 et six fois de 1942 à 1966, soit 64 000 exemplaires et, sur ce laps de temps suivant son décès, les trois-quarts du tirage total.

Pierre-Henri Simon (1903-1972) : « À côté de Mauriac et Bernanos, il [Malègue] a su, en intellectualisant le drame du chrétien et en approfondissant le problème de la croyance, construire une œuvre valable qui ne leur devait rien »[47]

Louis Chaigne cite Malègue et son Augustin dans son Anthologie de la littérature spirituelle (Paris, Alsatia, 1941). Paul Warlomont publie à Bruxelles en 1942 un recueil (d'extraits d’Augustin) intitulé La Foi dans l'œuvre de Joseph Malègue aux éditions de la Cité chrétienne. Joris Eeckhout (1945) applique le mot de Barrès sur Proust à Malègue : une « incroyable surabondance des enregistrements[48] » et est l'un des premiers à dire qu’Augustin est « l'œuvre d'un penseur et d'un artiste[note 2]. » Roger Aubert dans Le problème de l'acte de foi (1945) acquiesce à la vision de l'acte de foi d' Augustin[49].

En 1947, la veuve de Malègue publie un ouvrage qui lie extraits de textes publiés ou inédits autour de « sept thèmes essentiels[50]. » Henri Clouard, quelque peu de l'avis de Loisy, regrette de voir l'ampleur descriptive du modernisme déboucher sur « la foi du charbonnier[51]. »

Germain Varin (1953) publie la première grande monographie consacrée à Augustin et y évoque Proust[52]. Comme Charles Moeller, auteur la même année d'une lecture théologique et philosophique d' Augustin[53]. Une première biographie paraît en 1957, œuvre d'une protestante américaine[54].

En 1958, sort le roman inachevé Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut. Aurillac n'en est plus le centre, mais Peyrenère-le-Vieil (ville fictive, mélange de plusieurs localités d'Auvergne). Le roman, abouti, aurait constitué avec Augustin « une vaste fresque[55]. » Le lycée de M. Méridier est éloigné de Peyrenère-le-Haut puisque Jean-Paul Vaton (le narrateur) qui habite Peyrenère y est interne. Victor-Henry Debidour, Pierre-Henri Simon, Jacques Madaule, Pierre de Boisdeffre, consacrent de substantielles critiques au roman. Ils reprennent à leur compte la comparaison avec Proust, récurrente chez quasi tous les critiques de 1933 à aujourd'hui. Jean d'Ormesson parle d'un livre « un peu terne, un peu ennuyeux, très beau » où tout est emporté dans un « subtil piétinement[56]. »

Jean Lebrec en signale 80 recensions dont celle de Robert Coiplet dans Le Monde qui choque ses lecteurs : le critique n'évoque pas Augustin. Surpris, Robert Coiplet pose la question de la postérité littéraire dans un nouvel article : « la vraie influence des auteurs » se mesurerait selon lui au « souvenir étonnant » que laissent certains d'entre eux à quelques-uns, souvenir qu'il oppose au bruit qu'ont fait certains auteurs en leur temps[57]. Revenant sur le sujet un mois plus tard, Robert Coiplet (après avoir lu Augustin), considère que Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut lui est supérieur : « Le progrès que montrait Pierres noires fait encore plus regretter que l'auteur ne l'eût pas achevé[58]. »

De 1960 jusqu'à la veille de la réédition du roman (2014)

Claude Barthe (2004) : un style « presque cinématographique[59] ».

Jean Calvet dans son Histoire de la littérature française place Augustin dans les « grands romans religieux », le jugeant « une œuvre profonde et compacte » qui s'impose « par la solidité de pensée et la justesse de l'expression[60]. »

Léon Émery traite des deux romans de Malègue sous un titre qui évoque en quelque mesure l'oubli ou l'ignorance de Malègue, Joseph Malègue, romancier inactuel.

Francesco Casnati, professeur à l'Université catholique du Sacré-Cœur de Milan préface la traduction d' Augustin en italien. Pour lui, la vérité d'un roman vient de sa parenté avec la poésie, pas nécessairement épique, pouvant être celle d'une douce musique, « ce à quoi fait penser continuellement Augustin de la première à la dernière ligne[note 3]. »

Daniel-Rops en 1963, « au terme d'une longue série de jugements enthousiastes », commente Goichot[61] oppose Le Démon de midi (de Paul Bourget), où le modernisme est mal compris selon lui à Augustin « qui a analysé avec une rare lucidité la crise intellectuelle que le modernisme déclencha chez de nombreux croyants[62]. » En 1967, Moeller ajoute à son étude d' Augustin, celle de Pierres noires dans une nouvelle édition de son livre.

Le plus important ouvrage sur Malègue est celui de Jean Lebrec en 1969. Si 200 des 464 pages in octavo sont directement consacrées à Augustin, l'ensemble s'y réfère de façon indirecte[63]. La critique italienne W. Rupolo salue Lebrec en 1985 (mettant en cause aussi des défauts du style maléguien : images fausses, abus d'abstractions, formulations obscures, car il traite à fond de la valeur littéraire de l'œuvre, son style, sa place dans l'histoire littéraire, sa structure narrative), que trop de commentateurs négligent, trop préoccupés par ses enjeux « idéologiques ». Ils ignorent ainsi ce que W. Rupolo croit devoir souligner : réalisme, humour, ironie, sens de la durée, des couleurs, odeurs, sons ajustés aux divers moments de l'intrigue par un écrivain d'exception[64]. W. Marceau (1987) publie à la Stanford University son livre où le « penseur » Malègue[65] est longuement comparé à Bergson[66].

Bernanos (1888-1948). Malègue va dans l'âme individuelle « plus loin que Bernanos. »

Émile Goichot est plus réservé à l'égard du catholicisme de Malègue. Il estime (1988) que, dans la renaissance intellectuelle et littéraire chrétienne des années 1920 -1930, Malègue a, sans le voir en cette euphorie, dépeint un univers catholique intellectuellement démembré, ce que révèlera la crise d'après 1960[67].

De même que Cécile Vanderpelen-Diagre (2004) pour qui la « surabondance des enregistrements » qu'opère Malègue sur le monde catholique révèle la fermeture de cet univers tant sur le plan des mœurs que celui des idées[68].

Pauline Bruley (en 2011) distingue le catholicisme sentimental de Jean Barois du catholicisme intelligent de Malègue, mais dissèque de façon réservée et technique les procédés littéraires dont use Malègue pour évoquer les expériences religieuses ou mystiques dans Augustin[69]. En revanche, Geneviève Mosseray défend (en 1996) ce qui fait à ses yeux l'évidente actualité philosophique et culturelle d' Augustin[70].

Attentif à la « floraison proustienne des métaphores » chez Malègue, aux couleurs liées aux « couleurs de l'âme, » Claude Barthe (2004), admire les « phrases rythmiques pleines de ramifications psychologiques » qui nourrissent aussi, dans Pierres noires, une description « presque cinématographique[71], » de la célèbre Fin des notables de Daniel Halévy.

En 2005 lors d'un colloque organisé par le Centre d'Études et de Prospective sur la science[72], Benoît Neiss analyse la conversion d'Augustin sur son lit de mort, estimant que Malègue y pousse l'art « de descendre dans le mystère de l'âme individuelle plus loin que Bernanos, de traquer là de manière plus analytique ce qu'est le salut personnel, comment chemine subtilement la grâce[73]. »

Replaçant en 2013 le roman dans le contexte européen, Yves Chevrel considère que, au moment où il est publié en 1933, Augustin est « le point d'orgue » d'une série de romans qui abordent des controverses religieuses comme ceux de Mary Augusta Ward (pour Robert Elsmere traitant d'un modernisme avant la lettre se reliant pourtant au modernisme proprement dit selon ce critique), Antonio Fogazzaro (pour Il Santo), Émile Zola (pour Rome), Paul Bourget (pour Le Démon de midi), Roger Martin du Gard (pour Jean Barois), Albert Autin (pour L'Anathème), Édouard Estaunié (pour L'Empreinte), Joris-Karl Huysmans (pour L'Oblat)[74].

De la réédition du roman à aujourd'hui

Sébastien Lapaque, critique au Figaro littéraire : Malègue « est tout aussi génial mais moins connu » que les grands noms de la Renaissance littéraire catholique.

Dans Le Figaro littéraire du , Sébastien Lapaque situe Malègue à partir de réflexions de José Cabanis dans Mauriac, le roman et Dieu.

Cabanis laisse de côté, selon S. Lapaque « les sous-produits de la littérature du salut publiés à la chaîne par les « 3B » (Bourget, Bazin, Bordeaux), à l'époque où la dévotion payait ».

Il relit ceux que Jacques Julliard appellera les « flamboyants » dans L’Argent, Dieu et le Diable : Face au monde moderne avec Péguy, Bernanos, Claudel Flamarion, Paris, 2008[75].

Méditant sur leur relatif oubli, le critique littéraire du Figaro estime que Joseph Malègue est « tout aussi génial mais moins connu[76]. »

Dans La Libre Belgique du , Jacques Franck, considère, comme S. Lapaque, que Malègue est un écrivain du même genre que François Mauriac, Julien Green ou Joris-Karl Huysmans.

Ce sont des écrivains catholiques qui dans l'esprit de Jacques Maritain ont toujours voulu garder leur autonomie vis-à-vis des milieux cléricaux et refusé la littérature édifiante.

Rosace de la cathédrale de Strasbourg en couverture de Augustin albo Pan jest tu.

Il ajoute que « Joseph Malègue s'inscrit dans cette lignée » et considère Augustin ou Le Maître est là comme un « roman hors du commun[77]. »

Augustin ou Le Maître est là a été traduit en polonais en 2020 par Urszula Dambska-Prokop aux édition PIW.

Titre polonais de la traduction : Augustyn albo Pan jest tu[78].

Il est traduit la même année en espagnol par Antonio Millán Alba.

Cette traduction, parue aux éditions Biblioteca de Autores Cristianos, est intitulée Augustin o el maestro está ahí[79].

Les 18 et l'Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne a organisé un colloque international à l'occasion des 80 ans de la mort de l'écrivain (survenue en 1940)[80].

Résumé du roman

I. « Matines ». II. « Le Temps des rameaux nus ». III. « L'Arbre de science »

Aurillac en 1897, soit au temps d'Augustin enfant, compte 17 000 habitants. L'église Saint-Géraud d'Aurillac au centre est la « grande abbatiale » présente dès la première page.

Augustin Méridier naît dans une petite ville de province qu'on peut identifier à Aurillac[note 4]. Son père est un professeur agrégé, issu d'une famille d'instituteurs pauvres, d'une grande intelligence, mais de peu de fermeté ce qui lui vaut l'indiscipline de ses élèves de Seconde et une carrière peu brillante contrastant avec sa grande culture et ses dons exceptionnels. Sa mère, d'un dévouement sans limite, issue d'une famille de paysans riches, est une femme à la piété profonde et qui transmet sa foi à ses enfants.

Il éprouve ses premiers élans de piété, soit lors des dimanches matin à Aurillac soit dans la traversée des gorges du Cantal sur le chemin qui mène au « Grand domaine » des cousins de sa maman, lors des vacances dans la famille de madame Méridier, quand toute la famille s'arrête pour prier à la chapelle de la Font-Sainte. Augustin sera touché à jamais par l'éclat de rire d'une jeune fille de 18 ans [Élisabeth de Préfailles], entendu lors de l'une de ses visites avec son père à son hôtel[note 5].

Les succès scolaires d'Augustin lui procurent d'autres joies, sans compter celle de son père qui voit en son fils celui qui le « vengera » de sa carrière trop médiocre. Au terme de ses études secondaires, en philosophie, Augustin va rencontrer M. Rubensohn et ses doutes quant à la métaphysique traditionnelle. Durant une maladie et le loisir qu'elle lui donne de lire le Mystère de Jésus de Pascal, Augustin éprouve le sentiment d'un appel à la sainteté, au don total à Dieu, auquel il se dérobe. Il lit aussi la Vie de Jésus d'Ernest Renan et subit ainsi sa première grande crise de la foi. Il poursuit alors au lycée Henri-IV deux années de classes préparatoires au concours d'entrée à l'École normale supérieure, tirant profit des leçons d'exégèse de l'abbé Hertzog. Il est reçu cacique au concours.

IV. « Le Grand domaine »

Vue panoramique depuis le plateau de Saint-Cernin avec les montagnes du col de Légal à droite et au centre et le puy Chavaroche à gauche.

Pour Henri Lemaître,

« Originaire de la Haute-Auvergne, Malègue trouve, dans les paysages de son terroir et dans leurs relations profondes avec les êtres, la source d'une exceptionnelle synthèse de réalisme, de symbolisme et de spiritualité [...] celle d'un christianisme redécouvert dans sa pureté[81]. »

La plus brève partie du roman (39 pages) est une nouvelle visite à la ferme des cousins de madame Méridier, qui réveille de nombreux souvenirs de vacances et d'enfance et sert d'adieu à celle-ci ainsi qu'à la Marie-de-chez-nous dont Augustin rêveusement amoureux va apprendre qu'elle rentre au couvent[82]. La ferme est maintenant tenue par le « cousin Jules », paysan rusé et maître implacable. S'y opposent les « esprits positifs » de Jules et son fils (l'abbé Bourret) qui sent Dieu aussi simplement que son père sent « ses intérêts terrestres » et ceux comme Marie à la vocation plus profonde. Et cela tant pendant la visite du « Grand domaine » dont Jules fait faire le tour du propriétaire à Augustin que pendant le pèlerinage à la Font-Sainte auxquels participent les « esprits positifs », surtout soucieux de mettre de leurs côtés les atouts contre « le grand risque éternel[A 1]. »

V. Paradise Lost Le Paradis perdu »)

Les problèmes d'exégèse des évangiles semblent insurmontables à Augustin. En deuxième année de l'École normale, « les cruciales années 1907 », écrit Jean Lebrec (le sommet de la Crise moderniste avec l'excommunication d'Alfred Loisy qui s'annonce), la foi d'Augustin s'effondre au cours d'une nuit de désespoir et de larmes, à l'issue de laquelle son grand ami Pierre Largilier le surprend sans qu'Augustin ne s'en formalise (« Devant toi mon vieux, ça m'est égal »). Jean Lebrec insiste sur le fait qu'Augustin ne parvient que difficilement à choisir entre foi et agnosticisme, mais cette dernière tendance l'emporte. Largilier lui dit que Dieu ne laisse pas errer jusqu'à la fin ceux qui le cherchent sincèrement, il enverrait plutôt un ange. Élisabeth de Préfailles (devenue madame Desgrès des Sablons), invite Augustin dans son appartement de Paris en vue de le charger d'une mission : on lui demande d'accompagner son neveu par alliance Jacques Desgrès en Angleterre pour enrichir sa culture générale à la veille de son bac. Anne de Préfailles est présente, « enfant de dix à douze ans à la beauté câline et sérieuse[82]. » Augustin joue le rôle temporaire d'un précepteur. Il est très heureux de ce voyage, mais au retour, il apprend que son père est mort et n'en peut plus de chagrin. Le « Paradis perdu » de la foi sereine est aussi le paradis perdu d'une enfance marquée par l'immense amour réciproque entre « Le Père et L'Enfant » (Chapitre I de la Partie II « Le Temps des rameaux nus »).

VI. Canticum Canticorum Cantique des Cantiques »)

Dès le début de la Grande guerre, Augustin est fait prisonnier avec sa Compagnie non loin de Charleroi, emmené blessé en Allemagne, examiné par le médecin d'un pays neutre (un ancien collègue), et envoyé par lui à Lausanne pour raisons de santé. Nous le retrouvons une décennie plus tard, dans les années 1920, au début de la VIe Partie du livre, la plus longue, « Canticum Canticorum » (« Cantique des Cantiques »), ce passage de la Bible où est chanté un amour humain extrême semblable à celui que va vivre Augustin.

« Paralogismes de la critique biblique » (Augustin)

Auparavant, Augustin réalise ses travaux de thèse à la Fondation Thiers, devient professeur associé à Harvard et Heidelberg, puis Maître de conférences à l'Université de Lyon, ensuite à la Sorbonne. Dans un article également publié dans les proceedings d'Harvard, « Les Paralogismes de la critique biblique », il juge d'un simple point de vue logique la critique moderniste de la Bible : se voulant sans a priori, elle ne voit pas qu'elle en nourrit un contre le surnaturel et qu'elle commet l'erreur de se penser seule juge de ce qu'est le Christ et, par là, de la validité des dogmes chrétiens.

Selon Geneviève Mosseray, il a là très exactement l’idée de Blondel (elle le fonde sur l'étude des archives de Blondel qui conservent les lettres de Malègue à Blondel sur ce sujet), selon laquelle les faits observables ne s’organisent pas sans une idée qui leur donne un ordre sensé. Dans « Histoire et Dogme », Blondel remarque que les différentes étapes du christianisme reconstituées par l’historien ne s’enchaînent pas de manière déterministe. À chacune de ces étapes on peut faire des choix[83]. Par exemple, à la mort du Christ, les disciples surmontent leur déception à la suite de sa résurrection. Puis, ensuite, autre déception, le Christ ne revient pas comme ils l’attendaient. Mais est-ce dû à l’enthousiasme des disciples ou (écrit Geneviève Mosseray commentant Blondel), « à la volonté de Jésus » ? Elle poursuit en soulignant, dans son article de 2015, paru dans la Nouvelle Revue théologique : « L’historien est tenté de répondre que, n’ayant pas accès à la conscience de Jésus, il est en quelque sorte forcé de chercher une explication naturelle. Mais n’est-ce pas là avouer un préjugé injustifié, à savoir que seule l’explication déterministe est intelligible[84] ? »

À l'approche des vacances, Augustin, toujours célibataire, retourne à Aurillac pour y passer l'été. Les premières lignes de « Canticum Canticorum », décrivent ses retrouvailles avec sa vieille maman et sa sœur Christine. Cette dernière a épousé un invalide de guerre volage l'ayant quittée pour une autre dès la naissance de Bébé, l'enfant de leur union, resté sans prénom dans le roman alors qu'il y intervient à maintes reprises.

Un amour humain à en crier

Quelques jours après ce retour à Aurillac, lors des oraux de licence de juillet, le professeur Méridier interroge à Lyon une étudiante en philosophie, la nièce d'Élisabeth de Préfailles, Anne, dont Augustin tombe amoureux. Lors de l'examen, Anne et lui débattent de la notion, qui ne cesse d'obséder Augustin, d'« expérience religieuse ».

Il est ensuite reçu plusieurs fois au château des Sablons où Anne réside avec sa tante. De plus en plus épris de la jeune fille, son caractère et sa fierté, le fait qu'il n'a jamais aimé auparavant et qu'il n'espère ni n'ose espérer pouvoir être aimé en retour l'empêchent de se déclarer.

Sa dernière rencontre avec Anne « dans la gracieuse intimité des Sablons[85], » se déroule en présence de l'abbé Hertzog, son ancien aumônier de Normale, devenu évêque. Anne et sa famille, sentant qu'Augustin ne se déclarera jamais, chargent Mgr Hertzog de lui faire savoir qu'une demande de sa part ne serait pas refusée, même si des fiançailles officielles ne sont pas envisagées, du moins dans l'immédiat. L'évêque s'acquitte de sa mission dans la voiture qui le mène à la gare où il doit poster des lettres et qui reconduit le futur ou possible fiancé chez lui.

Augustin en éprouve une « effrayante joie ».

VII. « L'Office des morts ». VIII. « Sacrificium vespertinum » (« Sacrifice du soir »)

Il rentre à l'appartement de ses parents, montant l'escalier qui y conduit en portant les roses qu'on lui a remises à l'intention de sa mère et de sa sœur. Leur parfum enivrant s'associe pour toujours à son amour. Il passe la nuit à méditer cette joie, quand, vers quatre heures du matin, retentit dans la nuit le cri effrayant de Bébé. Le médecin diagnostique une méningite tuberculeuse. Pour porter le plus vite possible l'analyse de la ponction faite par le docteur sur l'enfant et prendre l'express de Brioude où se situe le laboratoire, Augustin doit requérir les services de la voiture d'Antoine Bourret, riche marchand de bestiaux. A. Bourret est accompagné de son frère l'abbé Bourret qu'Augustin consulta lors de ses questions sur la critique biblique. L'abbé lui annonce qu'il a perdu également la foi depuis longtemps du fait du modernisme et qu'il se prépare à quitter le sacerdoce pour « rattraper le temps perdu » de sa vie sacerdotale.

Bébé souffre bien du mal diagnostiqué. La maladie cardiaque de madame Méridier s'aggrave. Augustin et sa sœur Christine se relaient aux chevets des deux malades. Qui meurent quasi en même temps. La mère d'Augustin lui dit son espérance de le revoir après la mort, avec son père. Augustin est aussi témoin de la foi de sa sœur face à la mort de Bébé qui la brise à tel point qu'elle s'évanouit à deux reprises. Élisabeth de Préfailles est aux funérailles des deux bien-aimés, dont les cercueils sont placés sous le même catafalque. Avec Anne. Augustin ne la reverra cependant jamais. Le lendemain, il vomit du sang, symptôme clair de la tuberculose pulmonaire dont il était porteur sans le savoir. Il considère comme son « strict devoir » de renoncer à Anne. Mais renonce en quelque sorte aussi à la vie, malgré le pronostic favorable des médecins.

Son ami Largilier vient le voir au sanatorium de Leysin où Augustin est soigné et où il va mourir. Leur dialogue sera la Lutte de Jacob avec l'Ange (titre de ce chapitre). Augustin ne veut voir en lui que l'ami, non le prêtre. Il lui parle de son grand amour, de sa méfiance à l'égard de la critique biblique, de la sainteté qu'il voit en sa sœur. Largilier lui parle de l'Incarnation en s'inspirant du mot d'un athée converti : « Loin que le Christ me soit inintelligible s'il est Dieu, c'est Dieu qui m'est étrange s'il n'est le Christ. » Augustin, philosophiquement fasciné tout au long du roman par l'expérience religieuse est aussi conquis par l'intelligence de la formule de Largilier liée à sa souffrance, à son désir de trouver « l'absolu dans l'expérimental », aux analogies entre la fragilité des témoignages bibliques et la mort du Christ, à la sainteté de Largilier lui-même. Il renoue avec la foi au cœur d'une démarche à laquelle sa vive intelligence consent pleinement et librement, à tel point qu'il retravaille son article d'Harvard sur la critique de la critique biblique et rédige une note de psychologie religieuse sur l'expérience qu'il vient de vivre.

