Jean II le Bon

Jean II, dit « le Bon » (graphie ancienne Jehan), né le au château du Gué de Maulny du Mans et mort à Londres le , fils du roi Philippe VI et de son épouse Jeanne de Bourgogne, est roi de France de 1350 à 1364, le deuxième souverain issu de la maison capétienne de Valois. Il est sacré roi de France le .

Pour les articles homonymes, voir Jean II.

Ne doit pas être confondu avec Jean Lebon.

Jean II

Portrait de Jean II le Bon, anonyme vers 1350[2], dép. des Estampes de la BnF, en dépôt au musée du Louvre.
Titre
Roi de France

(13 ans, 7 mois et 17 jours)
Couronnement
en la Cathédrale de Reims
Régent Charles de France
(1356-1360, 1364)
Prédécesseur Philippe VI
Successeur Charles V
Duc de Normandie

(18 ans, 6 mois et 5 jours)
Prédécesseur aucun
Successeur Charles V
Comte du Maine et d'Anjou

(18 ans, 6 mois et 5 jours)
Prédécesseur Philippe VI
Successeur Louis Ier d'Anjou
Biographie
Dynastie Maison de Valois
Date de naissance
Lieu de naissance Château du Gué de Maulny, Le Mans (France)
Date de décès
Lieu de décès Londres (Angleterre)
Père Philippe VI de Valois
Mère Jeanne de Bourgogne
Conjoint Bonne de Luxembourg
(1332-1349)
Jeanne d’Auvergne
(1350-1360)
Enfants Avec Bonne de Luxembourg
Blanche de France
Charles V
Catherine de France
Louis Ier d'Anjou
Jean Ier de Berry
Philippe II de Bourgogne
Jeanne de France
Marie de France
Agnès de France
Marguerite de France
Isabelle de France
Avec Jeanne d'Auvergne
Blanche de France
Catherine de France

Rois de France

Le règne de Jean II le Bon est marqué par la défiance du pays envers les Valois, branche cadette des Capétiens ayant accédé au trône à la mort sans descendant du roi de France Charles IV, pour éviter qu'Édouard III, roi d'Angleterre, petit-fils par sa mère du roi Philippe IV le Bel et donc neveu de Charles IV, ne prenne possession du trône de France. La nouvelle dynastie, confrontée à la crise de la féodalité, aux cinglantes défaites du début de la guerre de Cent Ans et à la grande peste, perd rapidement beaucoup de crédit ; dans le même temps, incapables de faire rentrer les impôts, les deux premiers Valois recourent à des mutations monétaires pour renflouer le trésor. Ces manipulations entraînent des dévaluations extrêmement impopulaires. Jean II le Bon, confronté aux intrigues de Charles le Mauvais, roi de Navarre et prétendant le plus direct à la couronne, gouverne dans le secret entouré d'hommes de confiance. Profitant de tous ces troubles, et sûrs de la supériorité tactique conférée par l'arc long, le «longbow», les Anglais, menés par Édouard III et son fils le Prince Noir, relancent la guerre en 1355.

Le , Jean le Bon est battu et fait prisonnier à la bataille de Poitiers, malgré la restructuration de l'armée qu'il a menée. Le pays sombre alors dans le chaos. Les états généraux menés par Étienne Marcel et Robert Le Coq prennent le pouvoir à Paris et tentent d'installer Charles de Navarre à la tête d'une monarchie contrôlée. En 1358, les campagnes se soulèvent et s'allient avec Étienne Marcel, mais le dauphin, le futur Charles V, se fait nommer régent, et retourne la situation. Jean le Bon peut regagner la France en 1360, après la signature du traité de Brétigny, qui lui rend la liberté, mais cède un tiers du pays à Édouard III.

Son retour est difficile. Il faut payer son énorme rançon et les finances du royaume de France sont au plus bas. Il stabilise la monnaie, grâce à la création du franc, mais les Grandes compagnies pillent les campagnes et bloquent le commerce. Il tente de mettre fin à leurs agissements, mais l'armée royale est vaincue à Brignais. Il tente ensuite d'en débarrasser le pays, en les menant en croisade contre les Turcs avec l'argent du Pape. Il essuie un nouvel échec : Innocent VI meurt quinze jours avant son arrivée à Avignon, puis est remplacé par le peu dépensier Urbain V[3].

Personnalité

Sacre de Jean le Bon.
Enluminure des Grandes Chroniques de France de Charles V, vers 1370-1379. BnF, département des manuscrits, ms. Français 2813, fo 393 ro.

Jean le Bon est de santé fragile[4]. Il a peu d'activités physiques, joute peu, mais pratique la chasse[4]. Il est d’une personnalité sensible, et laisse facilement cours à son émotivité, jusqu'à devenir violent, ce qui lui vaut quelques déboires diplomatiques[4]. Il aime les livres, protège peintres et musiciens[5].

