Histoire des Canaries

L'histoire des Canaries est plus ancienne qu'il ne paraît, moins cependant que l'histoire géologique, dont le point chaud des Canaries, responsable du volcanisme de l'archipel des îles Canaries, et la province des montagnes sous-marines des îles Canaries (es) (Canary Islands Seamount Province, CISP).

Reconstitution (façon Renaissance) de la Description de la Terre du géographe romain Pomponius Mela (vers 43), f. 182
Pierre Bertius, Carte de l'Afrique (1640)

Légendes

La mythologie grecque parle des Champs Élysées, mais aussi du fabuleux jardin aux pommes d'or du jardin des Hespérides, nymphes du Couchant, à la limite occidentale du monde, de l'autre côté du détroit de Gibraltar (Colonnes d'Atlas, Colonnes d'Héraclès, Colonnes d'Hercule, Djebel Tarik). À partir d'Hésiode, les textes parlent d'Îles des Bienheureux (Macaronésie) ou Îles Fortunées, où les âmes vertueuses goûtent un repos parfait après leur mort. On a tenté d'identifier au cours des âges ce lieu mythologique situé aux extrêmes limites du monde avec des îles de la côte atlantique de l'Afrique. Il est également question d'Îles Satyrides. L'océan atlantique est surtout perçu comme Mer des Ténèbres, au moins très longtemps à partir du Cap Boujdour.

Le thème se retrouve dans d'autres civilisations : en mythologie celtique irlandaise, le genre Immram évoque Tír na nÓg (La Terre des Jeunes) et Mag Mell (La Plaine du Plaisir). La mythologie celtique brittonique offre Annwvyn, l'irlandaise Sidh, la légende arthurienne propose Avalon. La mythologie slave a également son île légendaire de la mer océane, Bouïane.

Existent également l'hypothèse hasardeuse de contacts trans-océaniques précolombiens, les récits légendaires de missionnaires chrétiens, comme Saint Brendan (vers 530) ou de voyageurs arabo-andalous, comme Khachkhach Ibn Said Ibn Aswad, qui aurait effectué un voyage périlleux et bénéfique en Atlantique en 889, et l'histoire du Vinland.

Antiquité

La civilisation carthaginoise (ou punique, 814-146 AEC), d'origine phénicienne, développe un empire ouest-méditerranéen et nord-africain, qui entre tardivement en rivalité avec la République romaine (SPQR) expansionniste.

Hannon le Navigateur est un navigateur et explorateur carthaginois, aussi célèbre et discuté que Euthymènes (Périple de la mer Extérieure) et Scylax de Caryanda (ou du moins le Périple du Pseudo-Scylax). Vers 500 AEC, Hannon[1] aurait été chargé par Carthage de franchir les Colonnes d'Hercule avec une flotte de soixante navires de cinquante rameurs chacun et 30 000 personnes à bord ; il doit débarquer à chaque étape pour y fonder des colonies ou peupler des comptoirs déjà existants et, une fois atteint le dernier comptoir, poursuivre sa route pour une expédition d'exploration[2]. Son périple a été transcrit sur une stèle déposée dans le temple de Ba'al-Hammon à Carthage. De l'original punique non retrouvé, il existe une version grecque intitulée Récit du voyage du roi des Carthaginois Hannon autour des contrées qui sont au-delà des Colonnes d'Hercule, gravée sur des plaques suspendues dans le temple de Kronos : le périple d'Hannon. L'historien Raymond Mauny, autant que d'autres historiens, relève au minimum des inexactitudes, ou des impossibilités, dont le non-signalement des îles Canaries.

La domination de la République romaine (509-27 AEC) s'étend également dans la région. Les guerres puniques (contre les Carthaginois, 264-146 AEC) sont longues et très risquées. La province d'Afrique (de 146 AEC à environ 400), correspondant globalement à la Tunisie et la Libye actuelles (Ifriqiya), de culture phénico-punique (littérature phénico-punique (es)), se romanise. Les romano-africains sont d'origine berbère, de souche locale, ou punique, mais peuvent aussi être des descendants de populations venues de Rome elle-même, ou de diverses régions de l'empire, notamment les légionnaires.

La Maurétanie antique, pour les Romains, est le territoire peuplé de Maures (Imuriyen) ou Mauri, partie du grand groupe des Libyens ou Berbères, parlant des langues berbères. Du royaume de Maurétanie, quelques rois sont connus des Romains : Baga, Bocchus, Sosus, Bogud, Bocchus II.

Pour le rôle de ses dirigeants dans la guerre de Jugurtha (112-105 AEC), la guerre civile entre César et Pompée (49-45 AEC) et l'échec de la politique numide en Afrique du Nord, la Maurétanie est relativement préservée, dans le cadre de l'Afrique romaine (de -146 à 429 environ).

Les multiples déplacements de population(s), quelles qu'en soient les modalités (exploration, colonie de peuplement, colonisation, relégation, déportation, accidents maritimes, exils collectifs volontaires), de Maurétanie aux îles Canaries, peuvent-être plus anciens (et puniques), mais dateraient plus sûrement du siècle des règnes de quelques grands rois de Numidie (orientale ou occidentale) puis de Maurétanie, de culture punico-berbère, lettrés :

  • Gauda, roi de Numidie de 105 à 88,
  • Hiempsal II, roi de 88 à 60, auteur et historien en punique (selon Salluste),
  • Juba Ier, son fils, roi de 60 à 46,
  • Arabion, roi de Numidie occidentale de 44 à 40, dernier roi de Numidie indépendante,
Carte antique supposée, façon Juba II
Selon Pline le Jeune, Juba II aurait donné leur nom aux îles Canaries, pour y avoir trouvé de grands chiens féroces (canarius, du latin canis chien), il y aurait collecté des informations sur la flore, la faune et l'ethnographie, et il aurait nommé cinq îles en latin : "Canaria" (aujourd'hui Grande Canarie), "Nivaria" (l'île de la neige perpétuelle, maintenant Tenerife), "Capraria", "Iunonia Maior" (probablement La Palma), "Iunonia Minor" et une en grec, "Ombrios" (actuelle El Hierro).

La révolte d'Aedemon (40-44), consécutive à cette exécution, entraîne une reprise en main par les Romains, dont le découpage de la Maurétanie en deux provinces romaines, Maurétanie césarienne (globalement Algérie) et Maurétanie tingitane (globalement Maroc). Les classes dirigeantes numides puis maurétaniennes demeurent exposées aux conflits avec diverses confédération de tribus berbères, qui se révoltent à plusieurs périodes, avant et après la romanisation des territoires. Le géographe Pomponius Mela[3] fournit vers +43 une Description de la Terre et une Chorographie assez sommaires (hors Méditerranée).

À la suite de ses prédécesseurs Posidonios d'Apamée et Marinos de Tyr, Ptolémée, dans sa Géographie (traité rédigé vers 150), considère que ces îles sont à la limite occidentale du monde habité (avec Thulé au Nord, pour mesurer la latitude). Selon Ptolémée, l'écoumène s'étend entre la latitude 63° Nord (pour Ptolémée, il s'agit du parallèle de Thulé) et celle de 16° 25’ Sud (le parallèle d’Anti-Meroe, la côte orientale de l'Afrique), couvrant 180° en longitude. La localité le plus à l'Ouest, où il place le méridien de référence, se trouve sur les îles « Fortunata » (îles des Bienheureux), généralement associées aux îles Canaries[4], sans doute El Hierro ou Île du Méridien : méridien de Ferro. Du côté Est, l'endroit le plus éloigné appartient à la péninsule indochinoise.

Millénaire obscur

De la chute de l'Empire romain (429 environ) à la redécouverte au 14e siècle, la période semble un millénaire d'isolement insulaire : perte de techniques de navigation et de construction d'embarcation, absence de contact entre les îles, régression technique (habitat, artisanat, outillage), élevage de petits animaux (chèvres surtout), culture de l'orge, chasse, piégeage, pêche, développement ou non-développement séparé de chaque île (identité et différenciation), absence millénaire de tout témoignage textuel.

Sur cet archipel d'isolats culturels, vit un groupe ethnique indigène, les Guanches[5], d'origine (punico-)berbère, que n'ont atteints ni les religions à mystères, ni la christianisation, ni l'islamisation.

Le guanche, aussi appelé berbère canarien, amazigh canarien ou tamazight insulaire, langue préhispanique canarienne, langue des anciens canariens, est la langue, aujourd'hui éteinte, parlée par les Guanches aux îles Canaries[6]. Il appartient au groupe berbère de la famille des langues chamito-sémitiques. Le guanche s'éteint vers le 18e siècle, bien que de petites communautés continuent à l'employer jusqu'au 19e siècle. Des toponymes guanches sont encore conservés de nos jours, surtout les noms de communes et de lieux-dits, mais aussi en élevage, flore, ethnonymie... La langue de chaque île étant très similaire, des indigènes de certaines îles sont utilisés comme interprètes dans la conquête des suivantes.

14e siècle

Au 14e siècle, différents récits signalent de possibles îles atlantiques, librement inspirés des descriptions antiques, suffisamment flous pour ne pas trop révéler de secrets de marins.

Déjà, en , peut-être, deux galères quittent le port de Gênes sous la direction des frères Vandino et Ugolino Vivaldi. Leur objectif est d'établir des relations commerciales avec l'Inde. Pour ce faire, il faut contourner l'Afrique. Les navires traversent le détroit de Gibraltar et naviguent vers le sud le long de la côte africaine. On pense que les Génois connaissaient les îles Canaries et se dirigeaient vers elles pour obtenir de la nourriture et de l'eau. Il n'y a aucune information fiable sur la localisation des navires lorsqu'ils disparaissent en mer.

En 1312, une expédition dirigée par Lancelotto Malocello veut rechercher les galères : origine des premières cartes mentionnant Lanzarote avec armoiries génoises "Insula de lanzarotus marocelus".

Une expédition quitte le port de Palma de Majorque (Baléares), en , avec pour tâche de "prendre l'une des îles mentionnées ou toute ville ou colonie fortifiée... et de la transférer à leur seigneur lige". Tout ce que l'on sait du déroulement du voyage, c'est que les navires sont apparemment revenus après environ cinq mois et demi.

Le navigateur génois Niccoloso da Recco (1327-1364) est l'un des chefs de l'expédition, équipée par le roi portugais Alphonse IV, qui explore les îles Canaries pendant quatre mois en 1341, afin de déterminer les avantages économiques de contacts commerciaux ou de conquête d'îles océanes. Recco fournit un rapport crédible sur la situation des îles Canaries, De Canaria et insulis reliquis ultra Ispaniam in Oceano noviter repertis (vers 1342). La version latine envoyée à Rome en est attribuée à Boccace (Giovanni Boccaccio, 1313-1375). L'éruption volcanique de 1341 est contemporaine.

Le navigateur majorquain Jaume Ferrer (en) serait le découvreur supposé de la "Rivière d'Or" (Rio de Oro) en 1346, mais disparaît en mer. Vers 1350-1400 Henry Sinclair, les Frères Zeno, navigateurs vénitiens, seraient à l'origine de la Carte Zeno (publiée en 1558). Le Libro del Conoscimiento, manuel héraldique et géographique, témoignerait d'un voyage supposé réalisé par un moine franciscain vers 1350.