Personnages

Malègue, l'un des premiers écrivains conscients que l'on ne peut faire vivre les personnages de manière superficielle, possède le don de pénétrer dans les âmes à l'aide d'une « très subtile sympathie exploratrice » et d'une sorte de « mimétisme spontané des âmes » à l'égal de « Proust et Newman », pense Lebrec[86]. L'écoulement du temps sert, poursuit-il, à éclairer le rythme de la durée intérieure : « cadence tranquille des parties d'exposition, précipitation à l'intérieur des péripéties et du dénouement[87]. »

Augustin Méridier

Des atavismes venus d'ancêtres paysans cantaliens chez ce grand universitaire (Les Monts du Cantal vus de Saint-Illide)

Seul portrait physique d'Augustin selon Lebrec[88] : teint assez terne, lèvres charnues, ombre de moustache — ensemble sans charme —, mais « deux yeux noirs magnifiques, brillants d'intelligence et de culture[A 2]. » Elizabeth Michaël[89] note le dédain avec lequel il transmet ses vieux jouets aux plus jeunes[A 3]. Il est initié par son père aux disciplines précises et sa mère lui transmet un sens moral élevé[90].

Idéaliste, solitaire, intelligent et orgueilleux[91], selon W. Rupolo, Augustin est, enfant, studieux, scrupuleux, avec une fierté qui était « sa manière d'avoir dix ans. » Son père reporte sur lui ses espoirs de réussite[A 4]. Il est d'une « extrême distinction ascétique et ardente[A 5], » hérite d'ancêtres paysans cantaliens une certaine ivresse de la réussite sociale, une raide assurance, la volonté de chercher seul les solutions aux problèmes. Sa souffrance, d'abord intellectuelle, le marque d'une « incontestable distinction morale[A 6]. » Sa tristesse est « une de ces tristesses qui n'aiment pas être consolées[A 6]. »

Il éprouve le sentiment (Lebrec), de s'être élevé au niveau « des intérêts éternels » (orgueil qui plaît à beaucoup de lecteurs[92]), quand il est Cacique (premier) au concours d'entrée à Normale. Éprouvant pour les siens une gratitude immense, il se cache pour pleurer, veut leur envoyer un télégramme avec les mots « immense tendresse », mais se ravise, par crainte que les employés du télégraphe ne les lisent[A 7]. Le jour même, son camarade Zeller rentre au Grand séminaire, par dégoût pour l'idole de « la haute culture ».

Philosophe jusqu'à sa mort, il rédige peu avant celle-ci une note de psychologie religieuse intitulée « Deux cas de devancement pratiques de la certitude ». Elle rapproche le fait qu'il ait consenti à se confesser à Largilier du pari de Pascal, les deux démarches présupposant à ses yeux une humilité de l'ordre de la conduite intelligente, renouvelant aussi la manière de comprendre le pari selon Lebrec[93]. Il réécrit aussi sa critique de la critique biblique.

Il meurt peu après avoir éprouvé un malaise habituel à son état dont il pressent que plus personne ne le débarrassera. « Cette faiblesse eut l'idée de s'offrir à Dieu, comme lui-même avait appris à le faire de ses peines autrefois, » écrit Malègue, chose que désirait ardemment Augustin et qui s'accomplit au plus profond au moment d'entrer « dans la douce et miséricordieuse mort[A 8], » une façon, selon Lebrec, de donner suite à l'appel de Dieu à se donner tout entier qu'il avait entendu à 16 ans[93].

Monsieur et madame Méridier

Le père d'Augustin Méridier est un brillant intellectuel : dépourvu d'autorité dans sa classe, embarrassé de son corps, il se tient à la frontière de la foi chrétienne, fume pendant la prière du soir familiale. Il manque du sens pratique dont madame Méridier, profondément croyante, est dotée en même temps que du sens des autres. Lors de la pleurésie dont souffre Augustin à 16 ans, Wanda Rupolo cite ce passage démontrant à ses yeux l'excellence du style de Malègue avec son insistance sur les mains de personnages : celles du père d'Augustin ne sachant porter porter ni tasses ni remèdes qui pourtant « s'embarrassaient néanmoins dans l'air comme si elles les portaient », alors que même au repos celles de sa mère « restaient actives, subtiles, douces et pleines de force[94]. »

Pour J. Lebrec, « Monsieur Méridier adore en Augustin un enfant dont il sait qu'il va mieux réussir que lui[95]. » Il cite le passage mis également en évidence par Elizabeth Michaël[96] où s'exprime l'amour qui gonfle le cœur du professeur malheureux, interrogé par un collègue sur la joie que lui procure son fils et qui lui répond affirmativement, surtout soucieux d'en laisser paraître le moins possible « de l'air brusque, hâtif et confus dont on mange un gâteau qu'on ne partagera pas[A 9]. » Moeller a bien vu que M.Méridier est enchanté de la ferveur de son fils pour les humanités gréco-latines et qu'entre eux se tissent un amour immense plein de respect réciproque[97]. Quand Augustin apprend que son père est chahuté il défie avec mépris des élèves plus âgés qui l'en ont informé. Entre le père et le fils ce drame reste un secret paradoxal : « Aucun d'eux ne le dit jamais à l'autre mais il savait qu'il le savait[A 10]. »

Quand madame Méridier agonise, elle dialogue avec son fils, dialogue essoufflé du fait de sa maladie cardiaque, entrecoupé de silences où l'on n'entend que les souffles de la malade. Elle dit à Augustin qu'ils se reverront bientôt, en ajoutant le « Tu verras » qu'elle utilisait quand elle préparait des surprises pour l'enfant Augustin ce qui crève le cœur de l'adulte (qui, à cette époque, n'est plus croyant)[A 11].

Christine Méridier

Christine Méridier fait ses humanités chez des religieuses, ce qui lui attire les moqueries d'Augustin, étudiant dans le public. Malègue décrit ses « vastes yeux » ouverts dans une « figure ronde » tenant à la main un paroissien plein d'images de première Communion de ses amies et « tassée contre sa mère[A 12]. » Devenue sévrienne, elle épouse un blessé de guerre qui la quitte pour une autre lui laissant « en gage, comme à pigeon vole, un petit garçon de trois semaines ».

Quand, au début de « Canticum Canticorum », Augustin rejoint sa famille, l'enfant a maintenant plus d'un an. Augustin, selon Malègue, comprend que sa sœur ne garde plus trace de cet abandon car « Cette soif de tendresse avait enfin trouvé où boire[A 13]. » Mais son enfant meurt, Augustin l'ayant contaminé de la tuberculose qu'il couve mais qui ne s'est pas encore déclarée chez lui. Christine l'habille somptueusement, puis s'écrie « Mon petit enfant bien-aimé ! », ce qui la fait s'évanouir[A 14]. Elle s'évanouira une seconde fois après la mort de madame Méridier. Elle accompagne Augustin jusqu'à sa mort et le roman se conclut sur sa grande détresse, fidèle à Dieu malgré son silence, se sentant (derniers mots du roman) « prodigieusement seule[A 15]. »

Élisabeth de Préfailles

Charles Wellington Furse: Portrait of a Lady (1894)

Augustin a sept ans quand il rencontre Élisabeth de Préfailles, âgée de 18 ans. À la sortie de la messe. Mais sa timidité se refuse à la saluer. Lors d'une visite avec son père à l'hôtel des Préfailles. Où la jeune fille fait entendre de loin : « un éclat de rire d'une grâce mordante[A 16], » arrive, prend Augustin dans ses bras, lui procurant plaisir et bonheur inédits : « le capturant, le ravissant[A 17]. » Paralysé par la timidité durant la brève conversation qu'elle a avec lui et son père, il se retourne quand elle s'en va pour la voir encore : elle le salue de sa main gantée de blanc provoquant en lui joie et confusion[A 17].

W. Rupolo signale que Malègue rappelle cet ancien « rire d'une grâce mordante » quand Augustin à 20 ans se retrouve à Paris face à Élisabeth alors mariée, dans l'hôtel qu'elle y occupe[A 18]. Pour Lebrec, les émois de l'enfant et de l'adolescent auront des répercussions dans la passion qu'il nourrira pour Anne, la nièce d'Élisabeth. Augustin le laisse entendre par « certaines paroles qui entrouvrent des abîmes[98], » quand il avoue à Pierre Largilier sur son lit de mort qu'il avait aimé Anne depuis son enfance « bien que les émotions dont elle était le centre ne s'appliquassent pas initialement à elle[A 19]. » Elle est, dit Jacques Vier, « la révélation du monde où Anne doit naître[99]. » Lorsque Augustin veut définir la beauté de sa nièce qui hérite de sa grâce il hésite longtemps pour le faire entre Antoine Watteau ou Charles Wellington Furse.

Pierre Largilier

À l'École Normale, Largilier entretient avec Bernier, Zeller et surtout Augustin une amitié très profonde. Léon Émery considère que, pour eux, prendre position « à l'égard de la science et de la foi[100]. », constitue la préoccupation principale. Mais leurs discussions, pense Malègue, se perdent dans l'irréel de débats détachés de l'expérience et de la dureté de la vie dont ils sont conscients, surtout Largilier : « « Dans notre enfance », disait Largilier, « nous jouions à l'explorateur et au soldat. Nous continuons de jouer »[A 20]. » Largilier, est passé des mathématiques à la section de physique et de chimie. Autre aspect de ces discussions qui opposent également libre-penseurs et croyants, les affirmations partent des premiers et les répliques viennent des croyants, les positions des libre-penseurs étant plus logiquement naturellement enclines à se décliner publiquement que celles des croyants qui jaillissent de quelque chose de plus intime[A 21].

Lebrec voit en Largilier « un mystique en même temps qu'un savant[101]. » De petite taille, il a des « yeux bleu de lin, curieusement lointains et idéalistes, en retrait des spectacles immédiats, réservés pour des technicités très élaborées », un sourire les rendant « pénétrants et doux », ce qui le met de plain-pied avec tout interlocuteur, les cheveux blonds coupés ras d'un frère convers. Il pose sur la table ses deux poings fermés « aux poignets osseux », exposant ainsi « ingénument des boutons de manchettes pauvres[A 22]. » Largilier assimile les cours avec une aisance prodigieuse. Il se fait jésuite mais la Compagnie lui demande de poursuivre ses travaux scientifiques : on imagine qu'il pourrait recevoir le Prix Nobel.

Anne de Préfailles

Antoine Watteau, Les Bergers, (détail au centre du tableau dont il est tiré)

Nièce d'Élisabeth de Préfailles, orpheline de mère et de père, Anne considère sa tante comme sa mère qui la considère comme sa fille. Elle a entre 20 et 25 ans quand elle présente un examen chez Augustin, « fine et grave[A 23]. » Jean Lebrec la décrit au physique : elle est réserve et hauteur, avec quelque chose de jeune et de fléchissant « dans les longues lignes de sa beauté », des cheveux châtains « aux courbes tendres » réunies en chignon, un visage de « rêveuse et désespérante réserve », deux yeux bleu sombre, « de fines lèvres volontaires[102]. » Le physique se retrouve au moral, pense-t-il : elle est « décision et dédaigneuse grâce », rêverie et « glaciale ardeur », réserve et « sûreté de soi » teintée d' « idéalisme nostalgique[102]. » Francesco Casnati écrit pour elle :

« Lascio ai lettori di dilettarsi nelle luminose pagine che presentano questa creatura, in cui appare qualcosa insieme di altero e di malinconico, un involontario splendore, un silenzio di principessa prigioniera, un'aria di reserva e di ardore, un'alta attrattiva inaccessibile[103]. »

« Je laisse aux lecteurs la joie de découvrir les pages lumineuses qui décrivent cette femme, en qui apparaît quelque chose à la fois d'altier et mélancolique, une involontaire spendeur, un silence de princesse captive, un air de réserve et d'ardeur, une haute attirance inaccessible. »

Elle parle peu, mais avec détermination, « pleine de Dieu », dit Malègue[A 24], comme lorsqu'elle présente son examen chez Augustin. Elle veut fonder une École normale secondaire d'enseignement libre de jeunes filles, sur le modèle de celles de Madeleine Daniélou pense Lebrec. Sa réserve marque l'attrait qu'elle a pour Augustin, « sachant », dit Lebrec, « qu'elle y engage sa vie spirituelle elle-même[102]. ». Tout ceci entrecoupé de beaux sourires, de chaleureuses conversations et, quand elle complote avec tante et oncle la mission réservée à Mgr Hertzog de faire savoir son début de consentement à Augustin, d'une « timidité heureuse ». Augustin, après avoir appris qu'il est tuberculeux, lui fait parvenir à elle et sa tante une lettre sèche et froide, sorte de lettre de rupture, mais dont la justification pourrait être l'impossibilité dans laquelle Augustin se voit de lui imposer d'attendre un rétablissement qui lui prendra peut-être deux ou trois ans (Christine n'approuve pas cette façon de voir contrairement à ce que fera Largilier, certes plus tard quand Augustin est déjà condamné). Jean Lebrec observe alors que le romancier l'abandonne au mystère d'où elle émerge sans jamais tout à fait en sortir[102]. Son nom vient de la ville de Préfailles[A 25]. Lebrec la compare à Yvonne de Galais dans Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, mais elle a plus d'épaisseur, se montre active et généreuse, trait du réalisme maléguien selon Lebrec[104].

L'abbé Bourret

Au cours de ses doutes sur la foi, Augustin va consulter le fils du cousin Jules (du « Grand Domaine ») exégète, l'abbé Bourret. Il fait penser à Loisy selon Claude Barthe[note 6]. Mais aussi à l'abbé Cénabre de L'Imposture de Georges Bernanos (ou encore selon Joseph Turmel d'après Lebrec). Ce prêtre moderniste envisage de quitter l'Église[105]. Il exercera son ministère (jusqu'à sa dernière apparition dans Augustin), avec les apparences de la conviction et la résolution de le quitter le plus tôt possible. Loisy, dans le texte confié à Jean Guitton et à remettre à Malègue, est choqué par ce personnage qui va jusqu'à proposer à Augustin (qui sait son incroyance) d'administrer les derniers sacrements à sa mère. Il souligne surtout l'invraisemblance de ce représentant du modernisme[106]. Dès la première rencontre avec lui Augustin pense qu'il ne lui apportera rien[A 26].

L'abbé Bourret réapparaît lors d'un déplacement d'Augustin et lui-même dans la voiture du frère de l'abbé, marchand de bestiaux. Durant les arrêts parfois fort longs de la voiture sur les hauts plateaux surplombant les gorges du Cantal (nécessités par les affaires du conducteur avec les fermiers le long de la route), l'abbé se confie longuement. Formé aux méthodes positives de l'exégèse, il avoue à Augustin que, pour lui, l'éclairage de la mystique est vain. Mais il se sent « déraciné de son passé », raconte à Augustin la nuit d'insomnie où il a perdu la foi, l'angoisse qui a monté avec le souvenir des conversations pieuses de sa jeunesse au Grand-Séminaire de Saint-Flour. Il en est vite venu à une incroyance sereine et la dernière visite qu'il rendra à Augustin sera pour solliciter sa bienveillance lors de la défense de sa thèse (Augustin devait faire partie du jury), qui lui vaudrait une maîtrise de conférence dans une université de province l'aidant à se libérer matériellement de son état ecclésiastique. Le roman laisse dans l'ombre ce que sera sa destinée et le personnage est complexe. Pour Émile Goichot, la mention honorable qu'il obtient pour sa thèse lui ferme très probablement les portes de l'université qu'il avait espéré entrouvrir[107]. Malègue, selon Goichot, met du côté de celui [Augustin] qui renoue avec la foi intelligence, haute culture, inquiétude métaphysique, noblesse morale et, du côté de celui qui la renie [Bourret], un savoir étriqué, une vulgarité d'âme, des calculs médiocres, de sorte, pense-t-il, que « les dés étaient pipés[108]. »

Autres personnages

La faneuse de Julien Dupré: comme la Marie de chez nous dans Le grand domaine.

Des acteurs discrets mais de poids

L'arrière-grand-mère d'Augustin, l'abbé Amplepuis de son enfance pieuse et d'autres prêtres, les condisciples du lycée ou de Normale, le Président Marguillier, grand politique local, de nombreux médecins, Rubensohn, le professeur de philosophie, la Marie-de-chez-nous, belle jeune fille, farouche et toute donnée à Dieu, le frère de l'abbé Bourret contribuent grandement à donner son épaisseur au récit.

Comme la Mère Rambaud, une dentellière, discrètement efficace durant « L'Office des morts » et aux débuts de la maladie qui emportera Augustin, vieille femme « pleine de peine, de pitié et de la notion nette des irréductibles choses matérielles », vivant avec une voisine « toutes portes ouvertes, dans le communisme de la pauvreté, »[A 27] humble par conviction religieuse et distinguée, possédant le sens du malheur.

Comme Henri Desgrès, personnage de la haute finance, « une de ces puissances dont [...] peut dépendre à l'occasion la vie des peuples » : Louis Platet, caissier honoraire à la Banque de France, assura Malègue avoir rencontré cette sorte de personnage[109]. Quand Augustin reçoit la mission d'accompagner un de ses neveux en Angleterre, il observe le « regard concentré, triste et persistant dont il entourait madame Desgrès des Sablons » (Élisabeth de Préfailles mariée au frère d'Henri, Paul).

Bien plus tard, quand il voit Anne aux Sablons, Augustin constate la persistance de l'étrange relation de cet homme, veuf depuis longtemps, avec Élisabeth, leur tendresse inassouvie, satisfaite d'être côte à côte, tournée en dévouement absolu, toute autre solution étant impossible pour diverses raisons et à cause de Anne leur nièce et quasiment leur fille (nièce d'Élisabeth et nièce par alliance d'Henri)[A 28]. Désespérant de faire d'Anne son épouse, Augustin, convaincu qu'il ne pourra se passer d'elle, imagine pour elle et lui un compagnonnage du même type. Quand Mgr Hertzog fait savoir à Augustin le possible consentement d'Anne, il rapporte les paroles suivantes : « Ce jeune homme ne parlera jamais. La première démarche doit venir d'ici[A 29]. » Elles sont d'Henri Desgrès.

Les grands professeurs

Durant ses difficultés spirituelles, Augustin pense aller voir son professeur de philosophie Victor Delbos[note 7]. Augustin ne peut lui parler, soit en raison de sa réticence à mêler un tiers à ses débats intérieurs, soit parce que pensant qu'il ne pouvait résoudre son problème, soit parce que Delbos chrétien convaincu et professeur scrupuleux distinguait convictions et vie professionnelle[A 30].

Henri Bergson (1859-1941)

Malègue décrit Augustin assistant à la leçon d'un professeur qui se déroule en présence d'une assistance mondaine et avec le rituel propre aux leçons de Bergson au Collège de France[110] : (l'abat-jour, les notes dont il ne se sert jamais)[A 31]. Jean Lebrec pense plutôt qu'il s'agit de Frédéric Rauh, mais Bergson est constamment présent dans ce roman.

Jules Lachelier apparaît sous ce nom lors de sa dernière année d'inspection générale et à la question que lui pose Lachelier sur Œdipe roi, Augustin répond qu'il connaît par cœur la fameuse strophe chantée par les vieillards thébains sur le seul bonheur de l'homme qui est de croire qu'il l'est[A 32]. Lebrec rapproche aussi Guillaume Pouget de Mgr Hertzog en estimant que le Père Pouget (nom par lequel on désigne le plus souvent Guillaume Pouget) joua de façon plus efficace auprès de Malègue lui-même ou d'amis de Malègue comme Jacques Chevalier et Robert Hertz le rôle supposé bienfaisant de l'abbé Hertzog [futur Mgr Hertzog] du Lycée Henri-IV auprès d'Augustin[111], mais qui va s'avérer un échec pour le héros du roman.

Structure narrative

Augustin ou Le Maître est là participe, selon Lebrec, du roman tragique qui, sous l'influence de Tolstoï, a succédé au roman de mœurs en France en 1920 (Jules Romains ou Roger Martin du Gard). Selon Lebrec, par l'acuité des observations et des analyses, Malègue est comparable à Marcel Proust[112].

Au départ (en 1912 et 1913), Malègue faisait commencer le roman avec la Partie VI « Canticum, Canticorum » suivie de « L'Office des morts » et de « Sacrificium vespertinum » (intitulées autrement).

Malègue comptait, en cette première ébauche, au long d'un roman qui aurait commencé avec le chapitre I de « Canticum Canticorum », intitulé « Le Retour », seulement évoquer l'enfance et la jeunesse d'Augustin. Par le procédé du retour en arrière ou de l'analepse (le flashback au cinéma). 15 pages manuscrites de cette ébauche (de 1912) sont le début de « Le Retour ».

L'épouse de Malègue le persuada d'évoquer l'enfance et la jeunesse d'Augustin, directement. Ce sont les cinq premières parties de la version définitive d' Augustin ou Le Maître est là : « Matines », « Le Temps des rameaux nus », « l'Arbre de science » « Paradise lost » « Le Grand domaine ».

Première mention manuscrite d'Augustin Méridier février 1912 dans le « Registre bleu », Londres, 21 décembre 1911-11 février 1912, première ébauche d’Augustin.

Elles couvrent toute la vie d'Augustin sauf les quelque six mois qui le mènent d'un grand amour à la mort. En dépit du fait que le roman ait été totalement refondu au cours d'une dizaine d'années de travail intense, ces cinq premières parties ont une tonalité différente des trois dernières[113] : l'allure du récit n'y est pas forcée, alors qu'elle l'est dès « Le Cri dans la nuit », premier chapitre de « L'Office des morts » qui, brutalement, succède à « Canticum Canticorum ».

Même si Wanda Rupolo se plaint de ce que le roman ait été trop examiné au point de vue idéologique[114], par nombre de théologiens, philosophes ou prêtres, un chrétien laïc aussi engagé que Léopold Levaux y voit d'abord, dès les années 1930, un « roman d'amour » et même d'un « amour humain à crier[115]. » Il est rejoint sur ce point par le Père Carré qui, longtemps après, au début de ce siècle, intitule les pages consacrées à l' Augustin de Malègue : « L'amour et la mort[116]. »

Caractère déterminant de l'intrigue amoureuse. La simili-résignation

Le Château de Pesteils, bâtisse aux « parties très anciennes » et aux « vastes toits compliqués »[A 33], à la même distance d'Aurillac que les Sablons.

Cette intrigue amoureuse est le centre du récit. Jacques Chevalier prétend que lorsque Malègue lui remet le manuscrit du roman le , il lui donne quelques conseils et qu'à la suite de ceux-ci l'écrivain « développa le chamant épisode d'Anne de Préfailles[117]. » Or dans une lettre à un lecteur citée par Lebrec, Malègue explique qu'il a toujours voulu faire de cela « le centre sentimental[118] » de son livre, ce qui, selon le même Lebrec, contredit l'assertion de Chevalier.