Son image de roi chevalier provient de sa conduite héroïque à la bataille de Poitiers, de la création de l’ordre de l'Étoile, ou encore de la création du franc, sur lequel il figure en armure et à cheval, brandissant une épée. Le règne de Jean le Bon est marqué, comme celui de son père, par la contestation de Charles de Navarre et d'Édouard III, lesquels n'acceptent pas l'accession des Valois au trône de France. Les actions de Jean le Bon sont donc guidées par la nécessité politique de prouver avant tout la légitimité de sa couronne.

Dès son plus jeune âge (il est duc de Normandie à 13 ans), il doit lutter contre les forces de ceux qui, attirés par l'influence économique anglaise, ou le parti réformateur, affectent les villes et la noblesse[pas clair]. Évoluant au milieu des intrigues et des trahisons, il est logique qu'il soit méfiant et gouverne dans le secret, avec un cercle très fermé de familiers. C'est aussi pour cette raison que les premiers Valois ont cherché à donner un aspect fastueux aux cérémonies, ce qui correspond à la conception médiévale de la noblesse. Cependant, les temps ont changé et les contribuables voient d'un mauvais œil ces dépenses somptuaires.

Biographie

Naissance et baptême

Jean de Valois naît au château de Gué-de-Maulny près du Mans, le . Il est le fils aîné de Philippe de Valois et de sa première épouse Jeanne de Bourgogne. Son père est un neveu du roi Philippe IV le Bel et un cousin des rois Louis X le Hutin, Philippe V le Long et Charles IV le Bel. Jean est baptisé le à la cathédrale Saint-Julien du Mans[6].

Héritier du trône de France

Les rois de la guerre de Cent Ans.
Royaume de France en 1328
  • Possessions d'Édouard III d'Angleterre
  • Possessions de Jeanne II de Navarre
  • États pontificaux
  • Zone d'influence économique anglaise
  • Zone d'influence culturelle française

Son père Philippe VI monte sur le trône de France en 1328. Sa légitimité découle d'un choix politique, fait à la mort de Louis X le Hutin en 1316, à celle de Philippe V le Long en 1322, puis à celle de Charles IV en 1328, afin d'éviter que la couronne n'échoie à un étranger. Édouard III, pourtant petit-fils de Philippe le Bel lui aussi, mais par sa mère, est ainsi évincé au profit du petit-neveu de ce dernier : les femmes ne peuvent ni hériter, ni transmettre la couronne (la loi salique). Le nouveau roi doit donc impérativement asseoir la légitimité de sa dynastie. À son avènement, au printemps 1328, Jean, alors âgé de neuf ans, est son seul fils vivant. En 1332, naît Charles de Navarre, prétendant plus direct qu'Édouard III à la couronne de France. Philippe VI décide donc de marier rapidement son fils  alors âgé de treize ans  pour nouer l'alliance matrimoniale la plus prestigieuse possible et de lui confier un apanage (la Normandie). Il envisage un temps de l'unir à Aliénor, sœur du roi d'Angleterre.

Depuis Saint Louis, la modernisation du système juridique attire dans la sphère culturelle française de nombreuses régions limitrophes. En particulier en terres d'Empire, les villes du Dauphiné ou du comté de Bourgogne (future Franche-Comté) recourent depuis Saint Louis à la justice royale pour régler des litiges. Le roi envoie par exemple le bailli de Mâcon, qui intervient à Lyon pour régler des différends, comme le sénéchal de Beaucaire intervient à Viviers ou à Valence[7]. Ainsi, la cour du roi Philippe VI est largement cosmopolite : beaucoup de seigneurs tels le connétable de Brienne ont des possessions à cheval entre plusieurs royaumes. Les rois de France élargissent l'influence culturelle du royaume en attirant à leur cour la noblesse de ces régions en lui allouant des rentes et en se livrant à une habile politique matrimoniale. Ainsi, les comtes de Savoie prêtent hommage au roi de France contre l'octroi de pensions. Jean de Luxembourg, dit l'Aveugle, roi de Bohême, est donc un habitué de la cour de France tout comme son fils Venceslas, le futur empereur Charles IV[8]. Philippe VI l'invite à Fontainebleau pour lui proposer un traité d'alliance qui serait cimenté par le mariage d'une de ses filles avec le futur Jean le Bon. Le roi de Bohême, qui a des visées sur la Lombardie et a besoin du soutien diplomatique français, accepte cet accord. Les clauses militaires du traité de Fontainebleau stipulent qu'en cas de guerre, le roi de Bohême se joindrait à l'armée du roi de France avec quatre cents hommes d'armes si le conflit se déroule en Champagne ou dans l'Amiénois ; avec trois cents hommes, si le théâtre des opérations est plus éloigné. Les clauses politiques prévoient que la couronne lombarde ne serait pas contestée au roi de Bohême s'il parvient à la conquérir ; et que s'il peut disposer du royaume d'Arles, celui-ci reviendrait à la France. Par ailleurs, le traité entérine le statu quo concernant les avancées françaises en terre d'Empire. Le choix est laissé au roi de France entre les deux filles du roi de Bohême. Il choisit Bonne, seconde fille de Jean de Luxembourg, comme épouse pour son fils car elle est en âge de procréer (elle a dix-sept ans et sa sœur Anne neuf). La dot est fixée à cent vingt mille florins.