Par la bulle Tuae devotionis sinceritas (de) du , le pape Clément VI (1291-1352, en charge en 1342-1352) nomme prince de la Fortunée (es) (ou Prince de Fortunie) l'amiral français Louis de la Cerda (1291-1348, dit Louis d'Espagne), au profit du propriétaire supposé, le Saint-Siège, à une époque troublée de la papauté. Le , il reçoit de la main du pape une couronne et un sceptre comme symboles de son état et de sa souveraineté sur les (onze) îles, en échange d'une rente de 400 florins d'or par an, avec des indulgences accordées à tous ceux qui participeront à l'expédition de conquête, lors d'une cérémonie relatée par Pétrarque[7],[8]. Les efforts ultérieurs du pape et du nouveau prince pour mettre en place une force pour conquérir les îles Canaries avec d'autres dirigeants européens restent infructueux, et le prince des îles Heureuses ne rejoint pas sa principauté. Après la mort du « Príncipe de la Fortunata », ses héritiers n'ont aucun intérêt à faire valoir des droits. D'ailleurs, dès le , cette désignation et les droits attachés sont contestés par le roi Alphonse VI de Portugal, comme par le roi de Castille Alphonse XI.

En même temps que la « Principauté des îles Heureuses » échoue, quelques prêtres et moines majorquins élaborent le projet de convertir les habitants des îles Canaries exclusivement par le travail missionnaire pacifique. La base en serait les enseignements du philosophe et théologien majorquin Raymond Lulle (1232-1315). Douze indigènes de l'île de Grande Canarie, arrivés à Majorque comme esclaves, seraient d'importants contributeurs à l'évangélisation, une fois libérés, enseignés, baptisés. Deux armateurs se déclarent prêts à financer l'expédition pacifique, contre quelque conséquence annexe économique, comme les droits d'exportation des îles Canaries vers les pays méditerranéens de produits locaux comme l'orseille pour la fabrication d'une teinture rouge, mais aussi de chèvres (viande et peaux). Le pape apprécie et accorde à tous les participants une indulgence générale.

Le , par la bulle "Coelestis rex regum", le pape Clement VI crée l'Évêché des îles de la Fortune (es) (ou évêché de Telde, à Grande Canarie) et nomme Bernardo Font son premier évêque. Les Majorquins sont probablement arrivés sur l'île de Grande Canarie au milieu de 1352. Une coexistence pacifique semble s'instaurer entre les indigènes et les missionnaires majorquins avec leurs assistants canariens. L'évangélisation ne paraît pas avoir grand succès. Une première église chrétienne peut être construite, grâce à des colons majorquins accompagnateurs également en bonnes relations avec les peuples autochtones. Divers voyages entre Majorque et Grande Canarie semblent avoir eu lieu, documentés à partir de 1386.

Dans le dernier quart du 14e siècle, en particulier à partir des ports castillans, des opérations sont lancées, menées uniquement à des fins de raids et de capture d'esclaves sur la côte marocaine et aux îles Canaries. Le parcours d'une de ces compagnies de "pêche aux esclaves" est enregistré dans la "Crónica del rey don Enrique III" pour l'année 1393.

Sous la responsabilité du noble Gonzalo Pérez Martel (1350-1392), seigneur d'Almonaster la Real (Huelva, Andalousie), de nombreux aventuriers andalous et basques se regroupent pour équiper une flotte de cinq ou six navires dans le but de piller les îles Canaries. Fin mai ou début , la flotte quitte le port de Séville. La première cible est Grande Canarie, où les assaillants s'emparent de résidents (hommes, femmes) et de bétail. La deuxième destination est Lanzarote, où ils capturent 170 indigènes, dont le roi de l'île et sa compagne (Tinguafaya).

Ces attaques déstabilisent les habitants indigènes des îles, qui assimilent rapidement missionnaires pacifiques et marchands d'esclaves. Après diverses incursions, les Canariens tuent les missionnaires pacifiques pour collusion supposée avec les prédateurs.

Deux éruptions auraient eu lieu en 1393-1394, selon le témoignage de marins biscayens.

Cartographie

Pour apprécier l'état, à cette époque, des cartes de cette zone de l'Atlantique, il convient de se reporter à :

L'hypothèse de la circumnavigation chinoise (thèse pseudo-historique de 2002), avec ou sans exploration/découverte d'îles atlantiques s'appuie sur la personnalité de l'amiral chinois Zheng He (1371-1433) et surtout sur la carte Kangnido (1402, Corée) d'authenticité douteuse.

L'hypothèse d'exploration et/ou de découverte arabo-musulmane d'îles atlantiques ne s'appuie encore sur aucun document authentique de navigation.

15e siècle

La population guanche en 1400 est estimée à moins de 40 000 personnes (dont 30 000 à la Grande Canarie, et moins de 5 000 à La Palma). La navigateur vénitien et explorateur portugais Alvise Cadamosto (1432-1488) semble avoir joué un grand rôle dans l'action portugaise.

Le stratovolcan Teide, vers La Orotava (Ténérife), entre en éruption en 1430, de mémoire guanche. Une éruption aurait eu lieu vers Boca Cangrejo (près de El Rosario (Tenerife)) en 1492, signalée par Christophe Colomb.

Historiographie

Le constructeur de forteresse Leonardo Torriani (1559-1628) devient particulièrement connu sur l'archipel avec son rapport Description et histoire du royaume des îles Canaries (1588-1589) pour le roi Philippe II, écrit en italien vers 1590 (environ 100 ans après la conquête). et Antonio de Viana (1578-1650), qui a traité l'histoire de manière littéraire, mais avec un certain nombre d'éléments fictifs.

Vers 1590, Gonzalo Argote de Molina (es) (1548-1596) publie son Historia de las islas Canarias.

Alonso de Espinosa (1543-1616) publie en 1594 Del origen y milagros de la Santa Imagen de nuestra Señora de Candelaria, que apareció en la Isla de Tenerife con la descripción de esta Isla, Notre-Dame de Candelaria, qui serait apparue en 1390 à deux Guanches, à l'origine de la dévotion populaire à la désormais sainte patronne de l'archipel,

En 1632 paraît, rédigée vers 1590-1600 par le frère franciscain Juan de Abreu Galindo (es), une « Histoire de la conquête des sept îles Canaries »[9]. L'auteur aurait apparemment eu accès à des documents de l'époque de la conquête.

À la fin du 18e siècle, le clerc José de Viera y Clavijo (en) (1731-1813)) tente de résumer toutes les informations connues à l'époque, dans son livre, Noticias de la historia general de las Islas de Canaria (es) (1772-1783).

Dans tous les cas, il s'agit d'une vision européenne, européo-centrée, gommant le vandalisme culturel des conquérants, cherchant à faire disparaître, par destruction systématique, tout héritage de l'ancienne culture canarienne, païenne : bâtiments, grottes, lieux de culte, etc., jusqu'aux recherches archéologiques récentes.

L'ère de la redécouverte européenne des îles Canaries par les Européens est marquée par l'avancée de la Reconquista (722-1492) dans la péninsule ibérique, l'importance des réseaux commerciaux (particulièrement italiens), la recherche de nouvelles routes vers l'Inde et la Chine, les avancées technologiques généralement, et en particulier les progrès dans la navigation grâce à l'utilisation de la boussole, de l'astrolabe et des portulans.



Îles Canaries : seigneurie et royauté

Les îles sont ainsi un lieu de prédilection pour les chasseurs d'esclaves de tous les horizons qui les capturent afin de les revendre aux seigneurs d'Afrique du Nord. Et ceci jusqu'en 1402 (en pleine guerre de Cent Ans) et l'arrivée du navigateur dieppois Jean de Béthencourt (1362-1425)[10],[11]… accompagné d'émigrants français. Le récit en est consigné dans Le Canarien, rédigé par deux chapelains au service de Béthencourt, les clercs Jean Le Verrier et Pierre Boutier.

Béthencourt, avec pour objectif annoncé la christianisation des îles, cherche à s'établir à Lanzarote, puis à Fuerteventura et à El Hierro. Il est reconnu « roi des Canaries » par Henri III de Castille, sans envisager d'aborder les autres îles, beaucoup plus peuplées et dont les habitants sont réputés être de farouches guerriers. Jean de Béthencourt est un baron normand né en 1362 en pays de Caux, à Grainville-la-Teinturière. Les tisserands de Grainville-la-Teinturière tiennent leur fortune d'un colorant issu d'un lichen (l'orseille Roccella tinctoria). Ce lichen, très présent sur les îles Canaries, y est utilisé depuis les temps les plus reculés pour teindre la laine d'une couleur pourpre. Jean de Béthencourt a donc alors, évidemment, également des visées lucratives lors de la conquête des îles Canaries.

La conquête seigneuriale des îles de Seigneurie (es) (Islas de Señorío, décrétées de droit seigneurial : Lanzarote, Fuerteventura, El Hierro et La Gomera) occupe presque les trois quarts du siècle : Conquista Betancuriana, Conquista señorial, Conquista normanda. Le prétendu royaume des îles Canaries (en) (1404-1448), dans un contexte de féodalité, est une seigneurie féodale vassale de la Couronne de Castille : le postulant, conquérant potentiel, est nommé vassal du roi de Castille (qui se prétend possesseur du pays confié) pour devenir seigneur des îles (ou de telle île), qu'il tente ensuite de contrôler dans la pratique. Il ne s'agit généralement pas d'une conquête militaire, au pire d'une série d'escarmouches, parce que le rapport de force entre le prédateur (les conquérants) et la proie (les vaincus) se révèle plutôt équilibré sur ces îles, à cette époque. La soumission des peuples indigènes à la domination de la Couronne de Castille se produit plutôt sur les "Islas de Señorío", mais aussi dans la majeure partie de l'île de La Palma et du côté sud de l'île de Tenerife, certes par des combats, mais surtout par des contrats partiellement extorqués, sorte de traités inégaux.

L'exercice effectif des droits de domination tels que les recettes fiscales et la juridiction ne peut souvent s'appliquer qu'après un certain temps. Il en est de même pour la christianisation associée à la soumission. Même lorsque les habitants d'une île se font baptiser, ils demeurent souvent longtemps éloignés d'un mode de vie chrétien, notamment par manque d'information. Au cours des premières années, le pouvoir des seigneurs ou de leurs gouverneurs se limite dans de nombreux cas au groupe de colons européens et aux zones situées à proximité des fortifications et des ports. Les "messieurs" sont responsables de l'amélioration des infrastructures, ils sont "patrons" de toutes les églises paroissiales et sont censés défendre les îles contre les attaques de l'extérieur. Bientôt, ils perçoivent les droits et taxes pour le roi, occupent les postes dans les administrations nouvellement créées et dans les tribunaux.

En revanche, la conquête des îles de Royauté (es) (Islas de Realengo, décrétées de droit royal castillan : Grande Canarie, La Palma, Tenerife) se déroule avec davantage d'efforts militaires, sous le commandement de chefs de troupes, réputés à carrière militaire respectable, chargés de la conquête par reddition, responsables de toute l'organisation militaire et économique. Leur objectif n'est pas l'acquisition d'un domaine en tant que propriété personnelle (en fief), mais le gain matériel direct de l'action, par la soumission inconditionnelle. Puis ils deviennent des fonctionnaires de la couronne, parfois avec des charges héréditaires : les seigneurs de ces îles sont alors uniquement les rois de Castille.

La bulle pontificale Sicut dudum (1435) du pape Eugène IV condamne l'esclavage pratiqué sur les indigènes des îles Canaries, les Guanches, baptisés ou non, sous peine d'excommunication. Ce premier jalon doctrinal contre l'esclavage semble avoir eu fort peu de conséquences aux Canaries. En 1441, le franciscain espagnol Didakus Diego d'Alcalá (Didakus, 1400-1463), missionnaire à Fuerteventura, (ré)organise l'évangélisation des Guanches.