Deux femmes, selon Benoît Neiss, illuminent cette histoire d'amour, deux aristocrates, Élisabeth de Préfailles et sa nièce, Anne de Préfailles. Avec « l'histoire d'une âme », écrit-il, ces deux rencontres d'Augustin sont « l'un des principaux fils de l'intrigue » : Élisabeth est la lumière radieuse de la première moitié du roman, Anne celle de la seconde moitié[119].

Ce lien entre les deux femmes s'enracine au plus profond du cœur d'Augustin, mais, par une sorte de nouveau surcroît venu d'Élisabeth, celui-ci sent aussi, fortement, en la mystérieuse et chaste relation qui la lie passionnément à son beau-frère Henri Desgrès, ce qui pourrait fonder, au-delà de son désespoir d'avoir jamais Anne, un rapport avec elle éloigné justement de toute possession.

Augustin, prend clairement conscience dans la VIe Partie du livre « Canticum, Canticorum » - la plus longue - que ses émotions les plus belles avaient toujours tourné autour des Sablons, le château des deux femmes. Fondant l'intuition du Père Carré qui avait « deviné dès le début que l'échec surviendrait[120], » Jean Lebrec remarque que Malègue fait dire à Augustin que sans Anne il avait le sentiment que la vie lui serait « mort et tombeau » de sorte que, pense Lebrec, lorsqu'il perd Anne du fait de la maladie qui va l'éloigner d'elle au moins plusieurs années (les soins nécessités par sa tuberculose), il renonce à vivre : « il a bu le philtre dont effectivement il mourra[121]. »

Par une lettre vague et d'une grande séchresse, Augustin laisse entendre à Anne et sa tante qu'il ne peut plus poursuivre les relations qu'il entretenait avec elle[A 34]. À laquelle la seule Élisabeth répond sur le même ton[A 35]. Suit alors ce que Malègue appellera plus tard la « simili-résignation » d'Augustin à la suite de ces deux lettres exprimant à mots couverts une rupture[A 36].

Le roman mis en abyme

L'auteur d' Augustin nous révèle le principe de composition du roman en faisant parler son personnage central qui, décrivant sa destinée quand il se sait condamné, la voit se décliner en trois « Actes »[A 37]. Cette mise en abyme du roman est relevée par Jean Lebrec et Geneviève Mosseray (qui y discerne la clé philosophique blondélienne du livre).

L' « Acte I », ce sont les quatre premières parties : les impressions d'enfance dans la « petite cité » (Aurillac), puis sur les « hautes terres » (les Monts du Cantal). La découverte de la sexualité et du désir. Les premiers doutes sur la foi (surmontés), l'appel (refusé) à donner tout, la lecture de Renan, une nouvelle rencontre avec Élisabeth de Préfailles âgée de 27 ans. Puis la vocation religieuse de la « Marie de chez nous ». Tableaux successifs à la façon de Flaubert où, pense Lebrec, à chaque tranche de vie, Malègue recrée une « atmosphère nouvelle[112]. »

L' « Acte II », ce sont « Paradise lost » (perte de la foi), « Canticum Canticorum » (Anne de Préfailles) et « L'Office des morts » (mort de Bébé et de madame Méridier, Augustin qui apprend qu'il est atteint de la tuberculose). La perte de la foi précède de peu la mort de monsieur Méridier, les deux événements liant les « paradis perdus » tant de la foi sereine que de l'enfance[122]. Les années qui séparent « Paradise lost » de « Canticum Canticorum » (dont le premier chapitre est « Le Retour »), sont celles de la carrière universitaire interrompue par la Grande Guerre.

Cet « Acte » comprend deux tableaux : a. la perte de la foi due à la critique biblique, b. la remise en cause de cette critique d'un pur point de vue logique dans l'article d'Harvard « Les Paralogismes de la critique biblique » (les « Paralogismes » qui soulignent 1. la contradiction de l'exégèse rationaliste, se voulant sans a priori, qui en nourrit un contre le surnaturel, 2. l'erreur de penser que les faits historiques bruts puissent par eux seuls donner le sens profond du christianisme). Il y faut voir l'influence du Père Lagrange[123] ou encore du Père Pouget[124]. L'amour pour Anne, lente montée vers les « hauts sommets » du bonheur humain (Lebrec) s'interrompt brutalement avec le « Cri dans la nuit », révélant que l'inquiétude de Christine pour Bébé était fondée[125], « L'Office des morts ».

L' « Acte III », commence avec la dernière partie (« Sacrificium vespertinum », le sacrifice du soir), où Augustin résume son destin (encore non accompli mais près de prendre forme avec sa mort), en trois « Actes », dont l'Acte III évoqué pour cette dernière partie du roman - par lequel Augustin dérisoirise son destin - qui est « l’apparition de l’Ange » [soit Anne de Préfailles] qui (dit Augustin avec ironie) « reconquiert le jeune héros » et où sarcastiquement il place Mgr Hertzog qui bénirait son union avec Anne[A 37]! Un Ange interviendra, pas celui prévu par la mise en abîme ironique, mais Largilier.

Selon G. Mosseray, le deuxième tableau de l' « Acte II » correspond en partie à ce que dit Blondel de l'impuissance de la critique historique - si elle demeure seule - à dire qui est le Christ (Augustin pense, lui, à l'« Acte II » - ce qui en est proche - que cette critique ne peut déterminer ni en faveur de la foi, ni en sa défaveur). Cette compréhension du Christ suppose aussi la Tradition - vie, expérience, prière, amour de ceux qui ont foi en lui depuis 2 000 ans -, Tradition incarnée dans le roman par Christine Méridier, sa mère, Anne que Largilier, Ange non prévu, représente et va rendre opératoire (retour d'Augustin à la foi), à la fin de l' « Acte III ».

Échos intérieurs

Ce principe de composition met en jeu, selon Jean Lebrec, par exemple deux séries de personnages, ceux qui font de leur vie la réponse à un appel mystique comme Christine, Largilier et les esprits positifs fermés au spirituel comme le Cousin Jules, l'abbé Bourret et son frère, Paul Desgrès des Sablons (mari d'Élisabeth de Préfailles). Le héros se trouve entre les deux genres[126].

Dans le rêve d'Augustin en son très court sommeil au cours de la nuit de la perte de la foi, la nuit est, comme le soir de la lecture de Musset, « rousse et blonde », les Sablons présents de même qu'Élisabeth et son bras nu sur le palissandre de couleur sombre d'un piano à queue, ou celui de la jeune femme vue auprès d'elle aux Sablons, une parente, les deux femmes ayant été entrevues à nouveau quelques semaines auparavant dans Paris, alors qu'il est lui-même en compagnie de Jean-Paul Vaton, un ancien du lycée d'Aurillac[A 38].

L'explication du charme de la danse inspirée de Bergson trouve son écho dans une méditation sur la beauté humaine, laquelle fait elle-même écho à la beauté de Anne en présence de qui Augustin disserte (écho si évident qu'après avoir fait ce lien, Augustin, terrifié à l'idée de se déclarer, s'en veut beaucoup).

La méditation pascalienne d'Augustin adolescent (Le Mystère de Jésus), et celle d'Augustin mourant. Le récit de la perte de la foi presque sans drame chez l'abbé Bourret et la crise douloureuse qu'a subie Augustin.

La rhapsodie de Liszt entendue aux Sablons en compagnie d'Anne et la même musique entendue par Augustin venant d'une chambre voisine au soir de sa vie[127].

Les roses qu'il demande à Christine la veille de sa mort et celles reçues quand Anne lui fait savoir qu'elle peut consentir : Christine, qui ignore pourquoi son frère les souhaite, demande à la vendeuse que leur parfum ne soit pas trop fort, puisque destinées à un malade, en contraste avec celles reçues quand Hertzog lui apprend qu'Anne pourrait répondre à son amour : dans sa conversation avec Largilier, Augustin fait coïncider ce parfum avec le sommet de sa plus grande joie terrestre.

Wanda Rupolo parle aussi de Malègue comme se soumettant « à la loi de la dualité » : à l'Angélus de Matines, correspond le glas de « Sacrificium vespertinum »; au « Cri dans la nuit » (premier chapitre de « L'Office des morts »), les cauchemars de Christine avant qu'il ne retentisse dans l'une des dernières nuits chaudes d'automne.

Moeller souligne que les montagnes sont toujours associées à des expériences religieuses[128] comme les « Hautes terres » des vacances au « Grand domaine », le dialogue entre Bourret et Augustin vers Issoire sur les plateaux surplombant les gorges du Cantal dans « L'Office des morts », le Mont blanc qui sert de toile de fond au dialogue avec Largilier à la fin du roman et de la vie de son héros réconcilié avec Dieu. Le roman commencé sur les « Hautes terres » s'accomplit face à ce point culminant de l'Europe.

Rapprochements progressifs

Élisabeth Michaël parle de « blocs de temps, des souvenirs précis et récurrents, se déplaçant ensemble à travers le récit »[129]. Lebrec nomme cela « la technique proustienne des pierres d'attente » qui concernent plusieurs épisodes et plusieurs personnages[104].

Anne de Préfailles et l'abbé Bourret

E. Michaël cite la répartie, en présence d'Augustin, d'Anne de Préfailles encore enfant lorsque sa famille lui annonce un voyage à Rome pour y voir de belles choses et qui rétorque qu'il faut qu'on lui explique pourquoi elles le sont[A 39]. Au chapitre III de « Canticum Canticorum »[A 40], Augustin s'en souvient simplement sans rien dire. Un peu plus loin, il le rappelle expressément à Anne qui s'en étonne, car elle l'avait oublié, mais son oncle témoigne de l'authenticité de ce mot d'enfant[A 41]. Quelques pages plus loin, enfin, elle se le rappelle, demandant si cela avait frappé Augustin qui rit « d'une joie surveillée et surabondante, [...] de grand amour[A 42]. »

Lebrec appelle également cela les « rapprochements progressifs ». La photo de l'abbé Bourret, jeune prêtre nouvellement ordonné, orne le « salon » des cousins chez qui madame Méridier emmène ses enfants en vacances d'été[A 43]. Dans « Le Grand Domaine », le cousin Jules, paysan rusé, cupide, exclusivement préoccupé de son vaste domaine, évoque ce fils aîné qui est : « quelque chose au séminaire Saint-Sulpice ; sa mère sait la chose juste[A 44]. » Normalien, Augustin va le trouver précisément à Saint-Sulpice quand il s'interroge sur l'historicité des évangiles[A 45]. L'abbé conduit Mgr Hertzog jusqu'à l'appartement des Méridier à Aurillac dans « Canticum Canticorum », y préparant ainsi les contacts qu'il prendra plus tard avec Augustin en vue de se reconvertir dans l'enseignement supérieur après sa rupture avec l'Église[A 46]. Ce n'est que dans le chapitre de « L'Office des morts » intitulé « Sacerdos in aeternum » (« Prêtre pour l'éternité »)[A 47], qu'il fait l'aveu clair de ce projet en vue duquel il verra encore souvent Augustin, du moins avant le départ de celui-ci pour Leysin où l'on apprendra que le médiocre résultat de la défense de sa thèse ne lui permettra pas de briguer un poste d'enseignant universitaire[130].

Panorama d'Aurillac « Du côté de la préfecture d'Aurillac ».
Élisabeth de Préfailles et Dieu

Le charme et la beauté d'Élisabeth de Préfailles marquent les « Matines » de son « rire de cristal » et de sa « grâce mordante », de sa main gantée de blanc qui le salue quand Augustin se retourne pour la voir qui s'en va. Ils marquent aussi « Le Temps des rameaux nus » indirectement avec le son du cor venu des Sablons après les Nuits de Musset et marquent enfin « L'Arbre de science » directement lors d'une visite avec son père aux Sablons quand il compare leurs deux âges comme s'il imaginait une liaison possible ; Anne de Préfailles petite fille est d'ailleurs présente. Au début de la courte Partie IV « Le Grand Domaine », la veille du départ pour la ferme des cousins, Augustin reçoit une carte de Suisse d'Élisabeth qui le félicite pour ses succès scolaires et d'être « assez heureux pour faire tout ce qu'il veut. » Ils sont là deux fois dans « Paradise lost », fugitivement quand Augustin l'aperçoit dans Paris à bord d'une voiture électrique et plus longuement quand il est reçu dans son hôtel avant d'accompagner son neveu Jacques en Angleterre. Ils chaperonnent constamment Anne dans « Canticum Canticorum». Ils participent au tragique « Office des morts » et plus encore au « Sacrificium Vespertinum » où Augustin confie à Largilier le rôle d'initiatrice à l'amour humain qu'Élisabeth a joué dans toute son existence.

Le sentiment de la présence de Dieu chez l'enfant Augustin s'exprime devant la grande forêt surplombant les gorges du Cantal avec les premiers troncs d'arbre qui ont l'air de cligner de l'œil suggérant les enfoncements derrière eux, puis derrière ceux-ci encore autre chose, puis plus loin encore, plus loin, au-delà (les arbres « parlent » avec de nombreux points de suspension) un insondable mystère[A 48]. Quand Largilier vient de donner l'absolution à Augustin il a la sensation d'être le grain de sable biblique face au rivage avec au-delà toute la mer, puis au-delà la Planète, au-delà l'énormité démente de l'espace et, dans le suprême au-delà, « le Roi de tous les Absolus[A 49]. »

Le temps

Malègue utilise l'écoulement du temps pour éclairer une durée intérieure : il ne force pas l'allure comme dans les deux-cents pages de l' « Acte I ». où Augustin passe de l'enfance à l'âge adulte manifestant par là tous les aspects de sa personnalité[131]. Décrire les transitions qui s'effectuent au cours de l'enfance et de l'adolescence équivaut, écrit Wanda Rupolo, à vouloir « arrêter la lumière, non pas dans la fixité de midi, mais dans la lente progression de l'aube[note 8]. » Soit, pense-t-elle, quelque chose d'indicible, laissant entendre par là que Malègue parvient, lui, à l'exprimer ce qui est aussi l'avis de Jacques Madaule. Pour ce critique, Malègue n'accumule pas des éléments distincts les uns des autres seulement unis parce que liés à la personne du héros. Il introduit au cœur de l'être où ces éléments se fondent. Ce qui lui permet de pénétrer jusqu'à l'intime de la personnalité de son héros qui demeure la même malgré toutes les modifications imposées par les circonstances de la vie et l'écoulement du temps[132].

Selon Wanda Rupolo, le présent et le passé se confondent parfois et le temps « paraît se concentrer en un instant pour ne donner lieu qu'au seul miracle d'exister[note 9] » Le « miracle d'exister » se produit lors du retour d'Augustin auprès de sa mère et sa sœur au début de « Canticum Canticorum  », période au cours de laquelle les heures s'écoulent comme au temps de « Matines » : « Tout n'était que paroles basses, blancheur du linge au creux des paniers, petit bruit que font les aiguilles. Ces heures-là n'auraient pas eu de date, sans le cadran de la pendule. Leur intimité rappelait les journées d'autrefois [...] Elles n'avaient pas de place fixe sur l'échelle du temps[A 50]. »

En revanche, dans la VIIe partie, « L'Office des morts » (mort de Bébé et de madame Méridier), le rythme du récit change du fait de la concentration du temps autour d'un au-delà de celui-ci « agent de dissolution, d'obsolescence, de mort[133] » selon Wanda Rupolo. Et Malègue parle du silence et du vide de ces heures, le fait que l'on sente le temps s'y écouler contre quelque chose de plus profond dissimulé derrière la durée et qui balaye tout ce qui est sans rapport avec elle[A 51]. « Le temps » écrit Wanda Rupolo « est une réalité dont le chronomètre ne peut rendre compte[134] » en écho à la remarque identique d'Augustin sur cet instrument et ajoutant, inspiré par Bergson, que : « Le temps [...] a ses raisons morales de s'étirer et de se contracter[A 52]. »

La durée proustienne

Face Sud du Le Puy de Peyre-Arse (Cantal) « Il fut traversé par le souvenir vif et parfumé de coups de vent sur les hautes prairies »

Pour Claude Barthe, l'incipit d’Augustin, déploie l'analogie de « du côté de chez Swann » et « du côté de Guermantes », en un « du côté de la préfecture de province » (la ville où enseigne monsieur Méridier) et du « côté des Planèzes » Le Grand Domaine »). Francesco Casnati parle aussi d'un nouveau Côté de Guermantes et le transforme en un du côté des Sablons[135].

Vieillissement, temps et éternité

Pour Lebrec, chez Proust, le temps se mesure au vieillissement des êtres, accablés par leur durée[136]. Malègue rapporte que lorsque Augustin retrouve sa mère au chapitre I de « Canticum Canticorum », il scrute son vieux visage devant lequel son cœur se serre d'autant plus que sa mère tente de faire comme si ce temps ne s'était pas écoulé depuis le passé des tout petits et le moment présent, comme si le temps n'était « qu'indifférent bain neutre, qui ne peut changer les êtres chéris[A 53]. »

Pour Lebrec toujours, suivant ici Jacques Madaule, se révèle dans les dernières lignes de l'œuvre un sens du temps plus pascalien que proustien mué en éternité[137], en particulier quand Augustin récite un dernier Je vous salue Marie surpris que le « maintenant » et le « et à l'heure de notre mort » puissent se confondre[A 54].

Une Madeleine dans une tasse de thé, une Sonate à Vinteuil
L'année même de la parution d' Augustin ce qui se rapproche sans doute le plus du pèlerinage décrit dans le roman à Saint-Hyppolyte

Malègue, à l'égal de Proust selon Varin, possède l'art de plonger dans le passé, d'en ressusciter la mémoire vive dans un objet, une saveur, une odeur, de donner aux souvenirs, comme le dit André Maurois, « le support d'une sensation présente[138] » qui leur fait reprendre vie[139].

La nuit où Augustin perd la foi, il est soudain à sa grande surprise « traversé par le souvenir vif et parfumé de coups de vent sur les hautes prairies » sentant à ce point l'air pur et le foin coupé que sa turne lui semble irréelle. Cette impression vient d'un thé très fort et refroidi qui, lorsqu'il le boit, dégage une saveur métallique et de foin coupé, et c'est peut-être lui « venu jusqu'à ses narines, déguisé, jouant l'odeur de prairie et les souvenirs de la Font-Sainte[A 55], » par lequel s'impose le souvenir de la Partie V du roman, « Le Grand Domaine ». Varin rapproche ceci de la célèbre madeleine dans une tasse de thé de Proust[140].

Pour l'auteur de La Gloire secrète de Joseph Malègue, Malègue remploie des expériences comme les extases de mémoire ou les rencontres de l'art qui constituent la « matrioce poétique et « proustienne » » du roman. Mais il récuse le cliché, peu fondé selon lui, que Malègue serait un « Proust chrétien ». Il remploie des expériences dont Proust n'est pas le seul à s'être servi en littérature : il « remet sur le métier l'ouvrage d'autrui et le retravaille sans pour cela être un « Proust chrétien »[141]. »

Swan était poursuivi par la Sonate de Vinteuil, emblème musical de son amour défunt. Au sanatorium de Leysin, selon Lebrec, Augustin entendrait à nouveau venant d'un gramophone de la chambre voisine, la ballade de Chopin écoutée avec Anne le soir où elle lui fit savoir son consentement via Mgr Hertzog, ballade comparée à la célèbre Sonate par Lebrec[142] et par Eeckhout[143]. Lebrec et Eeckhout ont bien vu son rôle proustien de rappel d'un amour défunt, mais Lebrec s'est trompé[note 10] sur le titre exact de la musique qui joue ce rôle à la mort d'Augustin.

Les roses, la simili-résignation et le désespoir, l'apaisement

Car en réalité, ce n'est pas la ballade de Chopin mais la rhapsodie hongroise de Franz Liszt (en fait Lebrec, dans son livre, neuf pages après avoir cité Chopin, désigne bien Liszt, contradiction qu'il n'a sans doute constatée qu'après publication[144]), jouée aussi lors de la fameuse soirée, qu'Augustin réentend au sanatorium de Leysin, ravagé d'un désespoir que Christine surprend[A 56]. Lebrec signale alors [145], le visage qu'il montre à sœur« ravagé de souffrance et de désespoir, comme aux pires jours du Cantal, au moment des deux lettres avant la simili-résignation[A 57]. »

Elle ne comprend pas qu'ensuite Augustin réclame des roses[A 58], qui comme Liszt sont emblématiques d'Anne. Sur la page de couverture de la traduction italienne, on voit un Augustin stylisé suivi d'une Anne également stylisée porteuse de ces roses.

Augustin lui demande qu'elle invite la chambre voisine à faire réentendre Liszt et Chopin. On lui prête le gramophone. Le frère et la sœur écoutent Liszt. Puis Christine à Augustin : « Veux-tu du Chopin ? » Il y en a, mais pas la musique des Sablons : Augustin fait non de la tête. Christine prend pour caprices de malade toutes ces demandes (Chopin, Liszt, les roses), car il n'en donne pas les raisons[A 59]. Il les donnera le lendemain lui disant pourquoi Liszt l'a ravagé de désespoir puisque associé à son amour (comme les roses, supports du souvenir ambivalents : ils l'éprouvent mais l'attirent aussi). Il affirme, en ce surlendemain de Noël, supporter le choc subi la veille[A 60]. De sorte que Lebrec peut penser qu'il y a là une victoire du souvenir sur la souffrance et un retour apaisé à cette dernière soirée passée avec Anne marquée par Liszt et les roses[144].

Ce jour est aussi celui où « vers six heures du soir » Augustin entre « dans la douce et miséricordieuse mort[A 61]. »

D'autres rapprochements sont possibles avec Proust, portant en particulier sur des situations de ce type à la fois matériellement et psychologiquement complexes.

Pour José Fontaine et Bernard Forthomme, il arrive aussi que Malègue remploie des expériences popularisées par Proust dans La Recherche, mais avec plus de force encore, conférant ainsi à son œuvre une bien plus grande unité.

Style

Pour Lebrec, le style de Malègue (un « grand de la littérature » selon Barthe), permet de reconnaître immédiatement une page de cet auteur.

Manières d'écrire qui ont heurté

Comme il était d'usage jusque dans les années 1960, la critique qui s'est penchée sur l'œuvre de Malègue tend à juger bonne ou mauvaise sa manière d'écrire. Lebrec déplore l'abus des « néologismes », par exemple « allusionnelle bonhomie » ; avec lui, André Bellessort regrette les « abstractions » qui sentent, écrit-il, « la logomachie des cours de philosophie[146]. ». Il admire cependant une fécondité d'images rappelant celles de Bergson[147]. Lebrec regrette des alliances de mots discutables comme « une aisance fébricitante » (qui a de la fièvre), et l'abus de « mots négatifs », adverbes, noms ou adjectifs (insouci, infamiliarité, inintelligiblement, inatteignabilité, inrévélé, inéclairé).