Mariage avec Bonne de Luxembourg

Philippe VI recherche des alliances à la fois solides et prestigieuses pour asseoir sa dynastie et un mariage de son fils avec Bonne, la fille du roi de Bohême Jean Ier de Luxembourg, en est une excellente occasion.

Jean de Luxembourg est en effet un des plus puissants princes de l'époque ; le chroniqueur Pierre de Zittau écrit à son sujet que « sans le roi de Bohême, personne ne peut réaliser ses projets. Ce que Jean patronne réussit. Ce qu'il ne veut pas est voué à l'échec »[9].

L'héritier du trône de France est déclaré majeur et émancipé par son père le . Il reçoit en apanage le duché de Normandie, ainsi que les comtés d'Anjou et du Maine. Les noces sont célébrées le en l'église Notre-Dame de Melun en présence de six mille invités[10].

Les festivités se prolongent deux mois plus tard par l'adoubement du jeune marié, en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le duc Jean de Normandie est solennellement armé chevalier devant une assistance prestigieuse réunissant les rois de Bohême et de Navarre ainsi que les ducs de Bourgogne, de Lorraine et de Brabant[11].

Rebelles normands

Octroi de la Charte aux Normands par Louis le Hutin, manuscrit du XIVe siècle (BNF). La Charte aux Normands de 1315 confirmée en 1339 par Philippe VI garantit une large autonomie à la Normandie. Geoffroy de Harcourt en est l'un de ses plus fervents défenseurs et est le meneur naturel des rebelles normands au pouvoir royal.

En 1332, Jean le Bon reçoit la Normandie en apanage et doit constater qu'une grande partie de la noblesse normande est attirée par le camp anglais. En effet, économiquement, la Normandie dépend des échanges maritimes à travers la Manche autant que des échanges par le transport fluvial sur la Seine. La Normandie et la Grande-Bretagne ne sont plus unies depuis 128 ans (1204) mais nombre de propriétaires fonciers ont des possessions de part et d'autre de la Manche[12]. Dès lors, se ranger derrière l'un ou l'autre souverain entraînerait confiscation d'une partie des terres. C'est pourquoi la noblesse normande se regroupe en clans solidaires, qui lui permettent de pouvoir faire front : c'est ainsi qu'elle a pu obtenir et maintenir des chartes garantissant au duché une grande autonomie. Raoul de Brienne est une figure significative : il mène une politique étrangère indépendante, et, s'il commande l'armée française envoyée en Écosse en 1335, c'est en tant que capitaine général engagé par contrat, et non comme l'obligé du roi.

La noblesse normande est divisée en deux partis de longue date, les comtes de Tancarville et d'Harcourt se livrant à une guerre sans merci depuis plusieurs générations[13]. Leur rivalité est relancée quand, en 1341, les Tancarville, forts du soutien royal, soufflent la riche héritière du fief du Molay Jeanne Bacon, promise à Geoffroy d'Harcourt. Le roi, soucieux d'éviter que la plus riche région du royaume soit mise à feu et à sang, donne l'ordre aux baillis de Bayeux et du Cotentin d'empêcher cette guerre[14]. Geoffroy d'Harcourt lève les armes contre le roi, ralliant une bonne partie d'une noblesse normande, jalouse de son autonomie, et qui voit d'un mauvais œil l'immixtion du roi dans les affaires normandes. Les rebelles souhaitent voir leur chef Geoffroy d'Harcourt devenir duc de Normandie, ce qui garantirait la large autonomie octroyée par les chartes[15]. Son château de Saint-Sauveur-le-Vicomte étant occupé par les troupes royales, Geoffroy d'Harcourt doit quitter le Cotentin pour rejoindre le Brabant, pays de sa mère. Trois de ses compagnons, Guillaume Bacon, sire de Blay et oncle de Jeanne Bacon, Jean, sire de la Roche Taisson, et Richard de Percy sont décapités à Paris le et leurs têtes envoyées à Saint-Lô pour y être exposées sur une roue en plein marché[15],[16].

Salle de l'échiquier de Caen (XIIe siècle), L'échiquier de Normandie rend la justice. La seconde Charte aux Normands de 1339 leur garantit le droit de ne jamais être cités devant une autre juridiction.

En Brabant, le rebelle constate que les Flamands menés par Jacob van Artevelde ont pu reconnaître comme roi Édouard III, qui a fait valoir ses droits à la couronne de France, lors de la déclaration de guerre[17]. Début 1345, il franchit le pas et se rend en Angleterre, où Édouard III le prend sous sa protection. L'hommage éventuel des seigneurs normands à Édouard III constitue une menace majeure pour la légitimité des Valois. Ils doivent lutter contre les nombreuses défections, qui risquent d'affecter la noblesse des façades nord et ouest du royaume, dont les terres sont dans la sphère d'influence économique de l'Angleterre. Dès lors, les Valois décident de traiter. Le duc Jean rencontre Geoffroy d'Harcourt auquel le roi rend tous ses biens. Il le nomme même capitaine souverain en Normandie[15]. Il est dès lors logique que Jean se rapproche des Tancarville, qui représentent le clan loyaliste, pour pouvoir assurer son autorité sur la Normandie. Or, le vicomte Jean de Melun a épousé Jeanne, la seule héritière du comté de Tancarville[18]. Par la suite ce sont les Melun-Tancarville qui forment l'ossature du parti de Jean le Bon, alors que Godefroy de Harcourt est le défenseur historique des libertés normandes et donc du parti réformateur. Le rapprochement entre ce dernier et Charles de Navarre, qui se pose en champion des réformateurs, devient donc logique.[réf. souhaitée]