En 1448, les troupes portugaises occupent l'île de Lanzarote. Après les révoltes de (toutes les parties de) la population, le prince portugais Henri le Navigateur retire ses troupes de l'île en 1450. En 1452, Inés Peraza de las Casas (es) (1424-1503) hérite des droits de domination sur les îles, qu'elle exerce, selon la tradition de l'époque, avec son mari Diego García de Herrera y Ayala (es) (1417-1485), jusqu'à sa mort.

Pendant des dizaines d'années, Portugais et Espagnols se disputent la possession des terres. L'archipel, étape importante sur les routes maritimes conduisant vers l'Afrique australe, l'Asie et l'Amérique, est finalement attribué à l'Espagne en 1479 par le traité d’Alcáçovas. Les Portugais bénéficient en compensation de l'île de Madère, située non loin au nord des Canaries.

Les autres îles et îlots de l'archipel (l'archipel de Chinijo (dont La Graciosa), Los Lobos, etc.), mais aussi les Îles Selvagens (disputées), sont réputés inhabités au moment de la conquête.

Soumission des îles de Seigneurie

L'expédition de Jean de Béthencourt et de Gadifer de La Salle (1340-1415) débute en 1402 en tant qu'entreprise privée des deux initiateurs égaux, après avoir ensemble participé en 1390 à une expédition franco-génoise, dirigée par Louis II de Bourbon, contre la piraterie des barbaresques (contre les chrétiens) en faisant le siège de Mahdia (Tunisie). Par la bulle "Apostolatus officium" du , « Iohannis de Betencourt et Gadiferi de Sala » sont nommés chefs de mission. Au départ, sans approbation, ni ordre ni soutien du roi de France ou de Castille. Leurs troupes commencent à conquérir Lanzarote, Fuerteventura et El Hierro. Un important contingent d'origine berbère est amené sur l'île de Lanzarote pour la repeupler. S'apercevant, au premier séjour dans les îles, de l'insuffisance de leurs propres moyens pour atteindre leurs objectifs, Jean de Béthencourt revient fin en Castille, pour obtenir le soutien nécessaire du roi Henri III de Castille (1379-1406).

Béthencourt reçoit l'aide de son parent Robert de Bracquemont (?-1419, "Robín de Bracamonte"), alors ambassadeur du roi de France à la cour de Castille, facilitant l'obtention d'un ordre du roi Henri III de Castille le , qui charge le seigneur "Diego Hurtado de Mendoza" d'accepter l'hommage féodal de "Juan IV de Bethencourt". Par ce serment féodal, Béthencourt reconnaît le roi castillan comme suzerain des îles Canaries, et en est également désigné le vassal. Béthencourt bénéficie ainsi de la protection de son entreprise vis-à-vis d'autres entreprises ayant les mêmes objectifs. En outre, les exportations et les importations à destination et en provenance des îles Canaries sont désormais traitées comme des mouvements de marchandises à l'intérieur des pays de la Couronne de Castille. Il reçoit également un certain nombre de privilèges économiques et juridiques dans son fief, dont la perception des impôts et monopoles commerciaux. En outre, Henri III soutient l'entreprise avec une subvention de 20 000 maravedís.

Un autre soutien obtenu par Béthencourt, grâce à l'intermédiaire de son parent, est la reconnaissance de l'entreprise comme croisade par Benoît XIII (antipape à Avignon), en , avec indulgence pour les dons faits pour la conversion des indigènes des îles Canaries. Le , le pape établit le diocèse de San Marcial del Rubicónun diocèse pour les îles Canaries avec son siège à Rubicón (Lanzarote).

Parmi les successeurs en tant que "señor de las islas de Canaria", Seigneur des îles Canaries, titulaire de la seigneurie féodale vassale de la Couronne de Castille :

  • Maciot de Béthencourt (1385-1454),
  • Enrique de Guzmán (1391-1436) (es),
  • Hernán Peraza el Viejo (es) (1390-1452),
  • Diego de Herrera (es) (1417-1485),
  • Guillén Peraza (es) (Guillén de las Casas el Mozo, 1424-1503),
  • Inés Peraza (es) (1424-1503).

Lanzarote

Le débarquement en 1402 des Français, menés par Jean de Béthencourt et Gadifer de La Salle, se fait sans combat, ni de la part des indigènes ni de la part des Européens. Dès son arrivée, Jean de Béthencourt entame des négociations avec Guadarfia (es), le souverain des Majos (es) (ou "Majoreros"), le peuple indigène de Lanzarote (et Fuenteventura), assisté des deux interprètes nés sur l'île et embarqués comme esclaves affranchis en Europe. Par l'accord conclu, les deux parties se considèrent comme amis, et les Européens s'engagent à protéger les Majos des attaques des chasseurs d'esclaves. Avec l'approbation de Guadarfia, baptisé Luis de Guardafía, la construction du système de défense du Rubicón commence : une tour à deux étages ouverte au sommet (d'une surface au sol de 6,8 m sur 6,8 m), une église (d'une surface au sol de 7 m × 13 m), une fontaine et quelques maisons simples.

Pendant que Jean de Béthencourt négocie avec les chefs des Majos, Gadifer de La Salle explore à proximité l'île de Fuerteventura pendant huit jours sans rencontrer d'habitants ni trouver de nourriture. Gadifer de La Salle et Jean de Béthencourt s'estiment insuffisamment équipés pour mettre en place des comptoirs efficaces, installer des Européens et prendre le contrôle d'autres îles. Jean de Béthencourt revient en Castille après un peu moins de deux mois en , promettant de revenir à Noël 1402, mais le retour se fait, 18 mois plus tard, en .

Dès le début de l'absence de Jean de Béthencourt, sans doute en absence de Gadifer de La Salle, une partie des soldats, venus uniquement pour le combat et le butin, se révoltent. Découvrant qu'il n'y a rien sur les îles à voler en dehors des habitants, ils décident d'en capturer un grand nombre, rompant ainsi la promesse de Béthencourt aux Majos. Ils pillent les réserves françaises restantes sur l'île, capturent 22 Majos afin de les vendre comme esclaves à un bateau pirate castillan de passage devant l'île de Graciosa, et partent avec ce navire vers l'Europe en . Cela entraîne des affrontements entre les Majos, qui se sentent trahis, et les Français qui sont restés. Les affrontements se poursuivent jusqu'au début de 1404.

Le , un navire castillan ravitaillé atteint l'île de Lanzarote. Gadifer de La Salle utilise ce navire pour effectuer un voyage d'information de trois mois dans les autres îles avec quelques-uns de ses gens.

Après de sérieux désaccords avec Gadifer de La Salle, Jean de Béthencourt quitte les îles Canaries en et charge son neveu Maciot de Béthencourt de gouverner les îles.

En 1406, Jean de Béthencourt transfère les droits de seigneurie de l'île à son neveu Maciot de Béthencourt, qui épouse Teguise, fille du roi Luis de Guardafia. En 1412, Jean de Béthencourt revient en Castille prêter à nouveau serment devant le nouveau roi Jean II.

Le , Maciot de Béthencourt, amené à Séville lors d'une opération militaire, transfère les droits souverains sur les îles Canaries (au nom de Jean de Béthencourt) au comte de Niebla (Andalousie, Espagne), Enrique de Guzmán. Celui-ci le confirme dans ses fonctions de gouverneur des îles. Dans les années suivantes, les droits sur les îles conquises et à conquérir sont transférés à différentes personnes par le biais de donations, achats, échanges et héritages. L'île demeure un fief de la Couronne de Castille.

Fuerteventura

Les deux versions du Canarien divergent (lacunes et contradictions) quant à la perte de souveraineté de Fuerteventura.

Les indigènes de l'île de Fuerteventura, Majos (es) (ou "Majoreros"), vivent dans deux domaines séparés par un mur qui traverse l'île, correspondant aux canton de Jandía (es) et Cantón de Maxorata (es). Dès 1402, Gadifer de La Salle visite durant huit jours l'île de Fuerteventura sans rencontrer aucun habitant, tous enfuis à l'intérieur de l'île par peur des chasseurs d'esclaves.

En , Jean de Béthencourt revient de Castille, après une absence de plus d'un an et demi. Quand Gadifer de La Salle apprend que Jean de Béthencourt a permis au roi de Castille de se nommer seul seigneur des îles, Gadifer de La Salle demande au moins d'être reconnu comme seigneur de l'île de Fuerteventura. Après le refus de Jean de Béthencourt, Gadifer de La Salle se retire dans l'ensemble fortifié de Rico Roque à Fuerteventura, puis quitte l'archipel. De violents affrontements éclatent entre les derniers partisans de Gadifer de La Salle et les troupes de Jean de Béthencourt, établies sur le site fortifié de Valtarajes, et les indigènes. Les prisonniers faits lors de ces incidents sont transférés à Lanzarote.

Les deux dirigeants des Majoreros, Ayoze et Guize, conscients de leur incapacité à pouvoir offrir une résistance soutenue aux Européens dans des conflits armés, par infériorité technologique en armement, proposent à Jean le Béthencourt un armistice, en se signalant aussi prêts à devenir chrétiens, et à reconnaître le roi de Castille comme leur suzerain. Le , Guize, roi de la moitié nord de l'île, est baptisé Luis et le , Ayoze, roi de la moitié sud de l'île, est baptisé Alfonso. Après l'assujettissement des Majoreros, les terres de l'île sont redistribuées par Jean de Béthencourt. Les anciens dirigeants reçoivent également des terres. Les ouvrages fortifiés déjà existants et les lieux où en construire sont accordés à des aristocrates de France.

El Hierro

Les peuples indigènes de l'île d'El Hierro, les Bimbaches (es)[12], vivent d'agriculture (orge, rhizomes de fougère, etc.), d'élevage (chèvres, moutons, cochons), de pêche (poissons, mollusques). Ils sont à plusieurs reprises victimes des chasseurs d'esclaves européens. Seulement en 1402, 400 personnes auraient été enlevées comme esclaves en un seul raid.

En 1405, selon Le Canarien, Jean de Béthencourt passe au moins trois mois sur l'île. Par l'intermédiaire d'un interprète embarqué, supposé frère du souverain des Bimbaches, il invite celui-ci à négocier. À l'arrivée au lieu convenu, 112 Bimbaches, dont le roi Amiche, sont capturés, puis transférés sur d'autres îles, et certains vendus comme esclaves. Le Canarien motive ainsi cette action : briser la résistance sur l'île sans combattre, libérer de l'espace pour 120 colons français.

Après le passage de la seigneurie féodale à Hernán Peraza (El Viejo) en 1445, celui est forcé de reconquérir l'île. Son armée se compose de 200 arbalétriers et 300 fantassins des îles de Lanzarote et Fuerteventura, après une bataille de cinq heures, l'emporte : les chefs des Bimbaches se rendent et sont baptisés.

La Gomera

Zones tribales
Leonardo Torriani, Gomeros, 1592
Statue du rebelle gomero Hautacuperche

Au moment de la conquête, l'île se divise en quatre zones tribales, correspondant aux quatre grandes vallées : Mulagua (Hermigua), Hipalan (San Sebastián), Orone (Valle Gran Rey) et Agana (Vallehermoso).

L'île offre peu de points d'accès vers l'intérieur. Les indigènes, les "Gomeros", réputés pour leur technique amazighe de langage sifflé silbo, sont ainsi mieux protégés des incursions depuis les côtes.

Les conditions d'abandon de souveraineté des Gomeros sont imprécises. Ni Jean de Béthencourt ni Gadifer de La Salle ne sont venus sur l'île combattre. Les Gomeros auraient conservé la plupart de leurs particularismes. En 1420, Maciot de Béthencourt semble avoir tenté de conquérir l'île en tant que représentant du comte de Niebla. En 1420, le roi Jean II accorde à Alfonso de las Casas les droits sur des îles pas encore conquises (Grande Canarie, La Palma, Tenerife et La Gomera).