Il se plaint également de l'usage appuyé des « mots rares » (Malègue est souvent cité par le Centre national de ressources textuelles et lexicales[148]) ainsi les « délivres d'une maison en construction » (décombres), les « élations d'une vieille espérance » (orgueil naïf), et de certaines « images […] forcées et fausses. »

Il se réjouit cependant de la « foule d'images heureuses » comme ces villages qui tournent le dos à la route et « dont on ignorait toujours le commencement et la fin[A 62]. », ou la philosophie comparée à « de hautes landes spéculatives, au modelé changeant suivant les souffles de l'esprit[A 63]. » Il souligne que le vocabulaire est ferme et dru lorsqu'il s'agit d'exprimer les intensités intérieures mais varié pour décrire au plus juste les idées abstraites, rapporter des anecdotes, rendre des états d'âme, brosser des scènes ou des portraits.

Il ajoute que Malègue sait aussi user de verbes concrets comme lorsque Augustin sent la fatigue « abonder librement[A 64] » dans les parties de son corps. Des mots sont comme magiquement associés : « le doux loisir, matière première de la vie[A 65] ».

Les phrases peuvent être courtes ou très longues. Dans ces dernières, relève Lebrec, Malègue a l'art de se rapprocher graduellement du sens profond des êtres et des choses en cheminant vers lui par approximations successives[149]. Même si le travail du style sent l'effort, jugeait dès 1933 André Bellessort, on est sûr, au hasard des pages, d'éprouver le besoin de relire n'importe lequel des passages ainsi mis sous les yeux[150].

Réalisme

Germain Varin évoque le don de « faire voir » qui permet à Malègue « d'insuffler une vie authentique à ses narrations, à ses peintures, à ses portraits[151]. » Bien des commentateurs insistent sur le réalisme de son style lorsqu'il procède par accumulation de détails.

Les préparatifs des vacances d'été par madame Méridier durant l'enfance d'Augustin jusque tard dans la nuit en relèvent, de même que le remue-ménage de malles et d'armoires ouvertes jusqu'aux petites heures qui, en s'efforçant d'être silencieux, apparaît encore plus chargé de mystères et de promesses. Augustin est réveillé à des moments qu'il ne situe pas et voit sa jeune maman circulant en pantoufles, masquant la lampe de sa main devant les petits lits et il comprend qu'un grand bonheur est arrivé « riant déjà dans cette couleur de vieille paille, distillée par la lampe à huile[A 66]. »

L'imagination sans cesse renouvelée, ligne de force du style de Malègue, est une imagination qui, écrit Wanda Rupolo, garde le contact avec la réalité : « Lumières, bruits, parfums contribuent à faire émerger les images avec plus de vigueur[note 11]. » Et elle se réfère à un autre épisode des vacances d'enfant d'Augustin, quand la diligence mène la famille dans le Cantal entre les villages, le soleil, la verdure, l'odeur des chevaux, leurs crins battant les croupes, l'ombre soudaine à cause d'un petit bois qu'on traverse[A 67].

Ou encore lors de l'expédition vers Issoire en compagnie de l'abbé Bourret et de son frère marchand de bestiaux quand retentit une voix de garçonnet à droite de la route, « derrière cette haie de sorbiers et de noisetiers qui ménageait un autre inconnu dans l'inconnu de la nuit[A 68]. »

La Nuit étoilée « La nuit! la belle nuit! la nuit pleine et immense! »

Lyrisme

Elizabeth Michaël remarque cependant qu'il arrive aussi à Malègue « d'émailler son texte de poussées lyriques[152]. » Notamment quand le père d'Augustin adolescent lui lit, au cours d'une de leurs promenades du dimanche, Nuits et poèmes divers de Musset. Malègue (qui n'a pas oublié son adolescence selon E. Michaël), décrit le petit visage tendu d'Augustin « Cette frénésie d'amour a dû se sentir en passant, tomber en eau profonde », et le soir venu (peut-être à cause de la belle nuit d'été, pense Lebrec[153]), Augustin se met à sa fenêtre. Le soir est interminable (« La nuit! la belle nuit pleine et immense! »). Le ciel garde longtemps sa couleur avant que les étoiles ne brillent. On entend venir des Sablons (où réside Élisabeth de Préfailles) une sonnerie de cor. C'est la pleine lune. Quand elle est encore derrière les maisons, elle laisse sur le sol des taches lumineuses découpées géométriquement en fonction de leurs intervalles. Puis elle finit par luire pleinement comme dans les vers d'Éviradnus. Son vague demi-jour « pénètre jusque dans la chambre, tire la serviette de l'ombre, applique sur le pot à eau convexe des lunules en vernis vif, indique onze heures un quart sur la petite montre d'acier »[A 69].

Humour et ironie

Selon Lebrec, Malègue, non dépourvu d'humour ni d'ironie, les laisse se développer dans la vie quotidienne qu'il décrit tant que celle-ci ne devient pas dramatique[154]. La scène du cantique à la messe du dimanche fait songer selon lui à la leçon de catéchisme de Madame Bovary. Malègue parle des enfants dans l'église lors des fêtes de la Vierge qui chantent le chant connu à cette époque où l'on évoque que l'on ira voir la Vierge au ciel dans sa « patri-i-e ». Puis, par contraste il note que d'autres airs éclatent comme le triomphaliste cantique Nous voulons Dieu à l'appel du vicaire qui en donne la référence sur le livre des chants ouvrant ainsi, dit Malègue, « les vannes d'une cataracte sonore » déferlant dans l'Abbatiale[A 70].

En philosophie - autre passage relevé par Jean Lebrec[155] qui pense que cette caricature que nous allons lire, à l'instar d'autres, est « un des charmes de l'œuvre » -, Augustin a comme condisciple un maître d'études. Il est surnommé « Mort-aux-puces » dans les classes qu'il a surveillées, car il est toujours « en train de gratter quelque chose, son jarret, son avant-bras, ou même son aisselle à travers le gilet ouvert ». Pour épater ses condisciples de philo sur les chapitres à venir dans le cours, il les évoque en faisant, sur l'air de quelqu'un qui est dans la confidence, des « clins d'œil précipités », ses deux paupières ayant alors l'air « de se gratter l'une l'autre »[A 71].

Malègue brosse certains portraits avec une ironie mordante comme celui de Paul Desgrès des Sablons, mari d'Élisabeth de Préfailles dont Lebrec affirme qu'il se prend pour Jupiter[156]. Il fait étudier par Augustin la chaussette du personnage affalé dans un fauteuil de madame Méridier (il rend visite à la famille pour recommander sa nièce à Augustin chez qui elle va présenter un examen), chaussette qui enrobe la cheville, cheville qui elle-même s'enfonce dans un pied qui, du fait que son propriétaire est affalé dans le fauteuil au point d'en occuper beaucoup de place en longueur est, vers son hôte, tendue comme une main[A 72].

Les couleurs : du jaune au gris

« La noblesse pastorale du grand domaine s'adaptait à la lenteur solennelle d'un jour, qui, dans quelques heures, commencerait de jaunir »

Les couleurs changent en fonction du récit. W. Rupolo observe la fréquence de la couleur jaune, couleur ambivalente.

Dans la première partie du roman, elle est chaude avec une nuance mystique. En été et automne, elle est signe de vitalité mais aussi annonciatrice de déclin[157]. W. Rupolo la relève dans le tome I de la 5e édition aux pages 68, 158, 164, 171, 201, 257, 261, 272, 289, 297; dans le tome II aux pages 10, 19, 29, 36, 51, 192, 198, 239, 251, 253, 279, 345. Lorsqu'il parle du jaune, « Lo scrittore si serve di varie gradazioni di intensita » : « jaune miel », « jaune brun », « gris jaune », « jaune graisseux », « jaune cru », « jaune café au lait », « blanc jaune », « jaune paille », « jaune très pâle ».

Dans la deuxième partie du roman, on passe à la gamme blanc-gris-noir, observe encore la critique italienne, qui ne sont pas des couleurs et sont inconsciemment destinées à présager un avenir trouble. Si le gris et le noir renvoient à la puissance de l'ombre, les dernières pages insistent sur des tonalités plus claires : « les images de candeur immaculée, qui se présentent à Augustin, hospitalisé au sanatorium de Leysin, renvoient à l'attitude de détachement caractéristique de la dernière période de sa vie »[note 12].

Couleurs et lumières dans des formes fluides

Pour Wanda Rupolo, le monde visuel de Malègue est fait de couleurs et de lumières qui s'intègrent « dans des formes fluides[158]. », voici les exemples qu'elle cite :

  • Monsieur Méridier conduit son fils au lycée Henri-IV où lui-même prépara l'École normale. Le père et le fils déambulent dans les environs peu avant de se quitter, mais contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre seul le père est désemparé : « Par-dessus le mur, des cimes d'arbres oscillaient dans un ciel jaune où couraient des vapeurs »[A 73].
  • Lorsque avec l'abbé Bourret et la voiture de son frère marchand de bestiaux, Augustin part à Issoire chercher les résultats de l'analyse médicale de l'enfant de Christine, le véhicule parcourt d'abord l'Auvergne entre chien et loup « Aux deux côtés de la voiture filaient des apparences sans matières : troncs d'arbres, remontées de prairies, maisons pleines de soir, plantées au bord des routes : une rapide fuite sans secousse leur enlevait toute masse avec le temps de la sentir[A 74]. »
  • Plus tard il atteint le fond des gorges, une prairie plate apparaît, s'étale, se laisse deviner « grasse et molle, bordée de peupliers, pleine des douces flûtes tristes de la nuit[A 75]. »
  • Durant les quinze jours de la froide automne où madame Méridier et l'enfant de Christine vont mourir, Augustin observe de sa chambre le paysage qu'il aime tant, couvert des premières neiges : « Les grandes buées traînantes à la fois nacrées, mauves et roses, gonflaient et moutonnaient à la surface fumante de la neige, sous un ciel bas d'un gris éblouissant[A 76]. »

Cependant, écrit Wanda Rupolo, « La magie de la blancheur hivernale se traduit encore ailleurs à travers des impressions vibratiles[note 13] » :

  • Cette fois on est à Leysin (face au Mont Blanc) où Augustin va mourir : « Cette hivernale splendeur d'or blanc n'était pas fixe et immobile. Elle tremblait de vibrations transparentes et se recréait à tout instant[A 77] »

Enfin, lorsqu'Augustin prend congé de l'abbé Bourret après leur première rencontre tandis que le soir est tombé, il se retrouve dans les rues de Paris devant « une noire humidité luisante[A 78]. » que Wanda Rupolo oppose à un autre passage, pendant le séjour à la campagne dans « Le Grand Domaine » lors du pèlerinage à la Font-Sainte, avec la montée vers la chapelle aux premières heures dans « la splendeur déserte du matin[A 79] »

Massif du Mont Blanc : « Cette hivernale splendeur d'or blanc n'était pas fixe et immobile. »

Thèmes développés dans l'œuvre

Enfance et adolescence mystiques

École normale supérieure rue d'Ulm à Paris

Augustin ou Le Maître est là commence par ces mots que de nombreux commentateurs se sentent l'obligation de citer[159] : « Lorsque Augustin Méridier cherchait à démêler ses plus lointaines impressions religieuses, il les trouvait, très au frais, mélangées à ses premiers souvenirs, et soigneusement classées dans deux compartiments de sa mémoire[A 80]. »

Aurillac constitue le premier de ces compartiments : la paix spéciale des dimanches matin liée au son des cloches, au ciel bleu d'où coule un bonheur singulier, une « oisiveté heureuse »[A 81]. Moeller y voit une version chrétienne des premières pages de À la recherche du temps perdu[160].

Le second compartiment c'est le Grand Domaine (des cousins de madame Méridier) et ce que ressent le petit garçon apercevant « diffus et en suspens dans la campagne un mélange de bonheur et de bonté qui n'a besoin pour se poser d'aucun visage d'homme[A 82]. », où également il éprouve l'impression, face à la grande forêt, que les premiers troncs d'arbre lui disent qu'il existe encore autre chose derrière eux, « le secret de la grande forêt »[A 83]. Il faut, pense Moeller, rapprocher ceci du passage de Du côté de chez Swann où le narrateur, enfant, a également l'impression que les arbres veulent lui parler, révéler leur secret[161]. Ce secret d'une grande profondeur artistique chez Proust, est d'une grande profondeur religieuse chez Malègue, pense Moeller. L'amplitude silencieuse des bois va chercher en vous, poursuit Malègue « quelque chose qui était peut-être bien votre âme, tant c'était profond[A 84]. »

M. Méridier lit Musset dont la frénésie d'amour tombe en eau si profonde que le soir, face à la belle nuit d'été, l'adolescent ne peut s'endormir en proie aux sensations vagues et troubles qui sont celles de son âge pense E. Michaël[162], inexplicables, car ce sont de sourds désirs qui marquent la fin de l'enfance poursuit-elle et de citer ce passage de Malègue : « De cette langueur aveugle, de ce désir aux yeux crevés, Augustin ne peut même pas dire s'ils sont joie ou souffrance, ou les deux à la fois[A 85]. » Deux ans plus tard, en lisant le Mystère de Jésus de Blaise Pascal, Augustin subit en eau plus profonde encore, du fait, pense Lebrec, de la pente mystique de son esprit et d'expériences religieuses entre 13 et 16 ans[163], une onde de choc accentuée par les tutoiements que Pascal met dans la bouche du Christ, notamment le « Je pensais à toi dans mon agonie ».

Il n'existe plus de différence entre l'âme d'Augustin et celle de Pascal entendant cette parole, écrit Malègue. Du fait qu'il se sent aimé personnellement, à ne pas s'y méprendre, par Dieu lui-même, Augustin éprouve « une confusion à s'évanouir ». Lorsqu'il tombe sur « Seigneur, je vous donne tout. » de Pascal, il desserre l'humble étreinte de l'Appel qu'il esquive mais qui, sous le nom d' « expérience religieuse », ne cessera de le hanter[A 86]. Cet appel le poursuivra[163]. Germain Varin estime que le refus de cet appel est à l'origine de la perte de la foi chez Augustin[164]. Pauline Bruley voit se mettre en place une mise en scène de l'appel chez Malègue, qui reproduit la « scène intériorisée » que Pascal propose dans le Mystère de Jésus. Elle ajoute que la façon dont Malègue énonce les choses, mêlant la voix du Christ, celle de Pascal, la sienne, celle d'Augustin est un « brouillage de voix » qui permet de faire parler Dieu à la manière de Bernanos dans La Joie[165].

La perte de la foi du fait de la crise moderniste

Augustin obtient en fin de bac le premier prix de philosophie des nouveaux au concours général[A 87].

Les deux dimensions de la crise chez Augustin

Augustin va vivre la crise moderniste, selon un de ses spécialistes Pierre Colin[166], de façon comparable à Prosper Alfaric, prêtre brillant qui quittera l'Église et présidera l'Union rationaliste. Les troubles nés des mises en cause de la métaphysique (appui classique de la philosophie chrétienne) et ceux nés des mises en cause de la valeur historique des évangiles s'additionnent et se renforcent mutuellement.

Portrait d'Ernest Renan dans son bureau (musée Ernest-Renan de Tréguier)

Ainsi, en terminale dans son lycée, Augustin a comme professeur un premier à l'agrégation, M. Rubensohn qui estime que les sciences positives « rongent » peu à peu les vieilles métaphysiques sur lesquelles beaucoup de croyants se sont appuyés et que « tout ce qui leur échappera définitivement, si ce mot a un sens, sera d'une inaccessibilité telle qu'elle ne nous intéressera plus. » Augustin pense que Dieu n'en sera que plus grand, ce à quoi acquiesce son professeur, disant que Dieu sera moins que jamais la Vénus des carrefours[A 88].

Mais à la lecture passionnée (au point de rater un cours) d'Ernest Renan, Augustin perçoit que les vérités religieuses sont également « rongées » par la remise en cause exégétique et historique des Évangiles et pour lui, comme chez Alfaric, les deux sont liés. Il envisage que Dieu puisse ne plus l'intéresser[A 89][source insuffisante]. Au soir de sa lecture de Renan il subit sa première crise de la Foi. Au matin, l'angoisse le saisit. Il ne peut plus prononcer le Symbole des apôtres. À voix basse, il hurle : « Je pourrais aussi bien dire : Notre-Seigneur qui descendez tous les jours, par la cheminée, la nuit de Noël[A 90]. » Sa foi sort cependant intacte de cette première crise.

Il entre en classe préparatoire à l'École normale supérieure. Le nom des grands exégètes de l'époque apparaissent dans le récit : Pierre Batiffol, Harnack, Strauss, Lagrange[167]. Le groupe des talas en discutent, comme du socialisme fabien, de l'évangélisme tolstoïen, de Henri Poincaré, de Tarde, du « modernisme » (au sens de Crise moderniste : seule apparition du mot dans le roman (dans ce sens), qui, selon Goichot en a le mieux saisi les enjeux)[130].

Rôles décisifs de Loisy et Blondel

Les critiques modernistes de l'exégèse catholique orthodoxe auront raison de la foi d'Augustin. Même si la crise de la foi chez le héros de Malègue s'enracine dans le modernisme, elle ne s'y limite pas selon G.Mosseray[168]. Comme beaucoup d'intellectuels chrétiens il est troublé par le livre de Loisy L'Évangile et l'Église de 1902 : évangiles ne s'accordant pas sur la résurrection ; récits de l'enfance du Christ qui sont de « pieux romans » ; Jésus avant tout prophète annonçant la venue imminente du Royaume de Dieu et dont la prédication est interrompue par la croix ; Christ qui n'a peut-être pas fondé le christianisme, le développement de l'Église se faisant peut-être au hasard ; fils de Dieu qui n'est peut-être pas Dieu[169]. Dans l'« appendice posthume » des rééditions d’Augustin après 1944 Malègue explique que l'intelligence contemporaine tend à déserter « la métaphysique pour l'expérimental ». Malègue ne condamne d'ailleurs pas nécessairement cette tendance puisqu'il estime que l'absolu peut être perçu dans l'expérimental par une voie qui n'est pas celle de la métaphysique classique procédant par raisonnement mais d'une métaphysique positive dont Bergson a été le plus éminent penseur. Ceci s'applique à un Augustin ébranlé par la différence entre dogme et histoire lorsqu'il veut fonder sa foi sur des données en quelque sorte scientifiques (le dogme de la divinité du Christ par exemple ne découle pas directement de l'histoire).

Selon G.Mosseray, Augustin perd la foi parce qu'il ne trouve pas ces données et pose mal la question[170]. Il veut en effet faire reposer le dogme (ou mieux : la foi) sur les seules données historiques, l'erreur même dénoncée par Blondel. Assez vite, Augustin mettra d'ailleurs en cause cette tendance dans un article publié à Harvard « Les Paralogismes de la critique biblique ». La critique commet la faute, alors qu'elle se veut sans a priori, d'en avoir un contre le surnaturel et de croire pouvoir juger par ses seules forces du fond de la réalité de la foi et de l'essentiel de celle-ci, donc de la personnalité réelle du Christ[171].

Alfred Loisy (1857-1940)

G. Mosseray précise dans un nouvel article paru en 2015 qu'Augustin reprend l'idée de Blondel selon laquelle les faits observables ne s’organisent pas sans une idée qui leur donne un ordre sensé. Les différentes étapes du christianisme reconstituées par l’historien ne s’enchaînent pas de manière déterministe. À chacune de ces étapes on peut faire des choix[83]. À la mort du Christ, la résurrection permet de surmonter la déception subie. Puis, ensuite, autre déception, le Christ ne revient pas comme les disciples l’attendaient et organisent l'Église. Mais est-ce dû seulement à leur enthousiasme? Ou (comme l'écrit Geneviève Mosseray commentant Blondel), « à la volonté de Jésus » ? Elle poursuit en soulignant, dans son article de 2015 : « L’historien est tenté de répondre que, n’ayant pas accès à la conscience de Jésus, il est en quelque sorte forcé de chercher une explication naturelle. Mais n’est-ce pas là avouer un préjugé injustifié, à savoir que seule l’explication déterministe est intelligible[84] ? »

Mais la critique de la critique de ce qui lui a fait perdre la foi ne la lui rend pas et il ne la retrouvera, selon Geneviève Mosseray, qu'à travers ce que Blondel appelle la tradition, construite et vivifiée principalement par la vie spirituelle de tous ceux qui croient dans le Christ, les saints, qui se lient à lui à travers cette « expérience religieuse » (ou mystique) qui est au centre du roman, qui ne cessera de fasciner Augustin sur le plan intellectuel comme Bergson[66]. Dans le roman, Pierre Largilier incarne le plus fortement cette « donnée » (Dieu perceptible dans l'âme des saints). Augustin en demeure l'ami très proche, même s'il s'en éloigne un certain nombre d'années après la perte de la foi et du fait des circonstances de la vie. Malgré cet éloignement leur amitié demeure intacte, on le constatera quand Largilier vient le voir dans sa chambre de malade à Leysin.

Augustin devient agnostique

En première année de Normale, n'ayant qu'une licence ès lettres à passer, Augustin pense avoir le temps de régler la question de l'historicité des Évangiles. Il va lire Les évangiles synoptiques d'Alfred Loisy à la Bibliothèque nationale. Il en sort un jour traînant son désespoir le long de la Seine. Commence alors une « agonie », écrit E.Michaël, agonie que Malègue décrit dans les détails[172]. La nuit, la douleur morale ravage tout. Le lit lui fait mal[A 91]. L'agacement, l'insomnie et le sentiment de solitude dans la lumière de feu follet à l'autre bout du dortoir le torturent au point qu'il demande à Jésus de le consoler de la douleur de ne plus croire à l'historicité de ses souffrances[A 92].

En seconde, autre insomnie. Il gagne sa turne, y relit des notes prises depuis des mois, d'exégètes, de conversations avec Largilier jugé parfois peu rationnel, parfois plus convaincant quand ce grand ami lui dit que Dieu est une donnée comme celles au départ de toute expérience et qu'Augustin ne regarde pas là où elle s'impose : « dans l'âme des Saints[A 93]. ». La nuit n'en finit pas. Augustin hésite. L'idée de Largilier sur la psychologie des saints est également la sienne et le poursuivra durant tout le roman. Mais il ne peut sortir de son incertitude, ce qu'il redira à la fin de sa vie à Largilier : « J'ai l'incertitude de mon incertitude[A 94]. » Les mots de cette citation de Malègue sont soulignés par Moeller[173].