Chef de guerre

Jean, duc de Normandie, comte d'Anjou, du Maine et de Poitiers, seigneur des conquêtes de Languedoc et de Saintonge, n'est pas très puissant. Ce sont les officiers du roi qui administrent la plupart de ses possessions. En revanche, il participe aux diverses campagnes militaires de l'époque :

Les Normands multiplient les raids contre les ports anglais, dans les premiers temps de la guerre de Cent Ans. On envisage un débarquement de grande ampleur. Jean, dont les Normands seraient en première ligne, en serait le commandant en chef, mais, faute de finances, le projet est abandonné[19]. Il combat contre les Anglais en Hainaut en 1340, en Bretagne en 1341–42 et en Guyenne en 1346[20].

Le , Philippe VI choisit Charles de Blois pour la succession de Bretagne[21]. L'autre prétendant, Jean de Montfort, avait pris possession de toutes les places fortes du duché au printemps et il avait donné l'hommage lige à Édouard III sachant que le roi de France ne l'accepterait pas[22]. Jean le Bon réunit une forte armée, renforcée de mercenaires génois, et pénètre en Bretagne fin 1341. Il enlève la forteresse de Champtoceaux qui, sur la rive gauche de la Loire, verrouille l'accès de Nantes. Après deux semaines de siège, il prend Nantes et capture Jean de Montfort[23]. Les villes ne tardent pas à reconnaître Charles de Blois. Avec l'hiver le duc de Normandie achève la campagne sans avoir annihilé les derniers montfortistes : pensant avoir réglé l'affaire en s'assurant de la personne de Jean de Montfort, il rentre à Paris. Au contraire, Jeanne de Flandre, épouse de Jean de Montfort, ranime la flamme de la résistance, et rallie ses partisans à Vannes : le conflit nullement réglé va se prolonger 23 ans et va permettre aux Anglais de prendre pied durablement en Bretagne. Édouard III débarque à Brest en 1342, alors que l'armée française l'attend à Calais. Il assiège Vannes et une armée, toujours menée par le duc de Normandie, entre en Bretagne. Mais Jean de Montfort étant prisonnier et Jeanne de Flandre ayant sombré dans la folie, une trêve est signée le [24]. De fait, les Anglais occupent et administrent les places fortes encore fidèles à Jean de Montfort. Une large garnison anglaise occupe Brest, et Vannes est administrée par le pape.

Les responsabilités confiées à Jean s’accroissent progressivement après ses succès en Bretagne : il siège au très restreint conseil du roi[25] et il est nommé Seigneur des conquêtes (il est chargé d’administrer les territoires reconquis en Gascogne) en . Mais il n’a que 24 ans, manque d’expérience et d’autorité et ne réside pas sur place. Les populations regrettent vite leur ancien maître : la fiscalité s’alourdit en particulier avec l’introduction des aides et la proportion d’officiers gascons dans l’administration diminue, au profit d’étrangers (Savoyards, Provençaux ou Auvergnats)[26].

Début , Henry de Lancastre, petit-fils du roi d'Angleterre, débarque à Bordeaux avec 500 hommes d’armes, 1 000 archers et 500 fantassins gallois. Il a le titre de lieutenant pour l’Aquitaine et toute liberté d’action. Son premier objectif : neutraliser Bergerac, d’où partent régulièrement des raids dévastateurs. La ville est prise dès le mois d’août. Il y fait des centaines de prisonniers, qui sont mis à rançon. Renforcé de troupes gasconnes et des troupes de Stafford (son armée compte 2 000 hommes d’armes et 5 000 archers et fantassins), il assiège Périgueux[27].

Jean le Bon, chargé de la défense de l’Aquitaine, envoie Louis de Poitiers avec 3 000 hommes d’armes et 6 000 fantassins secourir la ville. Mais à 15 km de Périgueux, celui-ci s’arrête pour assiéger le château d'Auberoche. Il y est surpris par Henry de Lancastre le 21 octobre, l’armée française est défaite et les Anglais font une nouvelle fois de nombreux prisonniers[28]. Fort de ce succès, le comte de Lancastre prend plusieurs bastides, nettoyant de ses garnisons françaises l’espace compris entre la Dordogne et la Garonne, puis il met le siège devant La Réole. La ville est prise dès le 8 novembre, mais la citadelle résiste : elle promet de se rendre si aucun secours n’arrive dans les 5 semaines[29].