Portugais et Castillans se disputent l'île jusqu'à ce qu'elle tombe finalement sous la domination du Castillan Hernán Peraza el Viejo. L'implantation portugaise semble s'être généralement déroulée en termes amicaux avec les peuples autochtones et la coopération a été recherchée : le roi portugais Henri le Navigateur ayant des contrats avec trois des quatre tribus de La Gomera, qui reconnaissent sa souveraineté et acceptent la diffusion de la doctrine chrétienne par les missionnaires portugais. En 1454, les Portugais renoncent officiellement (au moins provisoirement) au contrôle des îles pour le moment. Ils conservent cependant à entretenir de bonnes relations avec les peuples autochtones du nord de l'île.

En 1445-1447, Hernán Peraza el Viejo fait une nouvelle tentative pour amener l'île sous la domination de la Couronne de Castille, à partir d'une unique base sûre sur l'île de Saint-Sébastien, où il fait construire les fortifications, dont la Torre del Conde (es). Un représentant de la reine de Castille confirme plus tard que Hernán Peraza el Viejo a apporté aux citoyens « la sainte foi catholique et leur a donné des juges et la justice. » Après sa mort en 1452, ses héritiers sont sa fille Inés Peraza de las Casas et son mari Diego García de Herrera.

Le but des soulèvements des Gomeros dans les années suivantes n'était pas d'abolir la domination de Castille, ils étaient dirigés contre le comportement des représentants de la Castille dans l'archipel, la famille Peraza.

Toutefois, en 1488, a lieu la rébellion des Gomeros (es), sans doute pas contre la souveraineté castillane, mais contre le comportement jugé outrancier des représentants de Castille, les membres de la famille Peraza. Les Gomeros du roi Hupalupa (es) (contre son avis), chef du canton d'Orone, menés par Hautacuperche, tuent Hernan Peraza le Jeune (es), seigneur territorial de La Gomera. La répression est terrible. Un jugement ultérieur la condamne.

En 1494, l'île est incorporée à la couronne de Castille sous la domination des Peraza, qui instaurent un système encore plus autoritaire, qui va perdurer plus de trois siècles.

Conquête royale (1478-1496)

La "Conquista realenga" définit la conquête effectuée directement par la Couronne de Castille sous le règne des Rois Catholiques, qui arment et financent en partie la conquête des îles encore à dominer : Grande Canarie, La Palma et Tenerife.

Les rois du Portugal ayant manifesté à plusieurs reprises de l'intérêt pour les îles Canaries, la reine Isabelle et le roi Ferdinand d'Espagne, en guerre avec le Portugal dans le cadre de la guerre de Succession de Castille (1475-1479), cherchent à sécuriser leur revendication en soumettant toutes les îles à la domination de la couronne de Castille. En 1476, ils font rédiger un avis juridique, par lequel les droits de propriété et de conquête sur les îles sont vérifiés. Inés Peraza de las Casas et son mari Diego García de Herrera détenant les droits sur les îles conquises et les droits sur les autres îles ne pouvant être repris par la Couronne qu'en échange d'une compensation, un traité est signé en , par lequel la Couronne de Castille reçoit tous les droits sur les îles de Grande Canarie, La Palma et Tenerife.

Presque toutes les conquêtes ultramarines de la Couronne de Castille sont organisées et réalisées par un conquérant responsable. Ses devoirs et droits sont énoncés dans une capitulation. Si le conquérant ne dispose pas de biens ou de revenus propres suffisants pour financer l'action, il cherche des partenaires ou des prêteurs pour lever les fonds nécessaires à l'entreprise. Ceci est fait en échange de la promesse de compenser ensuite l'argent engagé, avec des retours lucratifs, par redistribution du butin de guerre et/ou attribution de terres dans les zones conquises. Les capitulations de la Couronne de Castille ne contiennent généralement pas de promesse de titre de noblesse ou de prétention au pouvoir, mais seulement une promesse d'attribution d'une charge, de gouverneur par exemple.

En fin de siècle, massacrés, emmenés en esclavage ou assimilés par les colons, les différents peuples guanches disparaissent en tant que tels, et adoptent la langue et la culture espagnole. Cependant, de très nombreux toponymes et oronymes, de mots du langage courant, et même de coutumes et de sports (lutte guanche, par exemple), proviennent directement de la langue ou de la culture guanche.

Grande Canarie (1478-1483)

Tenesor Semidán (es) (1447-1496), chef indigène, résistant puis pacificateur, baptisé Fernando Guanarteme.

En 1461, Diego de Herrera prend possession de l'île de Grande Canarie, recevant la vassalité des royaumes ou chefferies autochtones, Guanartemes (es) de Guanartemato de Gáldar (es) (1405-1482) et Guanartemato de Telde (es) (1405-1483). Mais l'île se révolte à nouveau.

En , la reine Isabelle et le roi Ferdinand concluent un accord à Séville avec l'évêque de Rubicón Juan de Frías (es) (?-1485). Le , une troupe de plus de 600 hommes débarque dans le nord de l'île, progresse lentement, en raison de conflit interne de commandement espagnol et de la résistance étonnamment forte des Canariens. Pedro de Vera y Mendoza (1440-1492) finit par être nommé seul commandant en chef des troupes et gouverneur de l'île. Dès , il prend ses fonctions sur l'île. En , la capture du dirigeant de Gáldar, Tenesor Semidán (es) (1447-1496), perturbe la résistance indigène. Les Castillans établissent plusieurs bases sur l'île, d'où ils attaquent les Canariens. En , les derniers indigènes se rendent. Tenesor Semidán est baptisé Fernando Guanarteme. Pedro de Vera reste gouverneur de Grande Canarie jusqu'en 1491.

La Palma (1492-1493)

La Palma (îles Canaries) (ou San Miguel de La Palma) est l'avant-dernière grande île des Açores à être soumise par les Castillans, soucieux de s'assurer la maîtrise de l'archipel et de cette partie de l'Océan Atlantique.

Les Guanches de La Palma, nommés Benahoaritas (es), ou "Auaritas" ou "Awaras", au nombre approximatif de 4 000, vivent essentiellement d'élevage (chèvres, moutons, porcs), de cueillette (fruits, racines), de pêche, et à une ancienne époque d'agriculture (orge, blé, haricots, lentilles).

En 1447, alors qu'Hernán Peraza el Viejo organise le gouvernement de Fuerteventura, son fils Guillén s'embarque pour l'île de La Palma pour effectuer un raid qui couvrirait les frais du voyage. Les troupes, composées de Sévillans et d'insulaires, débarquent dans le canton de Tihuya à l'ouest de l'île, et se dirigent vers l'intérieur des terres. Ils y sont attaqués par les Benahoaritas (es), indigènes guanches, menés par leur roi, Chedey (ou Echedey), et ses frères. Les "conquérants" sont complètement vaincus, et Guillén tué, une fois reconnu comme chef des ennemis.

En 1492, la reine Isabelle et le roi Ferdinand se mettent d'accord avec Alonso Fernández de Lugo (1450c(1525) pour conquérir l'île de La Palma. Le , une capitulation est établie, qui réglemente les questions financières, nomme Alonso Fernández de Lugos gouverneur de l'île à vie. Le conquistador ne disposant pas des fonds nécessaires, il fonde une société commerciale avec deux marchands italiens, qui partagent coûts et bénéfices.

Le , Alonso Fernández de Lugo débarque sur la côte ouest de l'île, avec une troupe armée d'environ 900 hommes, composée en partie d'indigènes de Grande Canarie. Elle avance vers le sud de l'île sans combattre. À Tigalate (es), un affrontement armé avec les Benahoaritas est repoussé. La conquête de l'île se poursuit sans incident militaire majeur. Au printemps 1493, seul le district d'Aceró reste libre, dans la Caldeira de Taburiente inaccessible militairement, provisoirement autosuffisant sur leur territoire. Un siège paraissant impossible, Lugo doit négocier. Un parent de Tanausu, souverain des Acerós, est pressenti pour organiser une rencontre entre les deux dirigeants. Tanausu accepte à condition que les troupes castillanes se retirent à Los Llanos. Les négociations ont lieu, et s'achèvent sans aucun résultat. Au retour de cette rencontre, Tanausú et son peuple sont attaqués et capturés, contrairement à la promesse des Castillans. Tanausu est exilé ou déporté, et meurt en cours de route. La résistance des indigènes de l'île de La Palma s'effondre. L'île est considérée comme soumise à partir de .

Ténérife (1494-1496)

Statue d'El Gran Tinerfe
Statue en bronze du roi Beneharo à Candelaria, Tenerife.

Avant la conquête, à la mort de Tinerfe le Grand (et fils de Sunta), l'île de Tenerife est divisée en neuf royaumes appelés menceyatos. Chacun a pour roi un de ses neuf fils :

Avant cette division territoriale, il n'y avait qu'un seul royaume dont les rois les plus célèbres étaient Tinerfe et Sunta. Ichasagua était le dernier membre de l'île de Tenerife après la conquête castillane.

Le premier débarquement a lieu par les rois catholiques en 1464 à l'endroit où se situe actuellement la capitale, Santa Cruz de Tenerife. Les envahisseurs ne rencontrent pas de résistance à cette occasion. En 1464, la prise de contrôle symbolique de l'île de Tenerife par les représentants du seigneur des Canaries, Diego García de Herrera (ca) (1417-1485) se déroule dans le ravin de Bufadero. Ces derniers signent un traité de paix avec les Mencey, permettant aux Mencey d'Anaga de construire une tour sur leurs terres, où Guanches et Européens ont des accords jusqu'à sa démolition vers 1472 par les Guanches eux-mêmes. Mais quand ils essayent d'avancer vers le nord de l'île, sous le commandement de Fernández de Lugo, Adelantado (gouverneur militaire), qui a déjà participé à la conquête des autres îles, ils se heurtent aux guerriers guanches du mencey (chef ou roi d'une circonscription territoriale appelée « menceyato ») Bencomo qui massacrent la majorité des envahisseurs.

Après la victoire d'Alonso Fernández de Lugo sur la population de l'île de La Palma en 1492 et 1493, il s'entend avec la couronne de Castille sur les termes de la conquête de l'île de Tenerife. Les détails sont précisés dans les capitulations de Saragosse, publiées en par la reine Isabelle et le roi Ferdinand. Alonso Fernández de Lugo fonde une entreprise avec un certain nombre de donateurs de Séville et de militaires qui comptent tirer de sérieux bénéfices de l'action.

En , 1 500 fantassins et 150 cavaliers, placés sous le commandement d'Alonso Fernández de Lugos, débarquent sur la plage d'Añaza, juste au sud de l'actuel centre-ville de Santa Cruz de Tenerife. Des traités de paix sont signés avec les Menceyes d'Anaga, Güímar, Abona et Adeje. Les négociations avec les Mencey de Taoro Bencomo n'aboutissent à un accord. Les Menceyes de Tegueste, Tacoronte, Taoro, Icod et Daute ne sont pas prêts à se soumettre aux rois castillans. Ensuite, les troupes castillanes marchent vers la région de Taoro (vallée d'Orotava).

Dans le Barranco de Acentejo, un ravin près de la ville actuelle de La Matanza de Acentejo, les troupes castillanes sont attaquées par des combattants guanches. Vue l'étroitesse du Barranco, les Castillans ne peuvent pas adopter un ordre de bataille et ni utiliser leur supériorité technologique en armement. La première bataille d'Acentejo (en) s'achève par un « massacre », la Matanza de Acentejo : des assaillants survivent seulement 300 fantassins et 60 cavaliers, qui, début , quittent Ténérife pour Grande Canarie.