Il rompt cependant avec la foi sachant la peine qu'il va provoquer chez les siens, car faire semblant de continuer à croire ne pourra les duper. Il éprouve un sentiment d'à quoi bon face à une décision indifférente au déterminisme universel et il s'effondre en pleurant longuement la tête sur le bras reposant sur les livres étalés sur la table[A 95]. Le mot de Romain Rolland, « la vie dépasse Dieu », lui convient désormais. Sous le mot « Dieu », rien que des pacotilles : les vérités morales, du mysticisme de couvent, « rien de l'immensité des choses ». La fameuse Cause première est chassée de la complexité des sciences, des richesses de l'action. Et Augustin se sent avancer « sur le chemin de l’agnosticisme[A 96]. »

Le trou noir de la foi

Sandro Botticelli Madona del Magnificat (détail) La Vierge y écrit le Chant de sa main

Poulat[174] signale la préface de Mauriac à sa Vie de Jésus où Loisy est attaqué avec violence. Celle-ci est révélatrice d'une grande douleur, typique de ceux qui ont souffert de cette crise : « Si jamais vous traitez de la crise moderniste, n'oubliez pas de dire combien nous avons souffert », confiait Mgr Jean Calvet (1874-1965)[175].

La forte admiration pour la pensée qui s'exprime dans Augustin, même du lecteur n'ayant que des notions de base en philosophie et théologie comme Joris Eeckhout tient à le préciser, ne doit pas, selon lui, diminuer en ce qui concerne « la maîtrise avec laquelle est psychologiquement disséqué l'un des plus pénibles conflits intérieurs dans lequel puisse être impliqué un être humain »[note 14].

Pourtant indifférent au christianisme selon ses propres dires, Roger Martin du Gard parle de la crise moderniste comme d'un « drame[176] » : à travers l'abbé Marcel Hébert qu'il a aimé profondément, il a ressenti la grande souffrance de beaucoup de chrétiens tant prêtres que laïcs.

Malègue met en scène, revenant d'une conférence à l'École pratique des hautes études (peut-être de Loisy), l'abbé Bourret et un confrère qui regagnent Saint-Sulpice, discutant et doutant de l'historicité du Magnificat et du fait que la Vierge en soit son auteure directe, comme le texte de Luc le laisse entendre (ce dernier point est d'ailleurs contesté aujourd'hui par les exégètes de toutes opinions et confessions[note 15]).

Il pleut, les deux hommes passent dans des rues d’hôtels borgnes. Se souvenant de cette atmosphère glauque qu'il raconte à Augustin dans « Sacerdos in aeternum », Bourret lui avoue avoir vécu là le « trou noir » de sa foi.

Son compagnon récite, désespéré, en le modifiant, le chant de Marie : « Alors ton âme ne magnifiera plus le Seigneur, ô Vierge sainte et douce », pour finir par conclure à propos du verset « Désormais toutes les générations me diront bienheureuses » que : « oui, toutes les générations, ô Vierge, jusqu’à la nôtre qui l’aura dit la dernière, et maintenant voici que c’est fini[A 97] ! » Puis, en pleine rue, il pleure « brutalement. »

Barthe cite ce passage de Malègue voyant chez lui, comme chez Bernanos, l'angoisse d'une religion désarmée où le Christ semble avoir déserté le monde.

Foi et intelligence

L'importance que donne Malègue à l'intelligence dans la démarche de foi est inhabituelle dans le roman catholique[177]. Brombert cite à l'appui de son constat L'Imposture de Bernanos : « Oui, l'intelligence peut tout traverser, ainsi que la lumière l'épaisseur du cristal, mais elle est incapable de toucher, ni d'étreindre. Elle est une contemplation stérile[178]. » Un critique allemand estime aussi que chez l'auteur d' Augustin, ces traits essentiels de l'esprit français comme la pensée cartésienne et l'élan vital, le sensualisme les unissant, se transcendent un peu comme chez Novalis sous la visible influence notamment de Goethe et de l'idéalisme allemand, mais « sans sacrificium intellectus [sacrifice de l'intelligence] ni étouffement des sens. Voilà, dans la littérature française contemporaine, une rare exception[note 16] »

Dans le roman de Malègue, l'une des clés de l'intrigue ce sont les discussions entre Largilier et Augustin. Elles nourrissent leur amitié, s'approfondissent à cause de la liberté avec laquelle ils mettent leur âme à nu (« Devant toi, mon vieux, ça m'est égal »). À travers ce couple d'amis d'abord, mais aussi entre Augustin et son père, ou Bruhl, ou Anne, ou même Bourret, vie, passion, intelligence et foi, justement, se touchent et s'étreignent.

Scientifique, Pierre Largilier qui poursuit des études de physique, n'admet pas qu'on tire prétexte de la « relativité des connaissances scientifiques positives » pour tirer des conclusions en faveur de la foi. Mais regrette que les recherches historiques positives écartent les textes qui les « gênent ». Il a deux grandes idées : l'exégèse orthodoxe ne s'est jamais heurtée à des évidences historiques; Dieu se laisse deviner dans l'âme des saints.

Les exégèses orthodoxes ne se sont jamais heurtées, à des évidences comme l'assassinat de César aux ides de mars ou la victoire d'Auguste à Actium. Augustin en convient[A 98]. Malègue réexprime ce point de vue dans un essai théologique : le lien entre les dogmes et l'histoire ne rencontre que des obscurités qui ne feraient pas tant de difficultés dans un chapitre d'histoire ordinaire[179]. Professeur invité aux États-Unis, Augustin publie d'ailleurs « Les Paralogismes de la critique biblique », article qui met en cause ces critiques se voulant sans a priori, mais qui se contredisent en ayant cet a priori de suspecter tout récit impliquant le surnaturel (comme les récits de la résurrection), de telle façon qu'elles décident alors - indument selon G.Mosseray - de ce qu'elle appelle le « fond de la réalité ». Elles décident, entre autres, de mettre en cause les dogmes centraux de la foi chrétienne. Sans revenir à la foi, le héros de Malègue rejette cette façon de raisonner qui l'en a éloigné.

Largilier défend aussi une autre idée dont Augustin se sent proche à savoir que la sainteté est une réussite du même type - du point de vue de la rareté - que celles qui émergent de la prodigalité de la nature. Et Dieu demeure caché derrière tous les déterminismes si on ne le regarde pas là, dans l'âme du saint, où il s'offre à ce que nous pouvons appréhender de lui[A 99].

Cette manière de penser a quelque chose de bergsonien, le Bergson de L'Évolution créatrice et de Les Deux Sources de la morale et de la religion. « Bergson identifie religion dynamique et mysticisme » pense William Marceau[180], religion dynamique et mysticisme étant l'équivalent de la « sainteté » chez Malègue. Chez Bergson, par l'étude de la mystique, « il est possible à la philosophie d'approcher la nature de Dieu[181] ». William Marceau montre la convergence de pensée entre Malègue et Bergson chez qui l'accord profond entre les mystiques chrétiens est signe d'une identité d'intuition qui s'expliquerait le plus simplement « par l'existence réelle de l'Être avec lequel ils se croient en communication[182]. » Malègue, sur des voies parallèles à celles de Bergson, comme Largilier ou Augustin, a cherché aussi l'Absolu dans l'expérimental.

« Loin que le Christ me soit inintelligible s'il est Dieu, c'est Dieu qui m'est étrange s'il n'est le Christ. » Georges de la Tour.

Largilier (devenu prêtre), rend visite à Augustin, à l'appel de Christine. Celui-ci, qui est en fin de vie, refuse qu'on joue avec lui « avec les cartes truquées de la mort »[A 100]. M.Tochon estime que Malègue ne voulait pas que la conversion d'Augustin se « liquide » en quelques formules « pseudo-philosophiques et pseudo-religieuses[183]. » Dans cette lutte de Jacob et l'Ange (Le titre de l'avant-dernier chapitre de la dernière partie Augustin « Sacrificium vespertinum »), Augustin se mesure avec un être d'exception. Pour Malègue, en effet, si la foi dépasse l'intelligence, ces dépassements doivent être « pesés, critiqués, repensés, acceptés par l'intelligence[184]. » Quand Largilier met en avant la formule « Loin que le Christ me soit inintelligible, s'Il est Dieu, c'est Dieu qui m'est étrange s'Il n'est le Christ », il produit chez Augustin une réflexion que Moeller juge décisive. Augustin, intellectuel à « l'âme moderne », ce qui signifie selon Malègue « scientifique et mystique ensemble » ne peut qu'être frappé par cette manière de voir Dieu[A 101].

Le retour à la foi d'Augustin s'interprète de diverses manières. Malègue s'explique sur cette préoccupation de l'expérimental liée au dogme de l'incarnation dans Pénombres. Il y écrit, précisément, que l'Incarnation satisfait aux requêtes de l'esprit moderne, à la fois scientifique et mystique[185]. Il avait déjà écrit en à un lecteur protestant d' Augustin, Charly Clerc, professeur de littérature française à Zurich que l'on peut trouver chez des gens comme Octave Hamelin, William James, ou dans Les Deux sources de Bergson, ce qui peut satisfaire l'exigence intellectuelle contemporaine en matière d'existence de Dieu, à savoir sa découverte dans l'expérimental et que, d'après lui, Augustin est revenu à la foi encadré par les saints ordinaires qui ont peuplé sa vie[186]. Soit ces êtres qui, justement, font de Dieu une donnée de l'expérience. Léon Émery y voit une « stylisation de l'essentiel » dont les tableaux de Georges de La Tour pourraient fournir « l'illustration adéquate[187]. » Paulette Choné évoque d'ailleurs l'hypothèse que la Nativité de Rennes reproduite ci-contre aurait pu représenter une maternité ordinaire, certes pour la rejeter en raison d'éléments moins lourdement codés qu'en d'autres peintures à motif religieux[note 17].

Les rapports foi / raison chez Geneviève Mosseray

Ces êtres qui font de Dieu une donnée de l'expérience rappellent l'influence de Blondel et de sa notion de tradition sur Malègue, selon Geneviève Mosseray : dans le paragraphe Le roman mis en abyme, il est rappelé qu'elle souligne qu'Augustin a résumé son destin de croyant dans le roman en le divisant en trois actes ironiquement et amèrement, quand il se sait condamné par la tuberculose. L' « Acte II », la perte de la foi, a deux tableaux : (1) la critique fait perdre la foi au héros, (2) le héros critique cette critique (ce sont Les Paralogismes de la critique biblique dont la conclusion est proche de la pensée de Blondel pour qui la critique par elle-même est insuffisante à faire connaître le Christ). L' « Acte III » serait celui où « l'Ange » reconquiert le jeune héros[A 102]. Il n'aurait pas été tout à fait impossible que cela soit Anne « pleine de Dieu ».

Mais le dernier maillon ce sera Largilier, pense G. Mosseray. Le dernier maillon d'une longue chaîne comprenant par exemple la mère et la sœur d'Augustin, le « représentant » de la « tradition » de Blondel. Soit la vie – expérience, recherche intellectuelle, piété, amour, etc. - d’êtres qui n’ont cessé d’étonner Augustin. Il estime d’un bout à l’autre de ce long roman qu'en eux se trouve (ou se « trouverait » quand il doute), la possible « preuve expérimentale » de Dieu, la « preuve » par la mystique (anticipation des Deux Sources de Bergson selon Marceau, Yvonne Malègue, Lebrec). À travers Largilier, Augustin vérifie sa vieille hypothèse que le seul lieu où l'on puisse explorer le phénomène religieux est l'âme des saints, pas seulement les saints élevés sur les autels, mais aussi les saints qui ne le sont pas, que l'on rencontre dans la vie quotidienne, « les classes moyennes de la sainteté[A 103]. » Largilier est par lui-même, en tant que saint, une donnée qui amène à rencontrer Dieu. Celle même qui manquait à Augustin après avoir rejeté l'insuffisance de la critique à nous révéler le « fond de la réalité », à savoir l'absolu dans l'expérimental qu'est l'incarnation. Largilier va d'ailleurs lui en parler longuement. En s'exprimant comme il le fait, l'ami de toujours témoigne aussi de lui-même et de tous les êtres reliés au Christ qui ont peuplé la vie d'Augustin depuis « La petite cité » et les « Hautes terres » (les deux chapitres de « Matines »).

Les rapports foi / raison chez Moeller

Pour Moeller, Augustin ressent dans l'Incarnation la correspondance entre l'acceptation par le Christ du déterminisme des lois du monde qui le condamnent à la mort sur la croix et cette autre condamnation à mort, par analogie, qui le contraint à ce que sa parole se transmette à travers les modes de penser de son temps, devenus fragiles au regard de la critique historique pointue. Une troisième correspondance à l'acceptation par le Christ des lois du monde se révèle cette fois dans la destinée d'Augustin lui-même : il est promis à une brillante carrière, il est sur le point de vivre un grand amour partagé et, tout cela, la maladie va l'« immoler », à la manière dont le Christ ou les témoignages évangéliques sont eux aussi immolés.

Dans les trois cas, les « lois du monde » ôtent tout Sens : à la vie du Christ, à son message, à la vie d'Augustin[188]. Moeller ajoute que ce cheminement évoque le tour d'esprit de Bergson tentant d'appréhender les réalités métaphysiques dans l'expérimental[189]. On est ici, pense Moeller, au centre du roman : Largilier a « retourné » la manière dont le modernisme a fait perdre la foi à Augustin : la divinité de Jésus faisait difficulté pour Augustin à cause de l'exégèse de Loisy, non celle de Dieu dont il gardait une notion abstraite, déiste, ce qui ne surprend pas chez ce spécialiste d'Aristote. Maintenant il voit les choses autrement : à travers ce que lui dit Largilier, il éprouve la puissance intellectuelle de l'idée d'incarnation assumant le mystère de l'anéantissement humain qu'il est en train lui-même de vivre, face à la dérisoire divinité abstraite du Premier moteur d'Aristote. Qui n'explique pas non plus les moments « éternels » qu'Augustin vit jusque dans sa déréliction[190].

Enfin, pour ce qui est du « passage à l'acte [du retour à la foi] » (Augustin accepte finalement l'invitation de Largilier à se confesser), Moeller fait valoir une note psychologique retrouvée chez Pascal et, après lui, Blondel qui ont montré que l'Unique nécessaire peut nous être parfois communiqué même par un geste anodin, du moins en apparence[191].

Commentaire pascalien et kantien de Malègue

Blaise Pascal : « Tout tourne en bien pour les Élus, jusqu'aux obscurités, car ils les honorent à cause des clartés divines. Tout tourne en mal pour les autres jusqu'aux clartés, car ils les blasphèment à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas. »

Dès la parution d' Augustin, surpris que beaucoup de ses lecteurs aient interprété le retour à la foi chez Augustin comme de nature sentimentale, Malègue tint à montrer dans plusieurs conférences, de 1933 à 1936, que sa démarche avait été rationnelle tout au long du roman. L'appendice posthume aux éditions d' Augustin ou Le Maître est là à partir de 1947 reproduit le texte de ces conférences.

Lebrec rappelle, avec Malègue, qu'Augustin, bien longtemps avant son retour à la foi in extremis, considère (sans retrouver la foi), que la critique rationaliste des Écritures se prétend sans a priori mais en nourrit un contre la possibilité du surnaturel. Malègue montre que, dans de très nombreux entretiens (avec Largilier, Christine, Bourret, Hertzog), son héros campe sur cette position (la « critique de la critique »), sans aller plus loin. Sa dernière entrevue avec Largilier le fait changer d'avis. Il estime que l'article sur les paralogismes de la critique biblique (qu'on lui demande de rééditer), appelle une conclusion positive qu'il dicte à sa sœur. Juste avant la fin, il cite Pascal : « Tout tourne en bien aux Élus, même les obscurités, car ils les honorent à cause des clartés divines. Tout tourne en mal pour les autres jusqu'aux clartés, car ils les blasphèment à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas. » Qui fait écho à sa nouvelle position, longuement méditée : « Toutes les obscurités de l'Écriture et toutes ses clartés tomberont ensemble, s'entraînant l'une l'autre, sur un versant ou sur un autre, selon le côté où sera ton cœur. »[A 104]. Cette notion pascalienne de « cœur » a aussi quelque chose de décisif selon Lebrec[192].

Le « cœur » n'est pas l'affectivité, mais l'intuition extra-intellectuelle des trois dimensions de l'espace, de la suite infinie des nombres, etc. En une page d'une rare densité, estime Lebrec, Malègue rapproche cela des « formes a priori de la sensibilité » de Kant dans l'Esthétique transcendantale[A 105]. Il rapproche aussi les intuitions du « cœur » pascalien des postulats de la raison pratique (la liberté, Dieu et l'immortalité). Pour Malègue, le Pascal des Pensées élargit Kant[A 106]. Il faut même selon lui poursuivre cet élargissement jusqu'aux intuitions morales comme la passion de Dieu (éprouvée par les saints), le désir de donner un sens à la douleur, de dominer la mort[A 107]. Selon Malègue la raideur piétiste de Kant et la psychologie incomplète de son époque l'a empêché de les formuler[A 107]. Augustin encore agnostique s'appuyait sur les mêmes considérations lorsqu'il avait répondu à l'abbé Bourret avec vicacité lors de sa dernière entrevue avec lui : « La conscience des postulats est l'acte essentiel de l'intelligence. Dites au moins que deux histoires sont possibles, selon l' a priori que vous choisissez! »[A 108].

Pour Émile Goichot, le problème foi / raison est mal résolu

Pour sa part Émile Goichot, à l'instar de Clouard ou Loisy, estime que cet itinéraire n'est pas si convaincant : la période qui s'étend de la condamnation de Loisy à la Grande guerre est escamotée dans le roman[193] ; le héros, laïc chrétien, n'a pas à faire un choix dramatique entre la foi et l'incroyance, puisque sans répercussion sur sa carrière ; Malègue ne dit pas clairement ce que contient « Les Paralogismes de la critique biblique »[194]. Il apparaît cependant, lorsque Augustin discute avec l'abbé Bourret, que sa défense face à la critique exégétique moderniste, est qu'elle ne va pas au « soubassement des choses[195]. » Donc que la critique n'est qu'une technique qui ne livre que « des données brutes dont elle est bien incapable de dire le sens[196]. » Ce sens vient, soit d'une foi antécédente, soit d'un refus a priori du surnaturel. Le roman n'articule donc pas en un système cohérent la critique (et sa « stérilité ») et la foi « pur acquiescement du cœur[197]. » À son corps défendant, Malègue décrit donc un univers culturel démembré, celui de l'Église catholique, qui ne comprend pas encore ses failles, très visibles dans le roman, mais dont Malègue et ses lecteurs n'ont pas encore conscience comme le montrera plus tard Émile Poulat. L'historien du modernisme y voit (dans Modernistica) non la simple « aventure solitaire de quelques clercs et universitaires d'avant-garde » mais « la secousse annonciatrice du grand ébranlement qui va secouer tout le corps social catholique[198]. »

Conversion in extremis : Augustin versus Jean Barois et Mauriac

Plusieurs auteurs ont comparé ce premier roman de Malègue à celui de Roger Martin du Gard, Jean Barois, dans la mesure où, dans les deux cas, le héros principal revient à la foi de son enfance à la veille de la mort. Ou ont tenté de juger de l'authenticité de la conversion d'Augustin à la veille de sa mort.

Pour Victor Brombert, les deux démarches sont absolument différentes en ce qui concerne le rôle de la souffrance. Barois a peur de la mort et a la nostalgie de la douce atmosphère de son enfance. Il « choisit de mourir dans son village natal, entouré de visages et d'objets familiers », alors que pour Augustin la souffrance est une expérience exaltante qui l'élève jusqu'aux « altitudes glacées » de la méditation spirituelle et qu'il fait le choix de mourir dans l'altière altitude de la montagne suisse. « La haute altitude est le symbole d'un état d'âme à même de transformer la souffrance en beauté[note 18]. »

Pauline Bruley estime que, chez le héros de Malègue retrouvant la foi au moment de la mort, la « tension entre intuition et raison, entre cœur et esprit n'aboutit pas au fidéisme ». En revanche, elle pense que chez celui de Roger Martin du Gard, le retour à la foi au moment de mourir évoque « l'emprise de la religion sur les faibles[199]. » Même si, ajoute-t-elle, la mort qui joue un autre rôle chez Malègue, « risque de susciter un malentendu similaire[200]. »

Paul Doncœur nie qu'il s'agisse d'un « coup d'état du sentiment l'emportant sur une raison défaillante[201] », ce à quoi acquiesce Aubert, qui estime que Malègue peut cependant le laisser croire en faisant intervenir la conversion de son héros à un moment où il est très affaibli, chose qui nuit au sens qu'il a voulu donner à son roman[202].

Benoît Neiss oppose aussi le retour à la foi d'Augustin aux conversions - in extremis également - des héros de Mauriac : Louis dans Le Nœud de vipères, Brigitte Pian dans La Pharisienne, Irène de Blénauge dans Ce qui était perdu, etc. L'appel à un deus ex machina y engendre, selon Neiss, des retours à la foi ou au surnaturel psychologiquement invraisemblables et « sans lien organique avec la substance » des romans[203]. En revanche, selon lui, ce lien est évident quand Augustin accepte l'invitation de Largilier à se confesser. Neiss souligne ce que Malègue met clairement en évidence dans cette scène : le nouvel éclairage apporté par Largilier qui, intellectuellement, regroupe chez Augustin « ses points de vue et même toute son âme », un « envahissement lumineux » qui stupéfie la pensée du héros et lui fait aussi sentir quelque chose qui n'est « pas purement dogmatique ni doctrinal », mais la douce violence d'une Présence. Et même, à la fin, qui l'amène, dans un murmure, à parler de cette possibilité d'un Absolu éprouvé expérimentalement qui l'a philosophiquement obsédé toute sa vie, de l'École Normale[A 109] aux derniers moments[A 110].

Moeller qui considère que Jean Barois, représente la religion close de Bergson qui, par la fonction fabulatrice, se crée des mythes compensatoires consolants pour « se cacher la vue du « trou noir »[204]... ». Au contraire, selon lui, Augustin Méridier abandonne tout et offre tout parce que « ce qu'il rencontre dans la mort chrétienne, ce n'est pas une égoïste assurance sur la vie, fût-elle éternelle, mais Jésus-Christ[205]... »

Jean Mercier écrit que dans la discussion avec son ami Largilier, Augustin ne revient pas à la foi par peur de la mort, mais grâce à une « humble et patiente victoire de la raison[206] », gagnée par son ami qui est un saint et qui, estime le critique, le « guérit » en lui parlant de l'incarnation à travers la formule « Loin que le Christ me soit inintelligible s'il est Dieu, c'est Dieu qui est étrange s'il n'est le Christ[A 111]. » Pour Charles Moeller à cause du modernisme, Augustin éprouvait des difficultés à propos de la divinité de Jésus mais quand Largilier insiste longuement sur son humanité, il saisit que la « divinité nue », abstraite de Dieu, n'explique rien[207] et que la divinité de cet « Homme-Jésus » explique tout.