Jean le Bon, lui, ne bouge pas, une grande partie de son armée a été défaite à Auberoche, et il en a licencié le reste. La Réole mais aussi Langon et Sainte-Bazeille font de même, en . Cela a un effet catastrophique : devant l’inertie des Français, de nombreux seigneurs gascons changent de camp, comme les puissantes familles Durfort et Duras, les communautés locales organisent leur propre défense et refusent donc de payer les impôts royaux[29]. Des évêques passent ouvertement dans le camp d'Édouard III et Domme ouvre ses portes à Derby[30]. De ce fait la souveraineté française sur l’Aquitaine recule, laissant place à l’action des Grandes compagnies et aux guerres privées, ce qui accentue le phénomène. D’autre part, les prisonniers de Bergerac et d'Auberoche rapportent près de 70 000 livres de rançon à Henry de Lancastre, et ses lieutenants ne sont pas en reste : on prend conscience en Angleterre, que la guerre en France peut être rentable ce qui suscite nombre de vocations[29]. Aiguillon tombe début 1346.

Philippe VI se décide enfin à agir : il doit trouver des finances, pour monter une armée. Il obtient avec grande difficulté des finances des États de langue d’oil et de langue d'oc, il emprunte aux banques italiennes de Paris, et surtout, il reçoit le soutien du pape, qui l’autorise à prélever 10% des revenus ecclésiastiques du royaume, et lui prête 33 000 florins[31]. Il recrute des mercenaires en Aragon et en Italie. Au printemps 1346, à la tête de 8 000 à 15 000 hommes, dont 1 400 Génois[31], il se rend en Guyenne, pour tenter de reprendre le terrain perdu[30]. Il reprend Angoulême, et met le siège devant Aiguillon. La place au confluent de la Garonne et du Lot est extrêmement bien fortifiée et tenue par une solide garnison de 600 archers et 300 hommes d’armes[32]. Jean fait le serment de ne pas quitter les lieux avant d’avoir pris la ville. Il emploie les grands moyens : réseaux de tranchées pour protéger l’approche et les arrières, construction de ponts sur la Garonne et le Lot pour bloquer le ravitaillement de la ville. Mais le siège piétine et ce sont bientôt ses propres forces qui se retrouvent affamées, d’autant que les assiégés ont fait main basse sur le ravitaillement des assiégeants au cours de sorties audacieuses[32]. Il s'entête à vouloir prendre la place pendant 4 mois tandis qu'Henry de Grosmont, comte de Derby, à la tête de l'armée anglaise, prend du terrain. Fin , il doit lever le siège : Édouard III a attaqué au nord du royaume et Philippe VI a besoin de lui.

Après le désastre de Crécy, il faut trouver des boucs émissaires. Jean (à qui on reproche d'avoir immobilisé l'armée royale devant Aiguillon[33]) et son oncle le duc Eudes de Bourgogne tombent en disgrâce, comme les banquiers chargés par le roi des manipulations monétaires nécessaires à l'entretien des finances royales[34]. En Europe circule l'idée lancée par sainte Brigitte de Suède d'une adoption d'Édouard III par le roi de France qui en ferait son successeur et mettrait fin au conflit avec l'Angleterre[35]. Le duc de Normandie, se sentant menacé, cherche l'appui de son beau-frère, le très puissant Charles de Luxembourg, futur empereur. Le , celui-ci s'engage par serment à venir à son secours et à celui de ses quatre fils, au cas où on l'empêcherait de succéder à la couronne de France[34].

Premiers contacts avec le pouvoir

En 1347, après la chute de Calais, Philippe VI, âgé (53 ans) et discrédité, doit céder à la pression. C'est le duc de Normandie qui prend les choses en main. Ses alliés (les Melun et les membres de la bourgeoisie d'affaires, qui viennent d'être victimes de la purge qui a suivi Crécy et qu'il fait réhabiliter) entrent au conseil du roi, à la chambre des comptes[36] et occupent des postes élevés dans l'administration.

L'attraction politique de la France permet d'étendre le royaume vers l'est, en dépit des défaites militaires. Ainsi, le comte Humbert II, ruiné par son incapacité à lever l'impôt[37] et sans héritier, après la mort de son fils unique, vend le Dauphiné[38] à Philippe VI. Jean prend part directement aux négociations et finalise l'accord.

Bonne de Luxembourg meurt de la peste le et Jean le Bon suit l’avis du roi qui, pour des motifs politiques, souhaite que l’héritier présomptif fasse alliance avec la duchesse Jeanne[39], fille de Guillaume XII d'Auvergne et de Marguerite d'Évreux, riche héritière du duché et du comté de Bourgogne ainsi que de l'Artois, dont les riches domaines pouvaient, le cas échéant, faire retour à la couronne. Âgée de vingt-quatre ans, la duchesse Jeanne est veuve de Philippe de Bourgogne, mort en pleine jeunesse au siège d'Aiguillon en 1346.

Jean épouse Jeanne d'Auvergne, en secondes noces, le au château royal de Sainte-Gemme (parfois appelé aussi Saint-James et aujourd'hui disparu) à Feucherolles[40]. Déjà comtesse de Boulogne et d'Auvergne depuis la mort de son père en 1332, elle assure la régence du duché et du comté de Bourgogne ainsi que de l'Artois depuis la mort, en 1349, de son beau-père, le duc Eudes IV. À l'occasion de ce mariage, en contrepartie de ces terres appartenant à son domaine, elle reçoit en dot les seigneuries de Montargis, Lorris, Vitry-aux-Loges, Boiscommun, Châteauneuf-sur-Loire, Corbeil, Fontainebleau, Melun et Montreuil[41].