Alonso Fernández de Lugo vend l'intégralité de sa propriété à Grande Canarie, et signe de nouveau contrats avec divers donateurs. Il équipe une nouvelle armée de conquête, composée en grande partie de mercenaires ayant combattu à la guerre de Grenade (1482-1492), équipés et payés par le duc de Médine-Sidonia. Un autre groupe est constitué de soldats castillans récemment installés sur l'île conquise de Grande Canarie, et de 40 habitants indigènes de l'île de Grande Canarie avec à leur tête leur ancien prince Fernando Guanarteme.

Début , 1 500 hommes et 100 chevaux débarquent à nouveau à Añaza. Alonso Fernández de Lugo renouvelle les contrats avec les Menceyes du sud-est de l'île. Il fait renforcer la fortification encore existantes d'Añaza avec des murs de pierre et une nouvelle construction près de Gracia (aujourd'hui entre La Laguna et Santa Cruz) dans la zone de l'ennemi, Menceyatos Tegueste. Cette installation représente un avant-poste pour les futures opérations militaires contre les Menceyatos de la partie nord de l'île

Le , lors de la bataille d'Aguere (es), les indigènes et les envahisseurs s'affrontent dans la plaine d'Aguere, aujourd'hui La Laguna, en terrain découvert. Cette configuration permet aux Castillans d'utiliser leur technique de guerre supérieure, armes à feu, arbalètes et cavalerie. Les Guanches, opposant seulement leur nombre (cinq fois supérieur), leur courage, des lances en bois et des pierres, doivent se retirer vaincus après un combat de plusieurs heures. Quarante-cinq des hommes de Lugo et 1700 Guanches sont tués lors de ce seul combat. Un nouveau contingent militaire tue Bencomo sur la côte de San Roque, dans le nord de l'île.

Après la bataille d'Aguere, les Castillans avancent plus à l'ouest dans la domination de Taoro. Sur le bord ouest de la vallée de l'Orotava, un camp militaire est construit, à partir duquel Los Realejos se développe ensuite.

Le , les troupes castillanes marchent au nord-est de leur camp, rencontrent les Guanches près du site de la première bataille d'Acentejo. Le déroulement de cette seconde bataille d'Acentejo (en) est incertain. Après une longue journée de combats, les Guanches sont vaincus. Le lieu du conflit, situé à environ km du lieu de leur défaite de 1494, porte depuis le nom de La Victoria de Acentejo (La victoire de Acentejo).

Même si les conquistadors se sont déjà emparés de presque tout le territoire de Tenerife, il reste encore quelques noyaux de résistance dans les montagnes, ce qui entraîne deux ans de lutte supplémentaire jusqu'à ce que, finalement après la reddition des derniers menceyes, Lugo soit nommé gouverneur de Tenerife et La Palma le . Perdant tout espoir, Bentor, fils et successeur de Bencomo, se jette dans le vide, du haut du précipice de Tigaiga. Cette pratique des Guanches de se jeter dans le vide quand tout espoir est perdu s'appelle le « despeñamiento ».

Le , les troupes commandées par Alonso Fernández de Lugo sont dissoutes. Les anciens combattants du duc de Médine-Sidonia arrivent en Andalousie dans les premiers jours de mars. Seuls restent sur l'île les soldats souhaitant s'y installer et dans l'attente de l'affectation de terres. Et les créanciers...

En , mais officiellement le (fête du saint national espagnol Saint Jacques), les Menceyes des territoires du nord de l'île se rendent lors d'une cérémonie solennelle organisée par les Castillans dans le camp militaire de Realejos : c'est la Paz de Los Realejos.

Tenerife est la dernière des îles conquises par les Espagnols du fait de la résistance acharnée dont ses habitants ont fait preuve. En 1501, Alonso Fernandez de Lugo est honoré du titre d’Adelantado des îles Canaries et capitaine général de la côte Berbère, du cap Ghir (Cabo de Aguer) au cap Boujdour (cabo de Bojador). Selon les chroniqueurs de l'époque, il y débarque en et érige une forteresse.

Partage colonial entre Espagne et Portugal

En 1481, la bulle pontificale Æterni regis, de Sixte IV, place toutes les terres au sud des Canaries sous souveraineté portugaise (dans les deux cas, à condition de les évangéliser). Seul l'archipel des Canaries, ainsi que les villes de Sidi Ifni (14761524) (connue à l'époque sous le nom de Santa Cruz de Mar Pequeña), Melilla (capturée par Pedro de Estopiñán en 1497), Villa Cisneros (fondée en 1502 dans l'actuel Sahara occidental), Mazalquivir (Mers el-Kébir, 1505), Peñón de Vélez de la Gomera (1508), Oran (15091790), Peñón d'Alger (151029), Béjaïa (151054), Tripoli (151151), Tunis (153569) et Ceuta (cédée par le Portugal en 1668) restent territoires espagnols en Afrique.

Le statut de la Guinée espagnole ou "Territoires espagnols du Golfe de Guinée", devenue Guinée équatoriale en 1968, reste très particulier historiquement : Région insulaire (Fernando Poo ou Bioko, et Annobón), Région continentale ("Rio Muni").

Ls autres bulles pontificales concernant alors la colonisation sont Dum Diversas (1452), Romanus pontifex (1455), Dudum siquidem (1493), Inter caetera (1493), qui sont également à l'origine du Traité de Tordesillas (1494). Le Traité d’Alcáçovas (), puis le Traité de Tordesillas ( ), textes fondateurs dans l’histoire du colonialisme, formalisent explicitement le fait que les Européens s’attribuent le pouvoir de diviser le reste du monde en “sphères d’influence” et d’en coloniser les territoires, considérés comme terrae nullius, sans se soucier du consentement d’éventuels peuples autochtones. Le traité de Tordesillas devient caduc lorsque les autres puissances coloniales en Amérique (Danemark, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède , etc.) se dotent d'une flotte navale assez puissante pour braver l'interdit hispano-portugais : colonisation européenne des Amériques.

Christophe Colomb

Premier voyage de Colomb

Les voyages de Christophe Colomb sont une partie des expéditions navales espagnoles d'exploration (es).

Christophe Colomb effectue sa dernière escale sur l'île de La Gomera, à San Sebastián de la Gomera, avant de se lancer le vers les Indes, pour atteindre de fait un Nouveau Monde, l'Amérique. La petite flotte de Colomb est auparavant restée entre les îles de Gran Canaria et La Gomera pendant près de quatre semaines, recevant un soutien technique et logistique des îles et des insulaires. La caravelle La Pinta avait alors une rame gravement endommagée et fuyait. Colomb fait également changer le gréement de ce navire et peut-être celui de la caravelle La Niña. Ces réparations ont été effectuées à Gran Canaria, probablement dans la baie de Gando, où se trouve actuellement l'aéroport de Gran Canaria. Curieusement, le séjour de la petite flotte de Colomb est largement ignoré dans la littérature pertinente plus ancienne et plus récente, bien qu'il soit évident que sans les bases sur les îles Canaries, l'Amérique était hors de portée de la technologie des navires à l'époque. Les navires étaient encore trop petits et trop lents pour pouvoir emporter les quantités adéquates de vivres et d'eau pour de très longs voyages, d'autant plus qu'un équipage surdimensionné était à bord, naviguant de jour comme de nuit. Le voyage de Palos de la Frontera aux îles Canaries était probablement plus un essai routier pour tester les navires et former l'équipage. Le véritable voyage vers les Indes commence seulement à La Gomera, comme le note Fernand Colomb (1488-1539), resté avec sa mère Beatriz Enríquez de Arana en Castille, second fils de Christophe Colomb et premier biographe de son père.

Lors de son deuxième voyage, Christophe Colomb se dirige vers El Hierro. Après séjour de 19 jours et réapprovisionnement, avec un vent favorable, sa flotte de 17 navires quitte l'île, le , de la "Bahía de Naos" pour le Nouveau Monde.

16e siècle

Population

À l'époque de la conquête espagnole, qui dure près d'un siècle, de 1402 à 1496, l'immigration est relativement importante par rapport à la population indigène, même si finalement peu de colons demeurent. Environ 300 familles se seraient installées et intégrées à Gran Canaria et à Tenerife, se mélangeant avec les peuples autochtones. Vers 1600, 500 esclaves sont vendus aux îles, descendants d'esclaves vendus à Séville. Les îles Canaries sont alors sous-peuplées à cette époque, et l'Amérique semble plus attrayante.

Pendant la conquête de la Grande Canarie, de à , on ne rencontre aucune trace d'esclaves pris dans les données réunies pour Valence par Vicenta Cortés. Par contre, à Gènes, il existe des esclaves "canariens" dès 1463, guanches ou non. La pratique se répand dans d'autres principautés italiennes. Valence voit les premiers "esclaves de Ténérife" en 1491. De 1491 à 1496, les Guanches sont soit massacrés, soit astreints à des travaux sur les îles Canaries donc asservis, soit vendus comme esclaves, du moins dans ce qui est déclaré légalement à Séville. Sur Grande Canarie, un certain nombre de Guanches rescapés (de la conquête castillane) et réfractaires au nouvel ordre colonial se seraient réfugiés en zone montagneuse et forestière, et auraient survécu, assez longtemps pour être chassés, exécutés, capturés, asservis ou vendus comme esclaves. Ils auraient été connus sous le nom d'"Inekaren" (debout, levés, dressés). Inekaren est également la dénomination depuis 2008 d'une organisation révolutionnaire canarienne, qui rejoint en 2013 le congrès mondial amazigh.

Ensuite, le commerce des esclaves se fournit plutôt en Afrique, mais le transit vers l'Amérique et le contrôle administratif s'opèrent dans les possessions espagnoles (Canaries, Guinée espagnole) ou portugaises (Cap-Vert, Açores, Madère) [13] , [14].

À Finca Clavijo, près de Santa María de Guía de Gran Canaria, est mis à jour en 2009 le plus ancien cimetière connu d’esclaves de la traite négrière sur une île de l'Océan Atlantique[15].

Au milieu du XVIe siècle, la population des îles Canaries ne dépasse pas 35 000 habitants, dont les trois quarts de la population sur les îles de Grande Canarie et de Ténérife. Ténérife est alors l'île la plus peuplée avec un peu moins de 10 000 habitants déclarés, dont environ 2 500 de population indigène originaire de Ténérife, de Grande Canarie ou de La Gomera.

La Grande Canarie connaît deux phases au XVIe siècle, avec forte augmentation de la population au début et une pause à la fin. Au début du siècle, moins de 3 000 personnes vivent sur l'île. L'immigration en provenance de la péninsule ibérique, attirée principalement par l'industrie de la canne à sucre, et l'importation d'esclaves africains, fait passer le nombre d'habitants passer à 8 000 en 1550. À la fin du siècle, cependant, la population tombe à environ 6 000 habitants : attaques de pirates (dans les années 1590), épidémies, mauvaises récoltes et émigration. La fin de l'industrie de la canne à sucre entraîne un effondrement économique.

Les autres îles sont encore moins peuplées à la fin du siècle : La Palma (5 580 habitants), Fuerteventura (1 900), La Gomera (1 265), El Hierro (1 250), Lanzarote (1 000 au mieux).

En 1574, l'émigration de Canariens vers l'Amérique est interdite, pour endiguer la dépopulation.