Paul Doncœur souligne qu'Augustin avoue à Largilier à Leysin « J'ai peur de t'exposer des désirs impossibles[A 112], » soit la paix de dogmes du prêtre ami, mais sans ses dogmes. Il sait que la chose va « contre l'intelligence »[208], et avertit son ami prêtre dans le même passage qu'il ne veut pas qu'il « joue avec lui avec les cartes truquées de la mort. » Il relève aussi que : « S'il [Augustin] avait conclu à la lumière de ses désirs, il eût été sentimental et fidéiste. Mais sa vraie nature l'en a écarté, consolidée par ses habitudes intellectuelles. Elle n'a même pas cédé devant cette véritable faim d'éternité qui a marqué les derniers mois de sa pauvre vie. » Dans le même sens que Moeller liant douleur et question biblique (il y a une fragilité des textes bibliques qui est aussi celle imposée par l'Incarnation et celle dont il souffre lui-même en sa maladie et sa mort), Doncœur ajoute que le héros de Malègue, à la fois du fait de sa fidélité à l'intelligence et de sa conversion « en a été récompensé intellectuellement, en ce que lui fut permise une élaboration parallèle et connexe de la loi de la douleur et de la forme évangélique du témoignage[209]. »

À propos du jeu avec « les cartes truquées de la mort », Ferdinando Castelli dans sa préface à la réédition en italien d' Augustin ou Le Maître est là (Agostino Méridier), La classe media della santità, estime que « Largilier est trop droit pour recourir à un tel subterfuge[210]. »

La conversion in extremis chez Malègue qui ressuscite l'expérience mystique de l'enfant Augustin dans l'âme de l'Augustin adulte et moribond, outre qu'elle est une extase de mémoire à la Proust mais retravaillée et plus complète, anticipe sur le texte célèbre de la Préface au pamphlet de Bernanos Les Grands Cimetières sous la lune, quand son auteur évoque la résurgence de l'enfant qu'il a été au moment de sa mort.

L'amitié

Au cours de la nuit où il perd la foi, Augustin se rappelle avoir surpris quelques lignes dans le carnet de Largilier égaré par celui-ci, le jour où il a présenté un mémoire plus que brillant à l'Académie des sciences. Augustin l'avait entr'ouvert et lu : « Je m'examinerai, et si la physique m'est une idole, je briserai l'idole. » Puis s'était excusé devant son propriétaire répondant : « De toi, mon bon vieux, ça m'est égal[A 113]. »

À la fin de la nuit, Augustin sanglote interminablement. Largilier inquiet de ne plus l'apercevoir dans le dortoir, descend, entre dans sa turne, le surprend en sanglots. Augustin ne s'en formalise pas plus que Largilier de l'incident du carnet répétant quasiment la même chose « Devant toi, mon vieux, ça m'est égal[A 114]. » Largilier lui dit que Dieu ne laisse pas errer ceux qui le cherchent sincèrement et qu'il enverrait plutôt un ange.

Il rend visite à Augustin mourant à Leysin à la demande de Christine devinant le désir profond d'Augustin de voir ce Largilier qui l'embrasse sitôt entré dans sa chambre. Le malade lui demande de ne pas se mettre à contre-jour pour voir ce qu'il est physiquement devenu, se moque amicalement de sa soutane. Le sujet de la maladie est abordé, mais surtout celui de l'amour pour Anne de Préfailles : « J'ai cru, mon Dieu, l'aimer presque depuis toute mon enfance. Bien que les émotions dont elle était la mesure ne s'appliquassent pas initialement à elle[A 115]. »

C'est la seule fois qu'il se confie sur son plus grand bonheur terrestre et son plus grand chagrin : les personnes en cause (connues de Largilier), l'étrange genèse de ce désir depuis le « rire de grâce mordante » d'Élisabeth de Préfailles, le fort parfum inoublié des roses reçues avec le début de consentement d'Anne via Mgr Hertzog. Augustin pleure. L'absence réciproque de respect humain chez ces deux hommes s'explique. Ils s'aiment d'amitié. Le « vieux mot » de leur jeunesse : « de toi à moi, ça m'est égal mon vieux » sert de nouveau à authentifier cet amour. Largilier s'en souvient comme si c'était d'hier.

Détail du tableau Le nouveau-né de Georges de La Tour

Quand ils reprennent leurs discussions intellectuelles, tout réticent qu'il soit (il le manifeste parfois avec hargne) aux inflexions religieuses des répliques de Largilier, Augustin redouble d'attention quand celui-ci lui parle de la sainteté, de l'expérience religieuse ou mystique, sujets qui le passionnent comme ils passionnent les philosophes croyants ou non de ce temps, d'une manière qui, selon Michel de Certeau, « s'impose à nous encore aujourd'hui[211]. »

Les deux hommes se parlent presque joue contre joue, sauf quand Augustin quitte sa chaise longue. Il lui arrive de prendre de longues minutes les mains de Largilier dans les siennes. Le titre de ce chapitre, l'avant-dernier du roman, « Jacob et l'ange », dit quelque chose de ce corps à corps sans doute intellectuel et spirituel, mais qui l'est aussi au sens presque physique (qu'il a dans la Bible), tendre.

Le malade a aussi demandé que Largilier lui donne un motif de vivre qui transcende ses derniers moments. Sans plus de retenue, il pose des questions sur la vocation religieuse de son visiteur, lui dit avec humour qu'il se serait bien fait jésuite pour continuer à vivre avec lui, lui explique aussi que son amour pour Anne le rejoint, lui, Largilier. Celui-ci est très intrigué. Augustin rappelle que Largilier lui avait promis la venue d'un « ange » lors de l'effondrement de sa foi à Paris et qu'il eut le sentiment que cet ange était Anne, mais il se trompait. Augustin va bientôt apprendre et Largilier aussi, que ce sera Largilier.

Sa délicatesse amicale selon Lebrec[212], le fait qu'Augustin a été souvent « au seuil de la conversion », la réapparition des interrogations d'une vie dans une lumière neuve selon G.Mosseray[213] et ceci notamment à cause de la vision qu'a Largilier de l'incarnation[214], dissipent l'impression de coup de théâtre que peut donner la proposition, d'abord brutalement refusée, faite par Largilier de l'entendre en confession. Dans ce chef-d'œuvre (Barthe) de « description psychologique[215] », Émery ne voit « rien de forcé, de machiné, de convenu[187]. »

Il n' y a ni deus ex machina de la grâce selon Aubert[216], ni « coup d'état du sentiment[201] » selon Doncœur. Henri Clouard et Loisy sont les seuls à parler d'un épilogue en forme de « foi du charbonnier ».

Brombert compare cette finale avec celle de Jean Barois où le héros trouve réconfort auprès d'un prêtre devenu incroyant depuis longtemps. Capital selon cet auteur est le fait qu'Augustin, lui, renoue avec la foi auprès d'un saint et, qui plus est, « his closest friend » « son meilleur ami[217]. » Il observe à la fin de la scène, quittant la chambre, « la petite taille et la nuque creuse[A 116] » de Pierre Largilier, c'est-à-dire, ponctue Malègue, de « l'ami qui était venu ».

La danse et la beauté

Ébauche du passage sur la danse et la beauté (Cerf, p. 471, Spes, p. 463). On lit: « —Et qu'est-ce que M.B. [Bergson] pense de la vraie grâce? —Elle est faite de lignes courbes qui expriment la sympathie et l'accueil, l'effort pressenti des choses vers nous.» Ce brouillon est suivi des mots : « Il n'ajoute pas ce qui fait le pathétique de certaines grâces, de celle de la danse en particulier. La danseuse vous fait croire qu'elle porte le bonheur dans ses bras arrondis... » (Photo d'un fragment du manuscrit d' Augustin ou Le Maître est là consulté aux archives Malègue de l'Institut catholique de Paris)

Lors de la deuxième visite d'Augustin aux Sablons en son dernier été, Anne, Élisabeth de Préfailles et lui-même observent les moustiques effleurant la surface d'un petit lac. Les deux femmes trouvent quelque de chose de gracieux à ce foisonnement de lignes brisées. Augustin, citant Bergson, pense que ce n'est pas là la vraie grâce, car ces lignes ne visent pas l'humain contrairement aux lignes courbes, expression même du mouvement spécifique vers les personnes et non plus les choses[note 19] en raison de leur « changement de direction incessant, fondu et sans heurt[A 117]. »

Granville Leveson-Gower´s children (1776-7), (George Romney)

Ceci explique, poursuit Augustin, le charme de la danse par laquelle, la danse étant ce qu'elle est, ceux qui dansent s'offrent eux-mêmes, du moins en apparence et en devançant des rêves et des désirs qui habitent de fait ceux qui les regardent en spectateurs, tout surpris d'avoir été devinés et tout surpris que la danse semble agréer à ce à quoi ils aspirent même parfois sans le savoir[A 118].

Élisabeth de Préfailles rappelle alors à Anne la petite fille qui danse dans un tableau de George Romney intitulé Children of Earl Gower, évocation qui fait sourire Anne. Augustin poursuit en expliquant que les offrandes de la danse à la satisfaction de nos désirs, nous voyons bien vite qu'elles ne sont qu'apparentes, étant donné qu'elles n'étaient pas des offrandes qui nous étaient destinées ni même à personne en particulier. Cependant, poursuit-il, la danse nous fascine parce que nous le croyons, et c'est le pathétique de la danse « que cette offrande et ce refus mêlés[A 119]. »

Puis Augustin revient sur cette idée d'offrande apparente et compare la danse à un autre phénomène auquel il applique totalement le pathétique dont il vient de parler, le phénomène de la beauté humaine qu'il décrit comme « offrande de bonheur qui ne s'adresse à personne en particulier », bien que « recueillie par ceux que le hasard place devant elle[A 120]. »

Comme il ne pense pas pouvoir avouer son penchant pour Anne, il s'en veut d'avoir parlé de cette façon de la beauté en sa présence parce que ses propres sentiments pourraient eux aussi avoir été devinés bien qu'il les ait dissimulés, mais aussi révélés à son propre insu, sous le couvert d'une explication philosophique d'une grande technicité.

L'amour

La partie « Canticum Canticorum » représente près du quart du roman, elle est consacrée à Anne de Préfailles dont Augustin tombe amoureux lors d'un examen qu'elle doit présenter chez lui. Troublé, il fait de violents efforts pour que rien n'en paraisse, la difficulté étant qu'il n'y a entre eux que soixante centimètres « d'air confiné où il reléguait son regard durci, maintenu aux refuges techniques[A 121]. » Peu à peu cette distance se charge de confiance et d'amitié durant la discussion sur l'expérience religieuse qui fascine Augustin, ce qui le rapproche de la jeune femme. L'entretien, si intellectuel qu'il soit, a quelque chose de personnel « appartenant en propre à la fine et grave jeune fille qu'il voyait devant lui mystérieuse[218] ». Pour Malègue, le professeur et son étudiante, quelques secondes, se sont entretenus « intimement ».

Augustin se remémore ces « dix merveilleuses minutes » en s'habillant pour le déjeuner auquel il est convié un peu plus tard aux Sablons, cette propriété à quelque distance de la ville qui le faisait rêver en son adolescence et où Anne vit[A 122]. Charles Moeller soutient que Malègue décrit ces entrevues avec une minutie qui l'égale à Proust[note 20]. Tout est décrit : arrivée au château, chemins sinueux fleuris de roses, timidités et maladresses d'un intellectuel trop hautain, éblouissement quand il conduit Anne à table, solitude à l'heure du café, la lecture du numéro de la Revue des deux Mondes permettant une contenance, nouvel éblouissement lorsqu'il voit Anne près de lui, lui offrant une tasse de café[219].

Rentré des Sablons, Augustin se met à la recherche de la Bible où il relit les versets du Cantique des Cantiques : « Tu m'as ravi le cœur, ma sœur fiancée ; tu m'as ravi le cœur d'un seul de tes regards » et il se met à genoux devant sa table comme lorsque, enfant, il priait, la tête dans les bras, en faisant le noir[A 123]. Jacques Vier a écrit de cet amour d'Augustin qu'il avait entraîné chez lui une « enquête aussi fougueuse que sur son Dieu perdu » et que Malègue l'avait grossie de son agnosticisme[220].

Un autre soir d'été aux Sablons, cette fois en présence seulement de quelques personnes, explique Léon Émery, deux acteurs supplémentaires font croître l'envoûtement : la pianiste et la musique de Chopin ainsi que Mgr Hertzog, le premier aumônier des talas alors simple prêtre, qui donnait des cours d'Écriture sainte lors de l'année préparatoire d'Augustin à l'École normale[221]. Avant la soirée, il est question du projet d'Anne de fonder une École normale secondaire d'Enseignement libre pour jeunes filles. Augustin lui offre ses services. Elle lui en est immédiatement reconnaissante, Augustin subissant le regard de ses yeux bleu sombre levés vers lui et le fait de la voir « pleine de Dieu, belle à en mourir[A 124]. » Augustin précise que même dans une école à buts religieux l'enseignement de la philosophie qu'il y dispenserait devrait rester indépendant, rappelant à cet égard que son maître Victor Delbos tenait beaucoup, à cause de sa foi même, à cette indépendance. Anne y acquiesce : car « sans cela il n'y aurait pas de Foi ! », ce qui amène Augustin à répéter ces mots d'un ton sourd et rude et le front baissé, commente Malègue, pour éviter le regard posé sur lui en se demandant s'il n'en avait pas dit trop au point qu'elle ne croie que son goût des choses religieuses serait celui du croyant qu'il n'est plus en ce moment, ce qui l'aurait mis en contradiction avec la sincérité absolue dont il devait faire preuve avec elle[A 125].

Bouquet de roses rouges, pastel au couteau de Pierre Vallon, 1997 : un bouquet de roses porté par une jeune fille stylisée figure au centre de la page de couverture des trois volumes de la traduction italienne d' Augustin.

Le salon est plongé dans l'obscurité, la musique conseillant de fermer les yeux et d'ajouter ainsi une nuit « interne, humaine [...] à la nuit sidérale ». Augustin, écrit Malègue, en écoutant Chopin, « ne savait plus qui devançait, qui était devancé, de son cœur ou de la musique[A 126]. » Bergson dit de fait que la musique « n'introduit pas ces sentiments en nous » mais qu'elle « nous introduit en eux, comme des passants qu'on pousserait dans une danse[222]. » La pianiste en vient à une rhapsodie hongroise de Franz Liszt, la musique, commente Malègue, suggérant qu'un « changement possible pouvait frapper l'un de ses grands amours d'une force d'éternité[A 127]. »

Quand la soirée musicale prend fin, Augustin échange ses impressions avec Anne et remarque qu'à la familiarité douce qu'elle lui avait déjà montrée depuis le début s'ajoute à présent « une sorte de timidité heureuse[A 128]. » Moeller résume le reste : durant le retour en voiture, Mgr Hertzog fait savoir à Augustin qu'une démarche de sa part serait bien reçue et Augustin cède : il pleure comme un enfant[219].

Il confie à Mgr Hertzog que cette jeune fille est l'ange dont parlait Largilier lors de la nuit où sa foi s'est effondrée et qu'il « sent la sourde présence et la terreur de Dieu. » La famille d'Anne lui a remis des roses pour sa mère et sa sœur. Il monte l'escalier qui conduit à l'appartement familial accompagné de leur parfum « en un recueillement encore terrifié, incomplètement éclairé par les premiers feux d'une effrayante joie[A 129]. »

Robert Poulet dans Cassandre hebdomadaire belge de la vie politique, littéraire et artistique du , reproche à Malègue l'absence totale de toute mention de la sensualité dans l'amour alors que, dit-il, même religieux, un romancier « n'a pas le droit de se dérober aux faits » et de faire de la chasteté de l'imagination une « contrainte artificielle ». Jean Lebrec, qui cite Poulet[223], signale que le romancier évoque cette sensualité chez l'enfant Augustin, embrassé par Élisabeth de Préfailles ou l'adolescent quand il la rencontre. Il lui arrive aussi une chaleur qui « lui fouettait la figure » quand il parle à la maîtresse d'un ancien camarade de lycée à Paris. Cette sensualité n'est que suggérée, notamment lors des trois visites aux Sablons, et comme le héros la dompte, poursuit Lebrec, Malègue préfère traiter de la rare sensibilité de son héros.

Lieux et paysages

Saint-Étienne-du-Mont vue depuis le Panthéon, à droite, la tour Clovis du lycée Henri-IV.

Par le procédé de l'analepse, on sait qu'Augustin a été professeur invité aux États-Unis et à Heidelberg. Fait prisonnier à Charleroi en , emmené en Allemagne, il est rapidement envoyé à Lausanne pour raisons de santé. Il a aussi joué le rôle de précepteur d'un neveu des Desgrès lors d'un séjour culturel en Angleterre. Il est encore maître de conférences à Lyon au début de « Canticum Canticorum ».

Toutefois, les trois lieux principaux du roman, déjà largement illustrés sur cette page, sont autres :

Philosophie de la mystique et de la sainteté

William James (1842-1910)

William James se pose la question du sens de la réalité objective de la présence divine dans certaines expériences religieuses[224]. De même qu'Émile Boutroux estimant que l'expérience mystique ou l'expérience religieuse ne sont pas seulement des états d'âmes purement subjectifs[225]. Ces deux philosophes sont cités dans le passage du livre où l'expérience religieuse - qui fascine Augustin - est la plus intensément évoquée : lors de l'examen de philosophie présenté par Anne de Préfailles chez Augustin Méridier, alors maître de conférences à Lyon.

James et Boutroux lors de l'examen d'Anne avec Augustin

Lors de cet examen, Augustin invite Anne à parler de William James décrivant précisément l'« expérience religieuse ». Pour Augustin, contrairement à l'expérience scientifique, elle est incommunicable. James pensait qu'elle était communicable, mais « par les voies où souffle l'esprit », soit de manière irrationnelle pense Augustin : la psychologie positive ne dispose pas d'instruments pour mesurer cette expérience.

Anne de Préfailles rétorque à Augustin que la psychologie positive, se limitant à l'ordre des phénomènes qu'elle étudie, néglige ceux de sainteté. Pareillement, si, par impossible, un chimiste ignorait la vie, il ne verrait pas la différence entre les éléments chimiques d'une molécule et ceux d'une cellule vivante relevant de la biologie[A 133]. Celui qui ignore Dieu ne voit dans l'expérience religieuse qu'hallucination ou pathologie[A 134].

Augustin remarque alors que, de la même manière qu'il n'y a de conscience que pour l'observateur conscient, de la même façon, il n'y a d'expérience religieuse que pour le croyant, ce qui, dit-il sur le mode interrogatif « enferme le croyant en un subjectivisme bien strict, à l'abri des critiques mais impuissant aux conversions[A 134] ? » Il cite ensuite une phrase d'Émile Boutroux, qu'il juge « aristotélicienne », dans laquelle celui-ci énonce un principe finaliste suivant lequel, lorsqu'un être a atteint toute la perfection dont sa nature est capable, cette nature ne lui suffisant plus, il acquiert l'idée claire du principe supérieur dont cette nature s'inspirait et il a l'ambition de le développer. Mais alors, dit Augustin à Anne, on est en pleine métaphysique « hors de toute atteinte de l'introspection ».

Pour Geneviève Mosseray, cette citation que fait Augustin, à ce moment précis, lui qui est l'auteur d'une thèse sur la finalité chez Aristote, est une façon de réévaluer sa propre pensée philosophique du point de vue religieux[171]. Car l'idée de finalité ou de finalisme est diamétralement opposée à celle du mécanisme. L'idée de finalité implique que les choses et les êtres agissent en fonction d'un but, d'une fin qui les dépasse (cette fin étant souvent Dieu lui-même pour ceux qui pensent de cette façon).

Augustin concède en outre à Anne que l'expérience religieuse pourrait être malgré tout la source de ce qui nous pousse vers le « principe supérieur » et donc pas nécessairement un raisonnement du type de ceux qu'utilise la métaphysique classique[A 135]. Anne lui répond que cette expérience confirme l'existence de ce principe supérieur et que le mot de Pascal « Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé » suggère que le principe agit ou est présent.

Émile Boutroux (1845-1921)

Geneviève Mosseray pense également que ce principe supérieur qui agit est cette « volonté voulante » qui pousse l'homme, chez Blondel, à aller de plus en plus loin dans l'action. Au fond de l'action dans laquelle l'homme est engagé depuis sa naissance, se meut en effet, selon Blondel, une « volonté voulante » qui pousse l'homme à se dépasser sans cesse : dépassement de lui-même vers l'amour humain, de celui-ci vers la famille, de celle-ci vers la patrie, de la patrie vers l'humanité et l'univers, puis de ceux-ci vers ce qui les dépasse à savoir Dieu, un Dieu qui doit cependant être atteint pour lui-même et non par superstition ou peur de la mort[213]. Pour appuyer ses dires, G. Mosseray constate à un autre endroit du roman, la façon dont Augustin devenu professeur parle de son ancien maître Victor Delbos. Non seulement cela illustre ce qu'elle vient de dire à propos de la volonté voulante entraînant l'homme toujours plus loin jusqu'à l'infini, mais les termes dont se sert Augustin pour faire l'éloge de Delbos sont « étonnamment proches » de la notice nécrologique que Blondel — par ailleurs ami intime de Delbos — lui consacre dans l' Annuaire des Anciens de l'École Normale Supérieure[226]. « Il y a là tout un réseau d'affinités qu'il est intéressant de signaler », poursuit G. MosseraY.

Dieu dans l'âme des saints « ordinaires »

Les saints « ordinaires » appelés aussi dans ce roman « classes moyennes de la sainteté » ne sont pas à confondre avec les « classes moyennes du Salut » du roman posthume de Malègue. Les « classes moyennes du Salut » désignent les êtres qui lisent la parole de l'évangile où Jésus dit de chercher premièrement le Royaume de Dieu et que le reste sera donné par surcroît, en donnant, en réalité, la priorité à ce « surcroît »[227]. Il s'agit selon Malègue, dont Chevalier rappelle la pensée, d'un « compromis intenable entre le bonheur terrestre et l'Amour unique de Dieu qui fait les saints[228]. »

Augustin qui côtoie sa mère et Christine dans les quinze jours qui précèdent la mort de madame Méridier et de Bébé pense à nouveau, en les observant, que l'âme des saints (élevés ou non sur les autels) est le terrain idéal de l'exploration du religieux[A 103]. Il s'agit donc bien pour ces deux femmes de sainteté authentique et non moyenne, comme pour les « classes moyennes du Salut ».