Prise de pouvoir

Jean Fouquet, Entrée de Jean II le Bon, Grandes Chroniques de France, vers 1455-1460 (BNF, Fr.6 465, f.378v) Après son sacre, Jean le Bon entre à Paris solennellement avec son épouse Jeanne d'Auvergne. Les Valois, dont la couronne est contestée sont très vigilants quant à l'apparat.

La guerre de Cent Ans connaît une période de trêve depuis la grande peste de 1349. La première partie de la guerre a tourné largement à l'avantage des Anglais. Édouard III remporte des victoires écrasantes aux batailles de L'Écluse et Crécy et prend Calais. Le pouvoir des Valois est largement contesté. Édouard III et Charles II de Navarre, tous deux descendants de Philippe le Bel par des femmes, revendiquent la couronne.

Jean le Bon les prend de court par son couronnement très rapide (le ) après la mort de Philippe VI (le ). Le 29 août, au large de Winchelsea, une escadre conduite par Charles de la Cerda intercepte Édouard III, suspecté de vouloir se rendre à Reims pour se faire sacrer roi de France. La bataille navale tourne à l'avantage de l'Anglais, au prix de lourdes pertes, et ce dernier ne peut plus s'opposer au sacre de Jean le Bon[42]. Il est sacré, en compagnie de sa deuxième épouse Jeanne d'Auvergne, à Reims, le , par l'archevêque Jean II de Vienne. Son intronisation est suivie par celle de quatre cents nouveaux chevaliers appartenant aux grandes familles du royaume. Jean le Bon choisit pour emblème l'aigle, qui est celui de son saint patron Jean l'évangéliste[43].

Charles II de Navarre, dont la mère Jeanne II de Navarre a renoncé en 1328 à la couronne de France contre celle de Navarre, est l'aîné d'une puissante lignée et sait regrouper autour de lui les mécontents du règne de Philippe VI de Valois (le premier de la dynastie des Valois). Il est soutenu par ses proches et leurs alliés : la famille des comtes de Boulogne (le comte, le cardinal, leurs deux frères et leur parenté d'Auvergne qui en 1350 se voient évincés de la gestion de la Bourgogne par le mariage de leur sœur avec le roi Jean le Bon[41]), les barons champenois fidèles à Jeanne de Navarre (mère de Charles et dernière comtesse de Champagne)[44] et les fidèles de Robert d'Artois, chassé du royaume par Philippe VI. Il est soutenu par la puissante université de Paris et les marchands du Nord-Ouest du royaume (pour lesquels le commerce trans-Manche est vital)[45].

L'exécution du comte de Guînes

Le , Jean le Bon fait exécuter le connétable Raoul de Brienne, comte de Guînes, alors que celui-ci rentre de sa captivité anglaise[46]. Les causes de son exécution sont restées secrètes, mais il aurait été convaincu de haute trahison. En effet, les domaines de ce gentilhomme sont partagés entre plusieurs royaumes (France, Angleterre et Irlande)[47]. Et, comme beaucoup de seigneurs dont les possessions ont une façade maritime à l'ouest (sauf ceux dont les domaines sont dans le bassin de la Seine et qui peuvent facilement commercer avec Paris), il a intérêt à soutenir l'Angleterre pour des raisons économiques (le transport maritime étant à l'époque plus performant que le transport terrestre, la Manche constitue une intense zone d'échange)[48].

Raoul de Brienne aurait négocié sa libération contre l'engagement de reconnaître Édouard III comme roi de France, ce dont Jean le Bon aurait eu connaissance, par l'interception de courriers à destination du souverain anglais. Le roi ne souhaite pas que cela s'ébruite, car cela remettrait en avant la question des droits d'Édouard à la couronne de France. En 24 heures, Raoul de Brienne est arrêté, jugé à huis clos, décapité et ses biens confisqués[49]. L'opacité sur les raisons de cette exécution expéditive laisse place aux rumeurs. Il se dit que le connétable a été exécuté pour avoir entretenu une liaison supposée avec feue la reine Bonne de Luxembourg. Ces rumeurs permettent de plus de jeter le discrédit sur les futurs Valois en instillant un doute sur leur hérédité et donc leur légitimité[50]. L'émotion est vive, Raoul de Brienne a de nombreux soutiens qui se rangent alors dans le camp navarrais[51] : les seigneurs normands et la noblesse du Nord-Est (de Picardie, d'Artois, du Vermandois, du Beauvaisis et des Flandres dont l'économie dépend des importations de laine anglaise), susceptibles de se ranger au côté de l'Anglais, se sentent menacés et se rangent derrière Charles de Navarre ou les frères de Picquigny, fidèles alliés du connétable. Au lendemain de l'exécution du connétable, Charles le Mauvais écrit au comte de Lancastre : « Tous les nobles de Normandie sont passés avec moi à mort à vie »[44].