Économie

L'agriculture demeure cependant le moteur économique des îles Canaries pendant trois siècles. La culture ordinaire sert à nourrir la population et à ravitailler les convois maritimes. La canne à sucre et le vin sont destinés à l'exportation, et au ravitaillement des postes militaires des possessions espagnoles en Afrique.

Le principal produit de la culture pour un usage familial est le grain. La production céréalière augmente fortement au 16e siècle : blé, orge et, dans une moindre mesure, du seigle. Certaines îles, par exemple Lanzarote, Tenerife, Fuerteventura et La Palma, génèrent des excédents importés d'îles aux cultures céréalières déficientes. La situation change au 17e siècle .

La culture destinée à l'exportation se développe parallèlement à celle d'autoconsommation. Immédiatement après la conquête et dans la première moitié du 17e siècle, Madère introduit la culture de la canne à sucre, particulièrement important à Grande Canarie (occupant une grande partie des terres du nord et de l'est, jusqu'à une altitude de 500 mètres), mais également à Tenerife, La Palma et La Gomera. La canne à sucre est cultivée à l'aide de systèmes d'irrigation et consomme de grandes quantités d'eau, ce qui lessive le sol, et exige toujours le défrichage de nouvelles superficies. Et de grandes quantités de bois sont nécessaires pour faire bouillir le sucre de la pulpe de canne à sucre. Les trois ressources (eau, sol et bois) étant rares aux Canaries, le coût de production augmente. Sucre et canne à sucre sont exportés vers l'Espagne, la Flandre, la France et Gênes. Le contrôle de cette branche de l'économie appartient à des marchands étrangers, surtout génois et flamands. La culture de la canne à sucre aux Canaries dure jusqu'à la concurrence américaine, qui s'exporte alors mieux vers l'Europe. Le sucre canarien s'effondre vite.

Piraterie

Les villes et villages côtiers d'Espagne, d'Italie et des îles méditerranéennes sont à l'époque sous la menace régulière des barbaresques nord-africains : Formentera (Baléares) est abandonnée pour un temps par ses habitants, ainsi que de larges portions des côtes espagnoles et italiennes. En 1514, 1515 et 1521, les îles Baléares sont attaquées par le célèbre corsaire ottoman Khayr ad-Din Barberousse (1466-1546) : les populations capturées pendant les 16e siècle et 17e siècle sont généralement revendues comme esclaves (traite dite arabe).

Après avoir détruit Arrecife (sur Lanzarote), le pirate Murat Rais (Morato Arraez, 1534-1609) pille la ville de Teguise (Lanzarote) en 1568, et tue ou réduit en esclavage beaucoup de ses habitants. Une plaque commémorative dans la rue "Callejon de Sangre" (ruelle du sang) rappelle cette tragédie. Ces attaques durent jusqu'en 1618, année durant laquelle des "Berbères" réduisent à nouveau la ville en cendres. Le fort Castillo de Santa Bárbara de Téguise (es), édifié sur le volcan Guanapay (435 m) et devant servir de protection contre ces attaques, s'avère bien insuffisant. La ville subit une vingtaine de raids en trois siècles.

L'archipel des Canaries, avec quelques grands ports maritimes, est un très important carrefour de grandes routes commerciales pour les voiliers entre l'Europe et l'Amérique pendant environ 300 ans. Cela rend l'archipel attractif pour les pirates.

Dès 1553, le corsaire français François Le Clerc (sd-1563) réussit à piller Santa Cruz de La Palma. Un an plus tard, le militaire français Nicolas Durand de Villegagnon (1510-1571), qui cherche à répéter le pillage, échoue. Jacques de Sores (sd-sd), également français, attaque également La Palma en 1570.

En 1571, Saint-Sébastien de la Gomera est rasée par Jean Capdeville. Au fil des siècles, des forteresses sont construites sur certaines îles pour se protéger des pirates, comme le Castillo de San Gabriel près d'Arrecife à Lanzarote. La dernière attaque massive de pirates algériens a lieu en 1618, au cours de laquelle de nombreux habitants sont enlevés de la Cueva de los Verdes et vendus comme esclaves.

Amaro Rodríguez Felipe, le "bon" corsaire canarien.

Lors de la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648), une flotte hollandaise de plus de 70 navires, arrivée au large de Grande Canarie en 1599, sous le commandement de l'amiral néerlandais Pieter van der Does (1562-1599), parvient à débarquer et à prendre Las Palmas, pour quelques jours, mais échoue après de multiples tentatives, et avec de nombreuses pertes, à pénétrer à l'intérieur de l'île en raison de la stratégie de défense rusée des défenseurs canariens. Une précédente attaque contre San Sebastián de la Gomera s'est également soldée par une défaite pour Pieter van der Does. En 1599, il poursuit la navigation vers l'île de São Tomé, où il semble avoir trouvé la mort, peut-être à la suite de blessures reçues à Las Palmas.

Amaro Rodríguez Felipe (1678-1747, Amaro Pargo) est un célèbre corsaire espagnol, canarien, natif de Tenerife, grand investisseur dans l'archipel.

17e siècle

Contexte

Armoiries du royaume des îles Canaries au 17e siècle

Vers 1550, la défense des îles royales est confiée à leurs gouverneurs respectifs, et celle des îles seigneuriales aux seigneurs juridictionnels, qui disposent chacun de leurs propres milices locales. La "Capitainerie générale des Canaries" est établie en 1589, au début de la guerre anglo-espagnole (1585-1604), pour être remplacée par le Mando de Canarias (es) ou "commandement des îles Canaries" (MCANA), créé en 2006.

Le traité de Londres (1604) rétablit le statu quo ante bellum, dont la fin des perturbations anglaises de temps de guerre, contre le trafic maritime transatlantique espagnol et son expansion coloniale (article 6).

Parmi les catastrophes naturelles du siècle, le déluge de San Dámaso (es) (1645) pluies diluviennes avec destructions.

Société

La société canarienne d'alors présente (et accentue) les caractéristiques habituelles des sociétés européennes : la population se compose principalement d'agriculteurs, généralement sans terre propre. L'ordre social accorde des privilèges aux élites nobles et ecclésiastiques. Le clergé numériquement important s'accommode sans problème d'une économie esclavagiste.

La noblesse se compose des descendants des chefs de la conquête des îles Canaries. Leur puissance économique s'appuie sur la possession et l'exploitation de vastes domaines, et l'exportation de produits tels que le sucre au 16e siècle et le vin au 17e siècle. Les revenus ainsi générés alimentent l'administration des biens de l'Église, des terres et des travaux. Ils ont le contrôle des forces politiques et militaires, et se concentrent sur les grands centres de population des îles, comme Las Palmas, La Laguna et La Orotava. Bien que formant des alliances avec la classe moyenne, en particulier avec les familles immigrées, ils constituent un groupe social autonome et endogame.

Le clergé paraît très occupé. De nombreux ordres religieux se sont constitués aux 16e siècle et 17e siècle grâce au mécénat de la noblesse et de la bourgeoisie commerçante. L'abondance de couvents dans les capitales des îles, telles que La Laguna, Las Palmas, La Orotava, Telde, Garachico, Santa Cruz de La Palma et Teguise, témoigne de la force numérique. Le clergé, exempté d'impôts, perçoit la dîme des paysans. Cependant, seul le haut clergé (évêques, chanoines, doyens) bénéficie de la dîme, tandis que le bas clergé vit dans la même situation que la plupart du reste de la population. Ce groupe de population inactif est supporté par le reste de la société, ce qui en fait un fardeau économique, en particulier pendant les crises économiques.

Le tiers-état demeure une collection lâche de différents groupes de population qui diffèrent par emplois et revenus, mais tous soumis à tous les impôts et, à quelques exceptions près, exclus des emplois lucratifs. Les sous-groupes correspondent aux classes moyennes, aux agriculteurs, aux artisans, aux groupes marginalisés et aux esclaves.

La classe moyenne se compose principalement d'immigrants européens installés aux îles Canaries. Ils tirent leur position économique et sociale, supérieure et revendiquée comme telle, de la production et de la vente de sucre et de vin, et sont étroitement liés à la classe dirigeante. Les agriculteurs représentent plus de 80 pour cent de la population et diffèrent selon qu'ils possèdent leur propre terre ou travaillent comme journaliers sur la propriété d'autrui. Pour le meilleur ou pour le pire, ils sont à la merci des récoltes et des intempéries, et sont donc souvent confrontés à la famine et aux épidémies. Le nombre d’artisans sur les îles reste faible, parce que la population globale est faible et que la majorité de la population effectue le travail elle-même. Tonneliers, forgerons, menuisiers et spécialistes similaires sont requis uniquement pour quelques tâches. Les artisans sont limités aux grandes agglomérations. Au sein du groupe des artisans, il existe des groupes marginaux se consacrant à des tâches méconnues et/ou méprisées : bourreaux, bouchers, sages-femmes, etc.

Il existe aussi des vagabonds et des mendiants, dont le nombre accompagne la montée et la chute de l'économie.

Les esclaves jouent un rôle important dans l'ordre social. Les serfs, dont certains proviennent des Guanches, mais qui sont pour la plupart désormais importés d'Afrique, effectuent des travaux agricoles ou domestiques. Les esclaves berbères se rencontrent en grand nombre à Lanzarote et à Fuerteventura, où ils compensent le manque de population indigène. Les esclaves noirs sont le produit de raids effectués sur la côte africaine voisine. Les esclaves noirs sont utilisés principalement dans les plantations de canne à sucre à Tenerife, Gran Canaria et La Palma. Le nombre des esclaves ne joue pas un grand rôle dans la composition de la population. Lorsque la culture de la canne à sucre est abandonnée, comme non rentable, leur nombre est considérablement réduit par leur libération. Les esclaves affranchis constituent le niveau le plus bas de la société, mais leurs descendants se mêlent au reste de la population, généralement par métissage.

  • Titres nobiliaires espagnols des îles Canaries (en) : ainsi, le Marquisat de Lanzarote (es) est créé en 1584, et perdure.

Économie

La culture des céréales conserve son statut, certaines îles, en particulier Ténérife, sont devenues déficitaires en raison de l'augmentation de la viticulture, de sorte qu'elles doivent acheter davantage de céréales à Fuerteventura, Lanzarote et même au Maroc.

En raison de la crise du sucre, la vigne s'impose. Le vin est introduit comme produit principal de l'agriculture d'exportation canarienne à la fin du 16e siècle, en coïncidence avec la demande et le prix élevé du vin. La viticulture est principalement pratiquée à Tenerife et à La Palma, où la superficie cultivée augmente au détriment de l'agriculture d'autosuffisance. La production de vin à Tenerife s'élève à 30 000 barils par an à la fin du 17e siècle (un baril équivalant à 480 litres). Le vin s'exporte vers la Flandre, la France et l'Espagne continentale, mais surtout vers l'Angleterre, où le vin canarien jouit d'une grande réputation. Le vin des Canaries se vend également dans les colonies anglaises d'Amérique. L'industrie du vin est initialement entre les mains de Juifs convertis et de quelques marchands de Séville, puis rapidement des marchands anglais, hollandais et français. Le déclin de la viticulture commence vers 1680, lorsque les vins portugais expulsent les vins des Canaries du marché britannique. La crise économique qui s'ensuit est particulièrement sensible à Ténérife, d'où une grande partie de la population émigre vers les autres îles Canaries ou vers les colonies américaines et où la population stagne en conséquence. La Compagnie des Canaries (es) (Canary Company, 1665-1667) est une société anglaise fondée en 1665 dans le but d'acquérir des vins canariens à bas prix, visant à établir un monopole sur le commerce avec les îles.