Selon Jean Lebrec, Augustin Méridier avait déjà bien perçu cela dès l'École Normale au point de confier à Bruhl (Robert Hertz selon Lebrec, socialiste et sociologue[229]) son sentiment que Dieu est présent dans l'expérience. Et Lebrec cite à l'appui de sa remarque sur les convictions d'Augustin le passage où il explique à son camarade de Normale que la conscience n'est pas le produit d'une simple complication de l'enchaînement des causes et des effets dans le domaine matériel comme le veut le déterminisme, mais qu'elle se fraye un chemin à travers ce déterminisme. Manière d'affirmer le finalisme.

E.Kant. L'interdiction kantienne (Augustin la critique) d'utiliser l'idée de cause hors intuitions empiriques invaliderait l'expérience des saints comme voie vers Dieu.

Ce progrès ou cette ascension de l'univers du matériel à la conscience ou à l'esprit rien ne nous interdit de penser qu'il se poursuit plus haut encore. Et à Bruhl qui lui demande comment il voit cela « dans les faits », Augustin répond qu'il l'observe chez les saints dont les vies débordent de ce « plus haut encore » que la conscience empirique, débordement qui s'identifie à la présence même de l'absolu en eux, et que l'on peut d'une certaine façon la toucher du doigt, expérimenter[A 136]. Malègue s'explique plus longuement à ce propos dans son essai théologique intitulé Ce que le Christ ajoute à Dieu.

Il y estime que les saints constituent la meilleure preuve possible pour les intelligences contemporaines, la preuve expérimentale d'une entrée du divin dans les causes secondes. Par leur héroïsme, en effet, ils échappent aux séductions terrestres, soit à ce qui enchaîne les hommes moyens aux déterminismes de la psychologie ou de la sociologie. Il se produit donc en somme dans leur vie, sur le long terme, ce qui se produit de manière instantanée dans le miracle, soit par exemple dans le cas d'une guérison miraculeuse, une rupture du déterminisme physiologique. Ceci « troue », selon Malègue, le tissu des causes secondes et du déterminisme qui nous cache Dieu, de sorte qu'il apparaît « sortant de l'Invisible et nous regardant[230]. »

Comme le Christ, le Saint par excellence, les saints sont en effet libres et dégagés des déterminismes sociaux ou personnels, des consécutions naturelles[231].

Cette façon d'envisager les choses est en contradiction, note aussi Malègue, avec la pensée d'Emmanuel Kant dans la Critique de la raison pure. Kant y sépare en deux cases incommunicables « ce qui est en soi, et ce qui apparaît aux yeux de l'homme avec défense de jamais se rejoindre[232]. » ; la distinction célèbre entre les noumènes (les choses en soi : Dieu par exemple) et les phénomènes (ce qui nous apparaît des choses et des êtres à travers les intuitions empiriques que nous en avons : la vie d'individus jugés « saints » par exemple).

Or, à l'occasion de la rencontre d'Augustin et de Mgr Hertzog qui précède la soirée musicale aux Sablons à la fin de laquelle l'évêque lui fera part d'un possible consentement d'Anne, Malègue fait le point sur ce qui, philosophiquement, bien qu'il ait perdu la foi, révèle cependant chez son héros « des sympathies religieuses, d'ailleurs fort générales ». Au nombre de celles-ci, on doit relever « une critique très profonde et très remarquée de l'interdiction kantienne d'utiliser l'idée de cause hors des intuitions empiriques[A 137]. » Le rejet ou la critique de cette interdiction kantienne par Augustin permet (au moins en principe pour Augustin, car celui-ci reste éloigné de la foi quand Malègue parle de cette critique chez son héros), de relier la réalité empirique de la vie exceptionnelle des saints à une cause qui « sort de l'invisible », une cause qui se situe au-delà des intuitions empiriques, Dieu en l'occurrence. Il s'agit bien en ce cas d' « utiliser l'idée de cause hors des intuitions empriques[note 22]. »

L'expérience religieuse remonte selon Malègue à l'incarnation qu'il voit comme la présence par excellence de l'absolu dans l'expérimental. Quand Augustin retrouve la foi à Leysin ces deux aspects sont présents : l’incarnation à travers le discours passionné de Largilier sur l'humanité de Dieu en Jésus-Christ et l'expérience religieuse ou mystique à travers les paroles qu'un Augustin lucide, très affaibli par la maladie et violemment ému ne peut plus que « murmurer » après sa confession : « preuves expérimentales… expérimentales[A 138]. »

Postérité du roman

Roman toujours actuel pour les uns, oublié pour les autres

 : La Civiltà Cattolica met Malègue au même rang que Mauriac, Bernanos, Mounier, Claudel, Gilson[233]

Reçu à l'Académie française le , le Père Carré parle de l’« inoubliable auteur d’Augustin ou Le Maître est là[234] ». En revanche, dans ses Carnets sur la toile (), Hubert Nyssen se rappelle fortuitement d’Augustin lu durant la Deuxième Guerre mondiale et le retrouve dans sa bibliothèque avec le sentiment « de sortir de la poussière les vestiges d’une littérature qu’on ne lit plus[235] ».

Que Malègue soit inoubliable, d'autres que le Père Carré en ont témoigné avant ou après son discours de réception à l'Académie française en 1976 : Charles Moeller qui, en 1953, parle de son premier roman comme d'un roman « dont la lecture fait date dans une vie[191] », Geneviève Mosseray qui, en 1996, en parle comme d'un livre rare ayant profondément marqué tous ceux qui l'ont lu[168].

Robert Coiplet avait choqué avec un compte rendu, dans Le Monde du , du roman posthume Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut, sans mentions d’Augustin (26 ans après sa parution, 19 ans après la mort de Malègue). Surpris d'avoir touché tant de monde, Coiplet écrit un nouvel article le , « L'influence de Joseph Malègue ». Dans cet article, il se demande si le « souvenir étonnant » qu'a laissé Malègue ne serait pas la vraie gloire littéraire.

« Le roman, déjà, avec l’effet du temps, s’envisage quasiment avec le recul que nous inspirent les classiques », écrit Francesco Casnati dans la préface à la traduction italienne de 1960[note 23].

Jean Guitton raconte l'intérêt de Paul VI pour ce roman dans Paul VI secret[236].

Pour Cécile Vanderpelen-Diagre, qui travaille au Centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité à l'Université libre de Bruxelles, Malègue est « totalement oublié »[68]. L'abbé traditionaliste Claude Barthe partage le même avis quand il juge à propos de Malègue qu'il ne faut même plus parler de purgatoire « mais d'anéantissement[237] ». Ces deux constats ont été publiés en 2004.

Pierre Martin-Valat qui invitait à « relire Malègue » en 1992[238], ne pouvait citer comme études récentes que celles de M. Tochon et Benoît Neiss de 1980. Il oubliait le chapitre du livre de la critique italienne Wanda Rupolo paru en 1985[239], traduit en français en 1989, le livre de William Marceau comparant Malègue et Bergson en 1987[240], l'important article d'Émile Goichot en 1988[241].

Outre l'étude de Geneviève Mosseray de 1996[70], on doit encore citer en 2006 Réalisme et vérité dans la littérature de Philippe van den Heede[242] (le livre consacré à Léopold Levaux revient souvent sur Malègue), Laurence Plazenet qui parle la même année de la visite d'Augustin à l'Église Saint-Étienne-du-Mont, quand, en compagnie de son père, il vient s'inscrire en classe préparatoire à Normale au lycée Henri-IV[243], deux colloques universitaires où Malègue est étudié parmi d'autres écrivains en 2005 et 2006[244]. Et rappeler les publications d'Agathe Chepy en 2002[245], du Père Carré en 2003[246], de Pauline Bruley en 2011[247] et de Yves Chevrel en 2013[248].

Geneviève Mosseray considère que le drame spirituel exposé par Malègue est toujours actuel parce qu'il met en avant des problèmes récurrents en matière de rapports entre foi et raison et, à l'appui de ses dires, cite des livres comme ceux de Eugen Drewermann ou Jacques Duquesne[249].

Un article de la revue ThéoRèmes, mis en ligne en , examine la validité de l'expérience religieuse en référence aux auteurs cités par Malègue comme William James ou Bergson, rapprochés par Anthony Feneuil du philosophe William Alston.

Patrick Rödel : « un écrivain d'une rare puissance, un monde qui pour n'être plus le nôtre est peuplé d'êtres d'une complexité qui peut encore nous passionner...»

Est posée, comme lors de l'examen que présente Anne de Préfailles chez Augustin, la question de son subjectivisme ou de son universalité[250].

Dans son blog sur la plateforme Mediapart, Patrick Rödel, opposant Malègue à certains écrivains connus de cette période qu'il estime réellement oubliés, écrit qu'en se plongeant dans Augustin ou Le Maître est là, il a « découvert un écrivain d'une rare puissance, un monde qui pour n'être plus le nôtre est peuplé d'êtres d'une complexité qui peut encore nous passionner, une qualité d'écriture qui s'adapte magnifiquement aux évocations de la nature comme aux subtilités de l'analyse des sentiments[251]. » Le journal de Nantes, Presse-Océan titre en p. 7, le « Le pape a ressuscité ce Nantais » et signale que le journal La Croix considérait Augustin comme le plus grand roman catholique de l'entre-deux-guerres[252].

Explications de cette postérité problématique

Jean Lebrec place Augustin dans la catégorie des œuvres « intemporelles » à l'écho « trop discret », mais d'une influence incomparable qui se mesure à la fidélité plus belle et plus « incommunicable[253] ». Ce que peut confirmer la réaction des lecteurs du journal Le Monde dont il a été fait état au paragraphe précédent.

Malègue, de 1934 à 1936, prend la parole treize fois : en France, en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, puis cesse. Le public curieux du roman autant que de l'auteur fut déçu, pense Lebrec, par quelqu'un ne se livrant pas, ne détendant pas l'atmosphère par l'humour et dont la voix « sourde, voilée, mal timbrée, basse[254] » devait le fatiguer lui et ses auditeurs[255]. Louis Chaigne décrit Malègue arrivant en retard (s'étant perdu dans Paris), à une conférence à l'Institut catholique de Paris, paraissant devant le public l'attendant avec inquiétude « dépaysé et étourdi à la manière des oiseaux de nuit devant un jet de lumière », parlant sans grâce ni complaisance mais avec une « pensée forte[256]. »

Wintzen explique plus tard, en 1970, la désaffection à l'égard de Malègue par son écriture, elle aussi difficile qui « ne recherche aucun effet littéraire, aucune prouesse stylistique[257]. » Son « tempérament secret et timide », pense Claude Barthe, le rendait « incapable de disserter » de ses livres et « de sa propre « petite musique » littéraire comme le faisait Mauriac[38]. » Il n'existe qu'une seule photo connue de Malègue que toutes les publications qui la reproduisent ont réutilisée.

Augustin sera réédité à 5 000 exemplaires en 1953, 1960 et 1966 ; Pierres noires a connu un vrai succès auprès de la critique en 1959. Mais en 1962, le livre que Léon Émery leur consacre s'intitule Joseph Malègue, romancier inactuel. Émery, ignorant de Malègue au temps de son plus vif succès des années 1930[257], pense que ce succès ne doit rien à une « publicité tonitruante ». Les « faiseurs de thèse » se détournent d'un écrivain connu par le seul bouche à oreille, rarement cité, guère mentionné par les histoires littéraires, oublié de catholiques s'honorant de Péguy, Claudel, Bernanos, Mauriac, pas de Malègue[258].

Wintzen s'étonne de ne retrouver ce livre, si lu, dans aucun des catalogues de livres de poche alors qu'il s'agit d' « une formule d'éditions en général très accueillante[257]. » En outre, pense-t-il, il y a chez lui un stoïcisme et un héroïsme « dont le catholicisme contemporain s'éloigne[257] », cette explication terminant les lignes consacrées aux romans de Malègue. Explication identique chez Jean-Marc Brissaud à propos de l' « héroïsme » passé de mode, comme les spéculations philosophiques (qu'il juge malgré tout être une « exception littéraire »), pour des chrétiens fascinés par le tiers monde ou le marxisme[259].

Un « amoncellement de circonstances », d'après Barthe, ont hypothéqué la reconnaissance de l'œuvre. Le prix de littérature spiritualiste qui lui est attribué en 1933 lui fait manquer le Femina. À la radio de Vichy, Jacques Chevalier, alors ministre de Philippe Pétain, rend hommage à Malègue le soir de sa mort. Son écriture exigeante l'empêche de conserver l'intérêt du public pour des romans imprégnés d'une culture catholique devenue « exotique ». À tout cela, au « caractère particulier de son art », s'ajoute la récurrente comparaison qu'exprime le « compliment empoisonné de « Proust catholique »[260]. »

« Le romancier de la nouvelle papauté » (Frédéric Gugelot)

Jorge Bergoglio (ici encore cardinal avec la présidente Kirchner) cite Malègue dans des interventions publiques comme cardinal puis comme pape.

Selon Émile Goichot, Malègue ne se serait pas rendu compte qu'il avait décrit en réalité le démembrement de l'univers culturel catholique tel que la crise globale qu'il subit le révèle depuis deux ou trois décennies.

Dans Le Temps du André Thérive parlait de la « gloire secrète » d' Augustin, expression que cite Lebrec en la prolongeant par les mots : « qui commençait à auréoler ce livre impopulaire[23]. » En 1984, Henri Lemaître trouvait « difficilement compréhensible » la méconnaissance de Malègue par la postérité[261]. Il juge dix ans plus tard qu'il demeure l'un des romanciers « les plus fâcheusement méconnus de la première moitié du XXe siècle[262], », romancier dont le chef-d'œuvre, Augustin ou Le Maître est là est considéré par Yves Chevrel en 2013 comme « le point d'orgue » d'une série de romans européens abordant des controverses religieuses avec au centre le modernisme[263].

Éditions du Cerf

Le Pape François, cite la réflexion de Largilier à Augustin mourant « Loin que le Christ me soit inintelligible s'il est Dieu, c'est Dieu qui m'est étrange s'il n'est le Christ », assimilant la première partie de la formule à une position théiste et la seconde à;la position chrétienne dans un discours à l'Université del Salvador en 1995[264], propos repris et traduit en français par Michel Cool : « Notre combat contre le l'athéisme s'appelle aujourd'hui le combat contre le théisme. Et aujourd'hui aussi est de règle cette vérité que Malègue, dans un contexte culturel différent mais en référence à la même réalité, avait si savamment affirmée au début du XXe siècle : « Loin que le Christ me soit inintelligble s'il est Dieu, c'est Dieu qui m'est étrange s'il n'est le Christ.» À la lumière de cette affirmation de Dieu manifesté dans la chair du Christ, nous pouvons définir la tâche de formation et de recherche dans l'université : elle est un reflet de l'espérance chrétienne d'affronter la réalité avec le véritable esprit pascal. L'humanité crucifiée ne donne pas lieu à nous inventer des dieux ni à nous croire tout-puissants ; bien plus — à travers le travail créateur et son propre développement —, elle est une invitation à croire et à manifester une nouvelle expérience de la Résurrection de la Vie nouvelle[265]. » Il commente à nouveau cette citation en 2010 quand il est encore archevêque de Buenos Aires[266].

Sur le site du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l'ULB, F.Gugelot répond à la question de savoir si Augustin est « le roman de la nouvelle papauté.»

Ce pape évoque encore Malègue dans une homélie du [267].

Le , Agathe Châtel, responsable éditoriale des Albums « Fêtes et saisons » aux Éditions du Cerf, estimant que l'oubli de Malègue peut s'expliquer par une crise de la culture, qu'il convient de se nourrir à la mémoire collective annonce que cette maison va rééditer Augustin ou Le Maître est là par ces mots : pour les rescapés de cette crise de la culture, « les questions d'Augustin, ce sont les nôtres[268]. » Elle explique aussi la difficile postérité de Malègue dans la préface à la réédition d' Augustin ou Le Maître est là en 2014 en soulignant que Malègue « est mort trop tôt et mal entouré[269]. »

Augustin réédité en italien dans le cadre de la Biblioteca del papa Francisco entreprise éditoriale du Corriere della Sera.

Le Figaro du rend compte de la réédition de ce roman « génial et étonnant » en ajoutant qu'il est « injustement ignoré par les histoires littéraires[270]. » Benoît Lobet compare en importance le premier roman de Malègue et l'ouvrage d'Emmanuel Carrère, Le Royaume dans la mesure où il s'agit de deux livres traitant des origines chrétiennes[271].

Le la traduction italienne d’Augustin ou Le Maître est là est rééditée toujours sous le titre Agostino Méridier dans le cadre d'une entreprise éditoriale des auteurs préférés du pape actuel sous le titre Biblioteca del papa Francisco. L'Osservatore Romano en rend compte en publiant un texte du Père Ferdinando Castelli Il capolavoro di Joseph Malègue La classe media della santita.

Le Père Castelli décédé en est le préfacier de cette réédition italienne[272]. Il avait publié un article sur le roman dans La Civiltà Cattolica en [273].

Le , Frédéric Gugelot, spécialiste de la Renaissance littéraire catholique en France, estime pour l’Observatoire des religions et de la laïcité de l'Université libre de Bruxelles qu’Augustin ou Le Maître est là appartient à une littérature « de l'authenticité spirituelle », non de celle où la religion est (avec des gens comme René Bazin, Paul Bourget, Henry Bordeaux), « le rempart d'une société d'ordre moral et social. » Frédéric Gugelot ajoute : « On comprend qu'il figure parmi les références de François[274]. » Une opinion analogue avait déjà été émise par Joseph Thomas dans Golias Hebdo : « Augustin ou Le Maître est là tient bien la main autant au grand Augustin des Confessions, à l'âme tourmentée, qu'au François d'Assise qui s'avançait à la mort, nu sur la terre nue, mais aussi à la tradition multiforme de la sainteté ordinaire [...] Il indique en filigrane une voie de confiance en la vie plus forte que toutes les raisons, traversant les certitudes les plus bétonnées. Faut-il y voir l'une des sources de l'humanisme joyeux et lucide du Pape François[275] ? »

Textes en ligne et liens externes

Bibliographie

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  • Joseph Malègue, Pénombres : glanes et approches théologiques, Paris, Spes, , 236 p., In-16, couv. ill (BNF 32411142)
  • Léopold Levaux, Devant les œuvres et les hommes, Paris, Desclée de Brouwer, , 334 p., « Un grand romancier catholique se révèle », p. 174-182
  • Paul Doncœur, « L’Augustin de M.Malègue : Un témoignage », Études, t. CCXVIII, , p. 95-102