Ordonnance sur les métiers de la ville de Paris

Les effets démographiques de la grande peste entraînent une raréfaction de la main-d’œuvre et des produits agricoles. Pour éviter une inflation dont les effets sont très mal perçus à l'époque, le roi bloque les prix et salaires, par ordonnance du , à l’instar de ce qu’a fait Édouard III avec le statut des travailleurs en 1349. L’ordonnance interdit aussi la mendicité, car l’inactivité aggrave la pénurie de main-d’œuvre et les vagabonds peuvent être recrutés dans les bandes de mercenaires non soldés (les grandes compagnies), qui déjà sévissent dans le pays.

Enfin chacun peut s’établir comme artisan dans Paris, ce qui brise le système des corporations, et contribue à empêcher la hausse des prix (les corporations fixent l’autorisation d’exercice et les prix pratiqués)[52]. Dès lors, cette mesure permet de limiter l'inflation dans un premier temps, mais n'empêche pas à moyen terme le marché de réguler les prix en fonction de l'offre et de la demande. On sait qu'en Angleterre, après promulgation d'une ordonnance analogue, les prix ont recommencé à augmenter après une génération[53].

Il interdit aux ouvriers de fréquenter les tavernes les jours ouvrables, et de quitter leur atelier pour chercher un meilleur salaire. En 1367, une nouvelle ordonnance royale oblige les chômeurs à réparer les fossés, sous peine d’être fouettés. Les vagabonds sont criminalisés. L'historien Bronisław Geremek souligne que « le système judiciaire et l'appareil policier sont, avant tout, dirigés contre les échelons inférieurs de la hiérarchie sociale[54]. »

Réorganisation de l'armée

Le roi a le souci de réorganiser l'armée, qui a été vaincue à Crécy. Pour restaurer le prestige et l'autorité des Valois, il faut que l'argent concédé par les impôts serve à financer une armée valeureuse et efficace. En particulier, il faut éviter les défections sur le champ de bataille, et les pillages, une fois la paix revenue.

Création de l’ordre de l’Étoile
Chapitre inaugural de l'ordre de l'Étoile présidé par Jean II, entouré des chevaliers (enluminure d'un manuscrit du XIVe siècle des Grandes Chroniques de France, BnF, ms. français 2 813, fol. 394).

L’ordre de la Jarretière, créé par Édouard III, risque d'attirer nombre de chevaliers car, à l’époque, après des générations d’alliances matrimoniales, les domaines seigneuriaux sont fréquemment épars et dépendants de plusieurs royaumes[55]. Les seigneurs de l’Ouest de la France pourraient suivre la logique économique qui fait de la Manche une grande zone d’échange, et basculer dans le camp anglais.

Jean le Bon crée donc l’ordre de l'Étoile. La féodalité est en crise au XIVe siècle et la noblesse est confrontée à une importante baisse de ses revenus fonciers à la suite des nombreuses dévaluations alors que le cens est à montant fixe. Or, l'appartenance même à la noblesse se définit par une conduite honorable et dispendieuse. Vivant du labeur paysan, le maître se doit de manifester sa largesse en entretenant la masse de ses dépendants[56]. Des membres désargentés de la noblesse pourraient donc changer de camp si Édouard III leur proposait une rente. Une solde est donc versée aux chevaliers membres de l'ordre de l'Étoile. Ses règles flattent l’idéal chevaleresque, le siège est placé à Saint-Ouen près de l’abbaye Saint-Denis, où sont conservés les tombeaux des rois et les insignes de la royauté. Les membres se reconnaissent à un collier et une étoile blanche sur émail rouge avec cette devise : Monstrant regibus astra viam.

Il s'agit également de substituer des valeurs de discipline militaire à l’esprit de prouesse, qui est dans une large mesure à l’origine du désastre de Crécy[57]. On substitue au simple orgueil, même valeureux, le sentiment de l'honneur. Le mérite personnel y représente, avant la naissance et la fortune, la première condition pour être admis. Les succès dans les tournois ne comptent pas, mais la valeur et la fidélité sur le champ de bataille. C'est une chevalerie d'État, où le chevalier promet «loyal conseil au prince soit d'armes, soit d'autre chose»[58]. Les statuts stipulent que ses membres ne doivent jamais tourner le dos à l'ennemi et, à la première réunion de l'ordre, ils jurent de ne pas reculer plus de quatre pas. D'un point de vue tactique, ces mesures sont censées donner plus de cohésion à un ost qui s'est débandé à Crécy, mais dans les faits une unité qui ne recule pas, quand elle est mise en difficulté, se retrouve encerclée, et risque d'être perdue. C'est ainsi que lors de la bataille de Poitiers, ces dispositions provoquent la mort ou la capture de plusieurs membres, dont le grand-maître, le roi en personne. L'ordre tombe ainsi rapidement en désuétude.