Les îles ayant des relations d'import-export avec les pays étrangers (Tenerife, La Palma et Grande Canarie) servent d'intermédiaires pour les importations et exportations des autres îles. La plupart des échanges économiques avec les pays étrangers concernent l'Europe. Aux 16e siècle et 17e siècle, les Canaries importent des tissus, des outils, des produits de luxe et divers produits finis et exportent du sucre et du vin, de l'orseille, des céréales et du cuir.

Le commerce avec l'Amérique est longtemps en grande partie illégal en raison de la Casa de Contratación, administration coloniale espagnole, créée à Séville en 1503, supprimée en 1790, et chargée de collecter un impôt de 20% sur toute cargaison transatlantique (entre autres). Les Canaries exportent du vin, du vinaigre, des poires en conserve, des coings, des fruits secs et autres vers l'Amérique. En retour, ils importent du cacao, du tabac, du bois brésilien et des meubles.

Attaques anglaises

L'Angleterre, qui vise la domination sur les océans, tente également à plusieurs reprises de s'emparer des îles Canaries, par sa flotte régulière comme par ses Chiens de Mer. Le corsaire William Harper (?) attaque Lanzarote et Fuerteventura en 1593. Sir Francis Drake (1540-1596) est repoussé avec succès au large de Las Palmas en 1585 et à nouveau en 1595. Walter Raleigh (1552-1618) attaque Fuerteventura et Tenerife en 1595 et la ville d'Arrecife en 1616. Une attaque de l'amiral Robert Blake (1598-1657) sur Tenerife échoue en 1657.L'amiral John Jennings (1664-1743) est vaincu lors d'une attaque contre Santa Cruz de Tenerife en 1706, tout comme le corsaire Woodes Rogers (1679-1732) deux ans plus tard. En 1744, le corsaire Charles Windon attaque Saint-Sébastien de la Gomera et La Palma.

L'amiral Horatio Nelson menace Santa Cruz de Tenerife avec sept grands navires de guerre en 1797, espérant initialement prendre d'assaut le fort central de la ville avec environ 700 hommes. Le plan, basé sur l'improbabilité d'attaquer la position centrale la plus forte du port, est retourné par les défenseurs l'avaient, et l'artillerie portuaire, ensuite repositionnée, coule de nombreuses péniches de débarquement. La troupe complètement trempée et presque sans munitions, qui a néanmoins réussi à débarquer, est piégée par les milices canariennes au milieu de Santa Cruz. Nelson, grièvement blessé au bras droit par des éclats de boulet de canon, doit abandonner, après avoir perdu 226 de ses hommes (noyés ou abattus). Avec beaucoup de chance, son bateau peut rejoindre l'escadre, et le bras blessé de Nelson est amputé à l'épaule par un médecin français, avec une simple scie, sur une table de cabine. Les survivants anglais capturés, avec noblesse, renvoient le général Antonio Gutierrez, qui avait deviné le plan d'attaque de Nelson. Aujourd'hui, le puissant canon de bronze "El Tigre" du musée militaire de Santa Cruz, qui aurait tiré le coup décisif qui a coûté le bras à Nelson, commémore l'unique échec de Nelson.

Population

Contrairement à ce qui se passe dans la péninsule ibérique, le 17e siècle est une période de croissance démographique. La population des îles Canaries passe de 41 000 habitants en 1605 à 105 075 en 1688, avec environ 70 % pour les îles occidentales. Tenerife et Grande Canarie demeurent les îles les plus peuplées avec respectivement 50 000 et 22 000 habitants. Parmi les plus petites îles, La Palma est la seule à dépasser 14 000 habitants. Le reste des îles connaît des augmentations importantes permettant d'atteindre environ 4 000 habitants par île.

La cause de cette croissance inégale est la reprise économique à Tenerife et La Palma, due à la conversion à l'industrie du vin profitable à l'exportation. Dans le même temps, les îles Canaries orientales souffrent toujours de l'effondrement économique de la canne à sucre, des attaques de pirates, des épidémies et de l'émigration vers Tenerife et La Palma. Tout cela explique la stagnation de la population, qui prend fin seulement au dernier tiers du siècle.

18e siècle

Catastrophes naturelles

Sur Ténérife, en 1704-1705, diverses éruptions se déroulent près de Fasnia, Arafo/Las Arenas et Siete Fuentes, précédant l' éruption du volcan Trevejo en 1706 ("Arenas Negras"), près de Garachico (Tenerife).

Sur Lanzarote, en 1730-1736, le volcan Timanfaya entre en longue éruption (avec 300 cratères) : monument naturel Montañas del Fuego, parc national de Timanfaya, parc naturel de Los Volcanes.

Le séisme du 1er novembre 1755 à Lisbonne provoque un très puissant tsunami qui ravage une parie des côtes marocaines et des archipels en Atlantique (dont les Açores), mais la documentation manque pour les Canaries.

En 1766, le Temporal de Reyes (1766) (es) consiste en une tempête de pluies torrentielles dévastatrices.

Enfin, en 1798, l'éruption du Pico Viejo ("Montaña Chahorra"), dure quatre mois, et est observée par Alexander von Humboldt (1769-1859).

Économie

Au 18e siècle, la crise viticole permet aux marchés céréaliers de Tenerife et de La Palma de se redresser, mais les pertes causées par la viticulture ne peuvent être compensées malgré une recherche intensive de marchés de vente en Hollande puis aux États-Unis. Dans le même temps, de nouvelles cultures importées d'Amérique se répandent avec les pommes de terre, le maïs et les tomates, qui prennent rapidement de l'importance et apportent de la variété au régime alimentaire auparavant restreint des îles Canaries. Le grand succès de ces nouvelles récoltes renforcé l'économie canarienne, tandis que l'activité volcanique de Lanzarote donne un élan à la viticulture.

Dans le commerce des Canaries avec l'Amérique au XVIIIe siècle, Ténérife était l'île hégémonique, dépassant 50 % du nombre de navires et 60 % du tonnage. Sur les îles de La Palma et Gran Canaria, le pourcentage est d'environ 19% pour la première et 7% pour la seconde[16].

Les lois de libre-échange du XVIIIe siècle augmentent le volume de commerce avec l'Amérique. Pendant un siècle, fonctionne légalement le tribut de sang des Canaries (es) (1684-1778) : crise agraire et indices de surpopulation obligeant, chaque tranche de cent tonnes de produits importés des Canaries en Amérique autorise l'émigration de cinq familles canariennes en Amérique, également pour épauler la colonisation espagnole en Amérique (contre les implantations d'autres puissances étrangères).

Population

La croissance démographique se poursuit tout au long du XVIIIe siècle. La population trans-insulaire passe de 105 075 à la fin du XVIIe siècle à 194 516 en 1802. La répartition de la population reste inégale : plus des deux tiers de la population se concentre sur les grandes îles de Tenerife et de Gran Canaria, tandis que la population d'El Hierro stagne. La population des îles orientales augmente fortement, car les îles occidentales souffrent d'une grave crise viticole qui pousse à l'émigration vers l'Amérique.

Au cours de la longue histoire des colonies espagnoles en Amérique, l'émigration des îles Canaries vers l'Amérique, interdite ou encouragée, se poursuit pendant plus de 500 ans jusqu'aux années 1950. Pour certaines régions d'Amérique latine, l'émigration canarienne a été cruciale pour leur établissement. Les destinations les plus importantes en Amérique latine sont encore en premier lieu le Venezuela, Cuba et Hispaniola, un peu moins l'Uruguay et le nord du Mexique. Les raisons de l'émigration sont les attaques des corsaires et des pirates (sur les îles de l'archipel), l'effondrement des monocultures respectives (canne à sucre, vin, cochenille), la faim provoquée par de longues périodes de sécheresse et des éruptions volcaniques importantes, mais également la concentration croissante sur quelques familles de la propriété des terres cultivables.

Parmi les agressions importantes, la bataille de Santa Cruz de Tenerife (1706) (es) (pendant la guerre de Succession d'Espagne), les attaques de corsaires britanniques à Fuerteventura en 1740 (es) (en pleine guerre de l'oreille de Jenkins), et la bataille de Santa Cruz de Tenerife (1797) visant à conquérir Ténérife, menée par l'amiral anglais Horatio Nelson.

19e siècle

Déjà, en 1792, est créée l'unique université des îles Canaries, à La Laguna

En 1812, à Cadix, le parlement espagnol met constitutionnellement en place un nouveau niveau administratif, à la suite duquel les premières administrations municipales et municipales (Ayuntamientos) voient également le jour dans les îles Canaries.

En 1814, le retour du roi absolutiste Ferdinand VII (1784-1833), casse la libéralisation progressive de l'économie et le nouvel ordre constitutionnel de 1812 en Espagne. Les graves problèmes économiques qui découlent de cette politique amènent la reine Isabelle II (1830-1904) à déclarer les îles Canaries zone de libre-échange en 1852 : Loi des ports francs des Canaries (es), de Juan Bravo Murillo (1803-1873). Les avantages tarifaires accordés conduisent à une relance de l'économie canarienne.

En 1821, les îles Canaries sont déclarées province espagnole avec pour capitale Santa Cruz de Tenerife, qui le reste jusqu'en 1927. La rivalité pour la préséance avec Las Palmas de Grande Canarie entraîne une division de l'archipel en une zone occidentale et une zone orientale de 1840 à 1873. L'homme politique et chef du "Parti libéral des Canaries" (Partido Liberal Canario) basé à Grande Canarie, Fernando León y Castillo (1842-1918) fait campagne de plus en plus pour la suprématie de sa région, ce qui est perçu aujourd'hui comme le déclencheur de la division définitive de l'archipel.

La crise de la cochenille (es), à partir de 1880, entraîne une émigration massive, un réajustement de l'agriculture (tabac, canne à sucre), une augmentation de la dépendance à l'extérieur (de l'archipel) et aux activités urbaines, une hausse des prix des produits de subsistance, une soumission aux investissements anglais.

Parmi les catastrophes naturelles du siècle : les intempéries de 1826 aux Canaries (es).

La population de l'archipel croît de 194 516 habitants en 1802 à 364 408 en 1900.

20e siècle

Population

La population canarienne croît : 364 408 en 1900, 687 937 en 1940, 966 177 en 1960, 1 367 646 en 1981,1 589 403 en 1990, 1 716 276 en 2000.

Une dernière grande vague d'émigration illégale, principalement vers le Venezuela, a lieu entre 1936 et 1945, pendant et surtout après la guerre civile espagnole. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'émigration est légalisée, de sorte qu'en quelques années, environ 100 000 personnes (sur environ 700 000) quittent les îles pour le Venezuela, souvent désigné comme la huitième île des Canaries.

Beaucoup de ces émigrés, ou leurs enfants ou petits-enfants, sont entre-temps rentrés ou tentent de rentrer. L'échange séculaire entre les Canaries des deux côtés de l'Atlantique a participé à l'intégration de nombreux éléments de la culture et de la langue sud-américaines dans les îles de l'archipel, et l'espagnol des Canaries a laissé sa marque sur l'espagnol d'Amérique latine. Aujourd'hui, de nombreux éléments, notamment l'espagnol des Caraïbes, sont mêlés à l'espagnol des îles Canaries.

Années 1900-1950

Protectorat espagnol en Afrique du Nord-Ouest (1956)

Parmi les grandes catastrophes naturelles, en 1909, on relève l'éruption du volcan Chinyero (1909) (Pico Viejo, Teide).

Le , la « loi des conseils insulaires » (Ley de Cabildos) est adoptée : les îles doivent constitutionnellement être administrées par leurs propres gouvernements insulaires (Cabildos). La dispute entre (les groupes d')îles perdure, et le , la province des îles Canaries, créée en 1812, établie en 1833, est scindée en deux : province de Las Palmas et province de Santa Cruz de Tenerife.