Notes et références

Notes

  1. « Il est parvenu à traiter du problème de la foi plus intellectuellement que Bernanos et Mauriac » (« he managed to treat the problem of belief more intellectually than Bernanos and Mauriac »).
  2. Eeckhout 1945, p. 84 : « het werk van een denker en een kunstenaar »
  3. Casnati 1962, p. IX : « Di un romanzo si sente la forza e la verità nelle sua possibile parentela con un poema. Non è necessario il tono epico. Conta la sua musica, che puo essere sommessa. Leggendo Agostino Méridier questo pensiero della musica viene continuamente, fin dall'esordio »
  4. Ce résumé suit l'ordre et les insistances qu'a choisi d'adopter Lebrec
  5. Lebrec 1969, p. 158. Élisabeth de Préfailles sera plus tard la tante d'Anne de Préfailles dont Augustin tombera profondément amoureux.
  6. Selon C.Barthe, Loisy est également auvergnat d'origine - ce qui est une erreur d'ailleurs, Loisy étant originaire de la Marne - sulpicien et Professeur d'Écriture Sainte : Loisy lui-même, écrit Claude Barthe « lecteur de Malègue comme tout le monde, jugeait le personnage de Bourret, son alter ego peu flatté, Invraisemblable » voir Barthe 2004, p. 93.
  7. On comprend qu'il s'agit de lui, car le personnage a été nommé à l'Institut à cause de ses travaux sur Kant. Il est directement nommé plus loin 5e éd.t. II p. 189, 11e  éd. p. 515, Le Cerf, p. 523.
  8. Rupolo 1985, p. 138 : « è come voler fermare la luce non nella fissità del mezzogiorno, ma nel lento avanzarsi dell'alba. »
  9. Rupolo 1985, p. 147 : « Existono anche momenti indicibili, quasi sospesi, in cui il presente e il passato si confondono e il tempo sembra racchiudersi in un instante, per dar luogo alla sola meraviglia di esistere »
  10. Eeckhout se contente d'évoquer en général le rôle proustien de la musique tant de Chopin que de Liszt
  11. Rupolo 1985, p. 152-153 : « Lo stile delle scrittore trova il suo punto di forza nella freschezza di un'imaginazione che non perde mai il contacto con il reale. Luci, rumori, profumi contribusciono a fare emergere con più vigore le immagini »
  12. Rupolo 1985, p. 150 : « le immagini di immaculato candore, che si presentano ad Agustin, ricoverato nel sanatorio di Leysin, sono allusive all'attegiamento di distacco caratteristico dell'ultimo periodo della sua vita »
  13. Wanda Rupolo, op. cit., p. 151 : « La magia del biancore invernale si traduce altrove in impressionni vibratili ».
  14. Eeckhout 1945, p. 84 : « Slechts wie wijsgerig en theologisch geschoold is, zal dit boek ten volle begrijpen en genieten. Maar, hoe hoog zal zijn bewondering dan ook niet stijgen voor deze meesterlijke ontleding van een der pijnlijkste konflikten, waarin een mensch verwikkeld kan »
  15. Ce point particulier est exemplaire de l'évolution de l'Église catholique sur des questions de ce type. Il fut discuté à Vatican II lors de l'élaboration du texte concernant les Écritures saintes ou la Révélation. Voir François Laplanche, La crise de l'origine. La science catholique des Évangiles et l'histoire au XXe siècle, Albin Michel, Paris, 2004, p. 486.
  16. Grözinger 2004, p. 184 : « Die Hauptkomponenten französichen Wesens, Cartesisches Denken, Elan vital und ein diese beiden Pole verbindender Sensualismus transzendieren bei Malègue auf eine Novalis erinnernde Weise, ohne sacrificium intellectus und Abtötung der Sinne. Das ist in der modernen französichen Literatur ein seltener Ausnahmefall, bei dem Leibniz, Goethe und die Philosophie des deutschen Idealismus sichtbar leisteten. »
  17. Elle écrit : « en raison surtout de la densité symbolique, de la gravité quasi liturgique du geste de la servante », dans Paulette Choné, Georges de la Tour : un peintre lorrain du XVIIe siècle, Casterman, Tournai 1996, p. 150. (ISBN 2-203-62008-0)
  18. « Augustin ou Le Maître est là sharply departs from Jean Barois because Barois' physical and mental anguish provokes a state of moral depression and a yearning for childhood coziness. Barois chooses to die in his native village, surrounded by familiar faces and familiar objects. But for Augustin suffering is an exalting experience which elevates him to the « icy zones » of spiritual meditation. It is not a coincidence that, unlike Barois, he chooses to die in a quintessential solitude, in the impersonal sickroom of a Swiss mountain sanatorium.The very altitude symbolizes a spiritual state capable of transmuting suffering into beauty. »Brombert 1974, p. 226
  19. Dans les premières pages de l'Essai sur les données immédiates de la conscience, Bergson oppose aux lignes brisées qui n'en possède pas, la grâce qui est celle des lignes courbes : « Si la grâce préfère les courbes aux lignes brisées, c'est que la ligne courbe change de direction à tout moment, mais que chaque direction nouvelle était indiquée dans celle qui la précédait. La perception d'une facilité à se mouvoir vient donc se fondre ici dans le plaisir d'arrêter en quelque sorte la marche du temps, et de tenir l'avenir dans le présent. Un troisième élément intervient quand les mouvements gracieux obéissent à un rythme, et que la musique les accompagne. C'est que le rythme et la mesure, en nous permettant de prévoir encore mieux les mouvements de l'artiste, nous font croire cette fois que nous en sommes les maîtres. Comme nous devinons presque l'attitude qu'il va prendre, il paraît nous obéir quand il la prend en effet ; la régularité du rythme établit entre lui et nous une espèce de communication, et les retours périodiques de la mesure sont comme autant de fils invisibles au moyen desquels nous faisons jouer cette marionnette imaginaire. Même, si elle s'arrête un instant, notre main impatientée ne peut s'empêcher de se mouvoir comme pour la pousser, comme pour la replacer au sein de ce mouvement dont le rythme est devenu toute notre pensée et toute notre volonté. Il entrera donc dans le sentiment du gracieux une espèce de sympathie physique, et en analysant le charme de cette sympathie, vous verrez qu'elle vous plaît elle-même par son affinité avec la sympathie morale, dont elle vous suggère subtilement l'idée. Ce dernier élément, où les autres viennent se fondre après l'avoir en quelque sorte annoncé, explique l'irrésistible attrait de la grâce : on ne comprendrait pas le plaisir qu'elle nous cause, si elle se réduisait à une économie d'effort, comme le prétend Spencer. Mais la vérité est que nous croyons démêler dans tout ce qui est très gracieux, en outre de la légèreté qui est signe de mobilité, l'indication d'un mouvement possible vers nous, d'une sympathie virtuelle ou même naissante. C'est cette sympathie mobile, toujours sur le point de se donner, qui est l'essence même de la grâce supérieure. Ainsi les intensités croissantes du sentiment esthétique se résolvent ici en autant de sentiments divers, dont chacun, annoncé déjà par le précédent, y devient visible et l'éclipse ensuite définitivement. C'est ce progrès qualitatif que nous interprétons dans le sens d'un changement de grandeur, parce que nous aimons les choses simples, et que notre langage est mal fait pour rendre les subtilités de l'analyse psychologique. » in Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, PUF, 2011, p. 9-10.
  20. André Bellesort critique la manière dont Malègue décrit les choses, notamment pour cet épisode : « Il y a des descentes d'escaliers qui auraient rendu Proust jaloux ; des conversations où entre la question et la réponse, nous avons oublié la question ; des gaucheries, des répétitions affaiblissantes, des développements fastidieux. Seulement, nous avons affaire à une très forte imagination. L'abstraction est combattue, chez lui, par une fécondité d'images qui s'associa dans mon souvenir à celle de M. Bergson. Il s'y abandonne avec un grave plaisir. » dans André Bellessort, « Augustin ou Le Maître est là », Je suis partout,
  21. Bernier est le saint qui devait « sauver » les chrétiens médiocres de Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut
  22. Le texte de la 5e éd. comporte bien le mot « hors » mais pas celui de la 11e éd. et devient « l'idée de cause des intuitions empiriques », ce qui n'a pas de sens. Dans les éditions antérieures à la 5e éd., celles de 1933, par exemple (lisible en ligne), on a bien « l'idée de cause hors des intuitions empiriques ». Francesco Casnati dans sa « Nota Introduttiva  » à la traduction italienne fait référence à la même version dont il vient d'être parlé, « l'idea di causa fuori delle intuizioni empiriche » (l'idée de cause hors des intuitions empiriques), mais la traduction italienne (Volumo II, p. 303) laisse aussi tomber le mot « hors » (« fuori ») comme dans les éditions françaises de 1953, 1960 et 1966. En revanche, la traduction allemande contient le « hors » : « außerhalb empirischer Erfahrungen des Gedankens eines Kausalzusammenhanges » l'idée de cause hors - außerhalb - des intuitions empiriques »] in Augustin Benzienger & Co., Einsiedelln, 196, p.652. Enfin la dernière édition d' Augustin ou Le Maître est là au Cerf, n'élude non plus pas le mot important « hors »
  23. Casnati 1962, p. IX : « il romanzo ha già la patina e quasi li distacco dei classici »

Références aux éditions d’Augustin

  1. Augustin, 5e éd. (1942), t. I, p. 51, 11e éd. (1966), p.  47. Le Cerf (2014), p.  53.
  2. Augustin, 5e éd., t. II, p. 22, 11e éd., p. 363, Le Cerf, p.  371.
  3. Augustin, 5e éd., t. I, p. 55, 11e éd., p. 51, Le Cerf, p. 57.
  4. Augustin, 5e éd., t. I, p. 56‒58, 11e éd., p. 54, Le Cerf, p. 60.
  5. Augustin, 5e éd., t. II, p.  397, 11e éd., p.  705, Le Cerf, p. 713.
  6. Augustin, 11e éd., p. CCMXXIII.
  7. Augustin, 5e éd., t. I, p. 189‒191, 11e éd., p. 172‒173, Le Cerf, p. 182.
  8. Augustin, 5e  éd., t. II, p. 523-524, 11e  éd., p. 817-818, Le Cerf, p. 828.
  9. Augustin, 5e  éd., t. I, p. 58, 11e  éd., p. 367.
  10. Augustin, 5e  éd., t. I, p. 59, 11e  éd., p. 55, Le Cerf, p. 61
  11. Augustin, 5e  éd., t. II, p. 58, 11e  éd., p. 676-677, Le Cerf, p. 684.
  12. Augustin, 5e  éd., t. I, p. 66, 11e  éd., p. 61, Le Cerf, p. 67.
  13. Augustin, 5e  éd., t. II, p. 23, 11e  éd., p. 364, Le Cerf, p. 372.
  14. Augustin, 5e  éd., t. II, p. 56, 11e  éd., p. 666-667, Le Cerf, p. 674.
  15. Augustin, 5e  éd., t. II, p. 524-525, 11e  éd., p. 818, Le Cerf, p. 829
  16. Augustin, 5e éd.t. I, p.  20, 11e éd.,p. 20, Le Cerf, p. 26.
  17. Augustin, 5e éd.t. I, p. 21, 11e éd., p. 21,Le Cerf, p. 27.
  18. Augustin, 5e éd., t. I, p. 359, 11e éd., p. 328, Le Cerf, p. 337.
  19. Augustin, 5e éd. t. II, p. 473, 11e éd., p. 772-773, Le Cerf, p. 782
  20. Augustin, 5e éd.t. I, p. 178, 11e éd., p. 162, Le Cerf, p. 170.
  21. Augustin, 5e éd.t. I, p. 173, 11e éd., p. 158, Le Cerf, p. 166.
  22. Augustin, 5e éd.t. I, p. 246, 11e éd., p. 225-226,Le Cerf, p. 233.
  23. Augustin, 5e éd.t. II, p. 52, 11e éd., p. 389, Le Cerf, p. 398.
  24. Augustin, 5e éd.t. II, p. 184, 11e éd., p. 510, Le Cerf, p. 518.
  25. Augustin, 5e éd.t. II, p. 135, 11e éd., p. 465Le Cerf, p. 474 où il est question des « marges vendéennes, dans le pays d'où venait son nom »
  26. Augustin, 5e éd., t. I, p. 266, 11e éd., p. 249, Le Cerf, p. 257.
  27. Augustin, 5e éd.t. II, p. 343-348, 11e éd., p. 655-659
  28. Augustin, 5e éd.t. II, p. 180 11e éd., p. 506, Le Cerf, p. 515.
  29. Augustin, 5e éd.t. II, p. 209 11e éd., p. 532, Le Cerf, p. 541.
  30. Augustin, 5e éd., t. I, p. 307, 11e éd., p. 281, Le Cerf, p. 290.
  31. Augustin, 5e éd., t. I, p. 274, 11e éd., p. 251,Le Cerf, p. 258.
  32. Augustin, 5e éd.t. II, p. 180, 11e éd., p. 164, Le Cerf, p. 172.
  33. Augustin, 5e éd. (1942), t. I, p. 142, 11e éd. (1966), p. 130, Le Cerf, p. 136.
  34. Augustin, 5e éd.t. I, p. 402, 11e  éd., p. 708, Le Cerf, p. 716.
  35. Augustin, 5e éd.t. I, p. 407, 11e  éd., p. 713, Le Cerf, p. 716-717.
  36. Augustin, 5e éd.t. I, p. 517, 11e  éd., p. 811, Le Cerf, p. 821.
  37. Augustin, 5e éd.t. II, p. 445-446, 11e éd., p. 713, Le Cerf, p. 756-757.
  38. Augustin, 5e éd., t. I, p. 350 11e éd. (1966), p. 320, Le Cerf, p. 329.
  39. Augustin, 5e éd.t. I, p. 366 11e éd., p. 334, Le Cerf, p. 343.
  40. Augustin, 5e éd., t. II, p.  84 11e éd., p.  419, Le Cerf, p. 427.
  41. Augustin, 5e éd.t. II, p. 174, 11e éd., p. 502, Le Cerf, p. 510.
  42. Augustin, 5e éd.t. II, p. 182, 11e éd., p. 508, Le Cerf, p. 517.
  43. Augustin, 5e éd.t. I, p. 50, 11e éd., p. 45, Le Cerf, p. 51.
  44. Augustin, 5e éd.t. I, p. 203, 11e éd., p. 186, Le Cerf, p. 194.
  45. Augustin, 5e éd.t. I, p. 262‒272, 11e éd., p. 241‒249, Le Cerf, p. 247-255.
  46. Augustin, 5e éd.t. II, p. 146, 11e éd., p. 476, Le Cerf, p. 485.
  47. Augustin, 5e éd.t. II, p. 483, 11e éd., p. 567‒601, Le Cerf, p.  575-608.
  48. Augustin, 5e éd.t. II, p. 40, 11e éd., p. 37, Le Cerf, p. 43.
  49. Augustin, 5e éd.t. II, p. 500-501, 11e éd., p. 797, Le Cerf, p. 806.
  50. Augustin, 5e éd.t. II, p. 124, 11e éd., p. 455, Le Cerf, p. 464.
  51. Augustin, 5e éd.t. II, p. 363, 11e éd., p. 673, Le Cerf, p. 680, cité par Rupolo 1985, p. 145.
  52. Augustin, 5e éd.t. II, p. 39, 11e éd., p. 378, Le Cerf, p. 386.
  53. Augustin, 5e éd.t. II, p. 16, 11e éd., p. 358,Le Cerf, p. 366.
  54. Augustin, 5e éd.t. II, p. 523, 11e éd., p. 817, Le Cerf, p. 827.
  55. Augustin, 5e  éd.t. I, p.  347-348, 11e  éd., p.  316-317, Le Cerf, p. 325.
  56. Augustin, 5e  éd.t. II, p. 517, 11e  éd., p. 811, Le Cerf, p. 821.
  57. Augustin, 5e éd.t. II, p. 517, 11e  éd., p. 811, Le Cerf, p. 821.
  58. Augustin, 5e éd.t. II, p. 517, 11e  éd., p. 812, Le Cerf, p. 821-822.
  59. Augustin, 5e éd.t. II, p. 518-519, 11e  éd., p. 812-813, Le Cerf, p.  822-823.
  60. Augustin, 5e éd.t. II, p. 522, 11e  éd., p. 815, Le Cerf, p. 826.
  61. Augustin, 5e éd.t. II, p. 524, 11e  éd., p. 818, Le Cerf, p.  828.
  62. Augustin, 5e éd.t. I, p.  30, 11e éd., p. 28, Le Cerf, p. 34.
  63. Augustin, 5e éd.t. I, p. 302, 11e éd., p. 276, Le Cerf, p. 285.
  64. Augustin, 5e éd.t. II, p. 282, 11e éd., p. 600, Le Cerf, p. 608.
  65. Augustin, 5e éd.t. I, p. 12, 11e éd., p. 12, Le Cerf, p. 18.
  66. Augustin, 5e éd.t. II, p. 27, 11e éd., p. 25, Le Cerf, p. 31.
  67. Augustin, 5e éd.t. II, p. 30, 11e éd., p. 28, Le Cerf, p. 34.
  68. Augustin, 5e éd.t. II, p. 258, 11e éd., p. 578, Le Cerf, p. 586.
  69. Augustin, 5e éd.t. I, p. 83‒84, 11e  éd., p. 77-78, Le Cerf, p.  84.
  70. Augustin, 5e éd.t. I, p. 66-67, 11e éd., p. 61, Le Cerf, p. 67.
  71. Augustin, 5e éd.t. I, p. 132, 11e éd., p. 121-122, Le Cerf, p. 128.
  72. Augustin, 5e éd.t. II, p. 36, 11e éd., p. 375,Le Cerf, p. 383.
  73. Augustin, 5e éd.t. I, p. 159 11e éd., p. 145.Le Cerf, p. 153.
  74. Augustin, 5e éd.t. II, p. 249, 11e éd., p. 570,Le Cerf, p. 578-579.
  75. Augustin, 5e éd.t. II, p. 277, 11e éd., p. 595, Le Cerf, p. 603.
  76. Augustin, 5e éd.t. II, p. 370, 11e éd., p. 679, Le Cerf, p. 686.
  77. Augustin, 5e éd.t. II, p.  506. 11e éd., p.  801, Le Cerf, p. 811.
  78. Augustin, 5e éd., t. I, p. 27211e éd., p. 249, Le Cerf, p. 257.
  79. Augustin, 5e éd., t. II, p. 221, 11e éd., p. 203, Le Cerf p. 211.
  80. Augustin, 5e éd., t. I, p. 11, 11e éd., p. 11, Le Cerf, p.  17.
  81. Augustin, 5e éd.t. I, p. 12‒13, 11e éd., p. 12, Le Cerf, p. 18.
  82. Augustin, 5e éd.t. I, p.  30, 11e éd., p. 28, Le Cerf, p. 34, cité par Moeller 1953, p. 224.
  83. Augustin, 5e éd., t. I, p.  40, 11e éd., p.  37, Le Cerf, p. 43,.
  84. Augustin, 5e éd.t. I, p.  43, 11e éd., p.  40, Le Cerf, p. 46,.
  85. Augustin, 5e éd.t. I, p. 82, 83‒84, 11e  éd., p.78.
  86. Augustin, 5e éd., t. I, p.  124-127, 11e éd., p.  114-117, Le Cerf, p. 120-124.
  87. Augustin, 5e éd., t. I, p. 149, 11e éd.,p. 136, Le Cerf, p. 132-143.
  88. Augustin, 5e éd.t. I, p.  132, 11e éd.,p.  121, Le Cerf, p. 127.
  89. Augustin, 1re éd., p. 136, 2e éd., p. 124.
  90. Augustin ou Le Maître est là, 5e éd.t. I, p.  136-17, 11e éd.,p.  124-125, Le Cerf, p. 132.
  91. Augustin, 5e  éd. t. I, p.  249, 11e éd., p.  229, Le Cerf, p. 236-237.
  92. Augustin, 5e éd.t. I, p.  250, 11e éd., p. 229, Le Cerf, p. 237.
  93. Augustin, 5e éd.t. I, p.  339, 11e éd., p.  309, Le Cerf, p. 318.
  94. Augustin, 5e éd.t. II, p.  493, 11e éd., p.  789‒790, Le Cerf, p. 799.
  95. Augustin, 5e éd.t. I, p.  357, 11e éd., p.  326, Le Cerf, p.  335.
  96. Augustin, 5e éd.t. I, p.  369‒370, 11e éd., p.  337‒338, Le Cerf, p. 346.
  97. Augustin, 5e éd.t. II, p.  261 11e éd., p.  581, Le Cerf, p. 589.
  98. Augustin, 5e éd.t. I, p.  315‒319, 11e éd., p. 288‒291, Le Cerf, p. 297-300.
  99. Augustin, 5e éd.t. I, p.  258‒259, 11e éd., p. 237, Le Cerf, p. 245.
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Autres références

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  148. , exemple : CNTRL
  149. Lebrec 1969, p. 328
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  157. Rupolo 1985, p. 150 : « Un riscontro di analisi linguistica concreta porta a evidenziare, sopratutto nelle prima parte dell'opera, la straordinaria frequenza del colore giallo, un colore in un certo senso ambivalente, uno dei più caldi, ma nel quale è insita une certa sfumatura mistica; trionfa con l'estate e con l'autumno; traduce, a seconda delle sfumature, idee di vitalità, ma è annunziatore anche di declino »
  158. Rupolo 1985, p. 151 : « Il mondo visivo di Malègue è un mondo di colori e di luci, che si integrano in forme fluide »
  159. notamment Moeller 1953, p. 221,Lebrec 1969, p. 242
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  182. Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Chicoutimi, coll. « Les classiques des sciences sociales », (1re éd. 1932) (lire en ligne), p. 132.
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  223. Lebrec 1969, p. 211.
  224. Henri Bergson, Sur le pragmatisme de William James édition critique réalisée par Stéphane Madelrieux et Frédéric Worms, PUF, Paris, 2011, note 10) de Madelrieux et Worms p. 114. L'ouvrage principal de James est The Varieties of Religious Experience : À Study in Human Nature, New York et Londres, Longmans, Green & Co, 1902.
  225. Émile Poulat, L'université devant la mystique, éditions Salvator, Paris, 1999, p. 139.
  226. citée parMosseray 1996, p. 88
  227. Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut, Spes, Paris, 1958, p. 433.
  228. Jacques Chevalier, Mon souvenir de Joseph Malègue, in Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut (Préface), p. IX-XIII, p. XI.
  229. J.Lebrec, Joseph Malègue romancier et penseur, p. 246.
  230. Ce que le Christ ajoute à Dieu in Pénombres, Spes, Paris, p.62-64.
  231. Lebrec 1969, p. 389
  232. Pénombres, op. cit.,p.64.
  233. « Nella cultura francese non agiscono più i Mauriac, i Claudel, i Malégue, i Gilson, i Maritain, i Mounier. » (Giandomenico Mucci, in « Come sta la Francia cattolica? », in La Civiltà Cattolica, no 3843 7-21 août 2010). La revue réédite la traduction italienne d' Augustin
  234. Réception de M. le Révérend Père Carré DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE le jeudi 26 février 1976
  235. Carnets
  236. « Un de mes amis me racontait que le livre de Malègue l'avait tellement séduit qu'il n'avait pas pu dormir de la nuit : il avait passé la nuit à le lire, c'était « notre propre histoire de l'âme qui y était racontée ».». dans Jean Guitton, Paul VI secret, DDB, Paris, 1980, p. 79.
  237. Barthe 2004, p. 73.
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  244. ‘’La finalité dans les sciences et dans l’histoire’’ Colloque organisé par le ‘’Centre d'Études et de Prospective sur la Science (CEP)’’, à Angers, 15 et 16 octobre 2005 et l'intervention de Benoît Neiss : L'œuvre de Joseph Malègue, une littérature, médiation des plus hauts mystères d'une part et, d'autre part, ‘’Herméneutique biblique et création littéraire de la fin de l'âge classique à l'époque contemporaine’’ Colloque international sous la direction de Jean-Yves Masson (Paris IV-Sorbonne) et Sylvie Parizet (Paris X-Nanterre) 11-13 mai 2006.
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  264. . « Nuestra lucha contra el ateísmo, hoy se llama lucha contra el teísmo. Y también hoy es de ley aquella verdad que Malegue, en otro contexto cultural pero refiriéndose a la misma realidad, tan sabiamente había afirmado en los albores del siglo: "Lejos de serme Cristo ininteligible si es Dios, precisamente es Dios quien me resulta extraño si no es Cristo. A la luz de esta afirmación de Dios manifestado en la carne de Cristo podemos delinear la tarea formativa e investigadora en la Universidad: es un reflejo de la esperanza cristiana de afrontar la realidad con verdadero espíritu pascual. La humanidad crucificada no da lugar a inventarnos dioses ni a creernos omnipotentes; más bien es una invitación -a través del trabajo creador y el propio crecimiento- a creer y manifestar nuestra vivencia de la Resurrección, de la Vida nueva. »
  265. François, pape du nouveau monde, Salvator, Paris, 2013, p. 65. (ISBN 978-2-369-18002-9))
  266. Il évoque Malègue dans un récent recueil de conversations publié en 2010 : il se souvient de « un diálogo entre un agnóstico y un creyente del novelista francés Joseph Malègue. Es aquel en que el agnóstico decía que, para él, el problema era si Cristo no fuera Dios, mientras que para el creyente consistía en qué pasaría si Dios no se hubiera hecho Cristo » Traduction française : « un dialogue entre un agnostique et un croyant du romancier français Joseph Malègue. Dans lequel l'agnostique dit que le problème pour lui serait que le Christ ne serait pas Dieu, tandis que pour le croyant la question serait de savoir ce qui se passerait si Dieu ne s'était pas fait Christ » EL JESUITA. Conversaciones con el cardenal Jorge Bergoglio Ediciones B, Buenos Aires, 2010, p. 40. « Copie archivée » (version du 31 mars 2014 sur l'Internet Archive)
  267. La Croix du 2 novembre 2013
  268. Agathe Chepy-Châtel, Préface à Augustin ou Le Maître est là, Cerf, Paris, 2014, p. 7-10, p. 7.
  269. Le Figaro du 23 janvier 2014.
  270. De deux livres étonnants
  271. Il capolavoro di Joseph Malègue La classe media della santita.
  272. La classe media delle santità, «Agstino Méridier», Di Joseph Malègue
  273. Augustin ou Le Maître est là, le roman de la nouvelle papauté consulté le 3 décembre 2021.
  274. Golias, no 343, 4 juillet 2014.

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