La première bataille de l'Atlantique (1914-1918) concerne peu l'archipel, sauf dans certaines relations principalement avec les possessions espagnoles en Afrique de l'Ouest (et du Nord).

En 1924, est créé le Parti nationaliste canarien, à La Havane. Un second PNC est créé en 1982, toujours actif aux élections de 2019.

Le , l'hydravion "Plus Ultra", de type Dornier Do J, piloté par le commandant Ramón Franco (1896-1936) et Julio Ruiz de Alda (1897-1936), décolle de Palos de la Frontera (Province de Huelva, Andalousie, Espagne) le et arrive à Buenos Aires (Argentine) le , après escale à Gran Canaria, Cap-Vert, Pernambouc, Rio de Janeiro et Montevideo. Le voyage de 10 270 km, bouclé en 59 heures et 39 minutes, en fait des héros nationaux. La Compagnie générale aéropostale (L'Aéropostale, 1927-1933), compagnie française, exploite les lignes Toulouse-Casablanca, Casablanca-Dakar (par Agadir, Cap Juby (Sahara espagnol), Villa Cisneros, Port-Étienne, Saint-Louis) et Recife - Rio (Brésil). En , décision royale est prise de construire l'aéroport de Gando (Grande Canarie). Le premier vol est effectué en 1933, préfigurant la première ligne régulière Madrid-Canaries (1935).

En 1931, la deuxième république démocratique est établie en Espagne, mais se retrouve incapable de résoudre les conflits dans les différentes régions du pays. Juan Negrín (1892-1956), licencié en médecine et chirurgie en Allemagne, créateur d'une école de physiologie de renommée internationale, membre du Parti socialiste ouvrier espagnol, est élu député de la province de Las Palmas (1931-1934, Canaries orientales). Ministre des Finances en 1936, il est désigné président du Conseil des ministres espagnol (1937-1939), puis président du gouvernement de la République espagnole en exil, depuis la France, puis le Mexique. Très contesté, il est enfin réhabilité par le PSOE en 2008.

Francisco Franco (1892-1975), nommé en 1933 chef de l'état-major, et responsable de la répression de la révolution asturienne de 1934, est démis de ses fonctions de commandant en chef de l'armée en 1936. Il est nommé commandant militaire (capitaine général) aux îles Canaries et au Maroc espagnol. Quand, après l'assassinat du politicien conservateur José Calvo Sotelo, une grande partie de l'armée espagnole de droite et fasciste se révolte contre le gouvernement, Franco prend le commandement des troupes au Maroc espagnol le , après avoir quitté la Grande Canarie. La république est dissoute de force par le régime franquiste. La guerre civile espagnole (1936-1939) sévit, puis cède la place à l'Espagne franquiste (1939-1975) ou État espagnol.

Lors de la bataille de l'Atlantique (1939-1945), selon l'implication de l'Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale, et d'abord la politique extérieure franquiste durant la Seconde Guerre Mondiale (es), l'archipel des Canaries semble avoir été peu touché par les combats. L'histoire militaire de Gibraltar durant la Seconde Guerre mondiale, dont l'opération Felix, concerne directement les mouvements des convois de bateaux, commerciaux ou non, en Atlantique, et particulièrement entre les Canaries et l'Espagne. La zone semble avoir été relativement calme, à part la bataille de Dakar, le sous-marin italien Giuseppe Finzi. Une escadrille de 24 avions de combat est installée à l'aéroport de Gando pour contrer d'éventuelles attaques anglaises ou françaises.

Il convient de rappeler la longue existence de l'Empire espagnol (1492-1975), en Amérique d'abord, mais aussi particulièrement en Afrique espagnole. L'Afrique occidentale espagnole (1946-1958), dont Sahara espagnol (1884-1976) (voir Sahara occidental, Histoire du Sahara occidental), Ifni (1958-1969), Seguia el-Hamra, Rio de Oro, Cap Juby, le protectorat espagnol au Maroc (1912-1956) et diverses places et territoires de souveraineté espagnole au Maroc, mais aussi la Guinée espagnole (1926-1968) ont longtemps exigé des mouvements maritimes (puis aériens), commerciaux et militaires, impliquant longtemps des escales aux Canaries.

Années 1950-1980

Le régime franquiste se manifeste entre autres par un établissement pénitentiaire de relégation, la colonie pénitentiaire agricole de Tefía (es) (1954-1966, Puerto del Rosario, Fuerteventura), à destination des prisonniers, politiques ou de droit commun, et de rééducation pour les homosexuels. Le livre La répression franquiste aux Canaries (es) (2002, José Francisco López Felipe) précise l'ampleur de ce qui précède dans l'archipel.

Le nationalisme canarien se manifeste en partie, par la création en 1964 d'un mouvement indépendantiste appelé Movimiento por la Autodeterminación e Independencia del Archipiélago Canario, Mouvement pour l'autodétermination et l'indépendance des îles Canaries (1964-1979, MPAIAC), basé à Alger, avec comme secrétaire général Antonio Cubillo (1930-2012, Antonio de León Cubillo Ferreira), réclamant une "république des Guanches". L'objectif principal est de rompre avec le régime franquiste. Le groupe Forces Armées Guanches (es) (FAG, 1976-1978) en est le bras armé. Les Détachements Armés Canariens (es) sont un autre groupe indépendantiste de la décennie.

Après la fin du régime militaire du général Francisco Franco, sous lequel la culture indépendante des îles Canaries a été supprimée et négligée, l'Espagne est rapidement devenue une démocratie pluraliste à partir de 1975. Dans ce contexte, certains (autres) partis canariens, régionalistes, minoritaires, se forment, revendiquant, par exemple, une indépendance, une autonomie et/ou un virage politique vers les États d'Afrique du Nord.

Le système de libre-échange des ports francs varie quelque peu. En 1972, est établi un régime économique et fiscal des Canaries (es) (REF).

Parmi les catastrophes de fin de siècle, la collision de Tenerife, le , entre deux Boeing 747, fait 248 morts.

Années 1980

Le , les îles Canaries sont constituées comme l'une des dix-sept communautés autonomes d'Espagne (comunidades autónomas, CC.AA), avec Santa Cruz de Tenerife et Las Palmas de Gran Canaria comme capitales communes. Le siège du Premier ministre (Presidente del Gobierno) change à chaque législature. Le Parlement des Canaries a pour siège permanent à Santa Cruz de Tenerife. Pour la première fois dans l'histoire des îles, le , désormais jour férié aux Canaries, les Canariens sont libres de choisir leur propre institution politique.

Lorsque l'Espagne rejoint l'Union européenne (UE) en 1986, les Canaries s'y refusent, par crainte de marasme économique. Elles finissent par accepter de devenir membres à part entière en 1991, et rejoignent l'UE en 1992. Depuis lors, le droit communautaire européen est en vigueur sur les îles, avec des réglementations spéciales dans certaines zones qui tiennent compte de la grande distance par rapport au reste du territoire de l'UE et visent à compenser les inconvénients de la situation insulaire. L'archipel fait également partie de l'espace douanier européen, bénéficiant de conditions particulières dans certaines zones et recevant de nombreux programmes d'aides et de subventions, en tant que région ultrapériphérique de l'UE.

Le , l'euro remplace la peseta comme monnaie.

Parmi les catastrophes naturelles de fin de siècle : le tremblement de terre de Tenerife de 1989 (es).

21e siècle

En 2002, les Mando de Canarias (MCANA), Mando Naval de Canarias (ALCANAR) et Mando Aéreo de Canarias (MACAN) sont réunis en un unique Commandement conjoint des îles Canaries (es) (MACOCAN), organe opérationnel conjoint des forces armées espagnoles aux îles Canaries.

Parmi les catastrophes naturelles du début de siècle, se distinguent : inondations de Ténérife de 2002 (es), tempête tropicale Delta (2005), incendies de forêt des Canaries de 2007 (es), inondations de Ténérife de 2010 (es), éruption volcanique d'El Hierro de 2011 (éruption sous-marine du au ).

Le , l'île de Tenerife (environ 900 000 habitants) subit une panne générale d'électricité, de presque une journée, due à une panne encore inexpliquée de générateur de centrale thermique. Le , une panne équivalente se produit à nouveau sur Tenerife, avant le rétablissement après plusieurs heures.

Les îles Canaries ont vers 2010 une population d'environ 2 000 000 habitants, Canariens. Après des débats intenses et des blocus partisans, en 2018, un nouveau statut d'autonomie est établi pour les îles Canaries.

Crise migratoire de l'Afrique vers l'Europe

Depuis 2010, l'archipel est un des postes[17] de la crise migratoire en Europe, parmi les routes migratoires, au croisement de la route méditerranéenne occidentale et de la route de l'Afrique de l'Ouest : Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), politique européenne d'immigration, droit d'asile dans l'Union européenne, externalisation de l'asile.

Notes et références

  1. Maurice Euzennat, « Le périple d'Hannon », Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 138, no 2, , p. 559-580 (lire en ligne)
  2. (en) Alfred J. Church, The Story of Carthage, Biblo & Tannen, , p. 95-96
  3. http://remacle.org/bloodwolf/erudits/mela/livre1.htm#V
  4. Brotton 2012, p. 45
  5. https://www.salutilescanaries.com/les-premiers-habitants/
  6. Ignacio Reyes, « I. La lengua », agosto de 2005 (ISSN 1886-2713, consulté le )
  7. Charles Verlinden, À propos de l'inféodation des Îles Canaries par le pape Clément VI à l'Infant Don Luis de la Cerda (1344) document paru dans le bulletin de l'Institut historique belge de Rome, 1985, no 55-56, p. 75-84
  8. Petrarque, De vita solitaria, lib II, sectio VI, cap III
  9. Historia de la conquista de las siete islas de Canaria
  10. Pierre Bontier, Pierre Bergeron, Jean Le Verrier, Histoire de la première descouverte et conqueste des Canaries, faite dès l'an 1402 par messire Jean de Béthencourt...Plus un traicté de la navigation et des voyages de descouverte et conqueste modernes et principalement des Français, M. Soly, Paris, (lire en ligne)
  11. Jean de Béthencourt, Le Canarien : Histoire de la première descouverte et conqueste des Canaries, faite dès l'an 1402 escrite du temps mesme par Jean de Béthencourt, plus un Traicté de la navigation et des voyages de descouverte et conquestes modernes et principales des François (1402-1422), introduction et notes par Gabriel Gravier, Société de l'histoire de Normandie, Rouen, C. Métérie, 1874.
  12. https://elhierro.travel/fr/decouvrez/lhistoire-de-el-hierro/
  13. https://mdc.ulpgc.es/utils/getfile/collection/coloquios/id/180/filename/252.pdf
  14. https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-et-le-monde/esclavage-dans-les-colonies-europ%C3%A9ennes/esclavage-dans-les-colonies-europ%C3%A9ennes
  15. https://ciudaddeguia.com/2017/01/18/finca-clavijo-el-cementerio-de-esclavos-mas-antiguo-del-atlantico/
  16. « El comercio canario-americano en el siglo XVIII (I parte) » [archive du ], sur www.canariascnnews.com (consulté le )
  17. administration coloniale espagnole

Voir aussi

Bibliographie

  • Henri Dehollain, Histoire de la Conquête des Îles Canaries (1350-1500), Publishroom, , 507 p. (ISBN 978-2-38454-023-5, lire en ligne)
  • (en) John Mercer, Canary Islanders: Their Prehistory, Conquest and Survival, Londres, R. Collings, (ISBN 0-86036-126-8)

Articles connexes

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