Règlement pour les gens de guerre

Jean II souhaite « encadrer au service de l'État l'immense fourmillement des hommes de guerre soldés ». Le pays abonde en gens de guerre, mais pas forcément bien équipés ni disciplinés. Ils peuvent fuir le champ de bataille, ou se transformer en pillards pendant les périodes de trêve. D'autre part, les impôts étant difficiles à faire rentrer, il convient d'éviter les gaspillages. Il est courant que des hommes se présentent dans plusieurs compagnies en se prêtant mutuellement leurs équipements, pour recevoir plusieurs soldes.

Le , une nouvelle ordonnance augmente les soldes, contre l'institution de revues (la montre) contrôlant les troupes. Chaque combattant doit faire partie d’une compagnie sous l’ordre d’un capitaine[59], les chevaux sont marqués, pour éviter que les mêmes montures puissent être montrées dans deux unités différentes. Les soldes sont donc versées à vue, à l'issue de la montre, ce qui permet de solder une seule fois les combattants, et seulement s’ils sont correctement équipés[60].

Cette ordonnance crée une véritable armée royale, en lieu et place des troupes seigneuriales, peu disciplinées. Les barons, vassaux et arrière-vassaux sont logés à la même enseigne, et intégrés dans des compagnies. Les capitaines de ces unités sont responsables de la tenue et de la disponibilité de leur troupe, et doivent rendre des comptes au connétable et aux maréchaux[60].

Cette ordonnance, qui est un complément à la création de l'ordre de l'Étoile, prévoit, pour le haut commandement, des conseillers techniques dans l'emploi des armes, assistant les princes et les chefs[58].

Suspension de la dette du roi

Au prétexte de constituer un trésor de guerre en cas de reprise des hostilités, Jean le Bon suspend la dette durant la trêve (du au )[61]. Il est habituel à cette époque d’emprunter à de riches créanciers qui se remboursent en prélevant des taxes au nom du roi, ce qui allège d’autant le nombre de fonctionnaires nécessaires pour la marche de l’État[62]. Ces créanciers étant ainsi fort impopulaires, la mesure est très bien accueillie. En revanche, elle met en lumière le besoin de réformer l’impôt, et on ressort du trésor des chartes la Grande ordonnance de réforme de 1303[61].

Le parti du roi

Les proches du roi ont la réalité du pouvoir entre les mains au détriment du parti navarrais. Le parti royal est structuré autour des Melun-Tancarville : Jean II, vicomte de Melun, qui a épousé Jeanne, seule héritière du comté de Tancarville, qui est à la tête de l'un des deux grands partis normands[18], ses frères Guillaume, l'archevêque de Sens, et Adam qui récupère la charge de chambellan de Normandie habituellement donnée aux Tancarville. Jean le Bon ramène dans ce parti les fils de Robert d'Artois en donnant en 1350 à Jean d'Artois, le comté d'Eu[63] qu'il vient de récupérer, en faisant exécuter le connétable Raoul de Brienne[49]. Les Artois entrent de plain-pied dans le clan des Melun-Tancarville, quand Jean d'Artois épouse Isabelle de Melun, fille de Jean de Melun. Il est soutenu par ses cousins Bourbons.

Mais l'incarnation de son parti est son favori Charles de la Cerda, celui-ci est le beau-fils du vicomte Jean de Melun, qui s'est remarié avec sa mère. Charles de La Cerda peut compter sur le soutien de la comtesse d'Alençon, Marie de la Cerda[64], sa cousine, veuve des comtes Charles d'Étampes et Charles II d'Alençon[65]. En 1352, il épouse Marguerite de Blois, fille de Charles de Blois (le candidat à la succession de Bretagne soutenu par le roi de France), ce qui lui vaut le soutien de seigneurs bretons, tels que Bertrand Du Guesclin. Il a ses fidèles dans l'armée royale, comme le maréchal Arnoul d'Audrehem. Charles de La Cerda joue un jeu habile, attire à lui des membres de familles liées depuis des années aux Évreux-Navarre, pour affaiblir l'influence du puissant parti navarrais qui menace le roi[65].

La rivalité entre Charles de Navarre et Charles de La Cerda
Prise de Saint-Jean-d'Angély, enluminure de l'Histoire de la Toison d'or de Guillaume Fillastre, XVe siècle (BNF).

Charles de La Cerda accumule les honneurs. Jean le Bon lui confie missions diplomatiques et commandements militaires ou maritimes. Il reçoit du roi le comté d'Angoulême en décembre 1350 et la charge de connétable en 1351. Après la mort de Philippe VI, la trêve signée en 1347 n’est plus valable, Charles de La Cerda s'illustre par une brillante campagne en Poitou, où il prend Saint-Jean-d'Angély le [52]. Jean le Bon, essayant de se concilier les bonnes grâces de Charles de Navarre, le nomme lieutenant du Languedoc. Le Navarrais s'acquitte bien de ses fonctions civiles, mais il échoue à reprendre la place de Montréal près d'Agen[66].

En 1352, le roi lui donne sa fille Jeanne en mariage avec une dot de 100 000 écus (il recourt à une mutation monétaire pour la réunir[66], mais en fait, Charles II ne sera pas payé avant plusieurs années[67]). Mais bien que gendre du roi, Charles de Navarre reste soigneusement tenu à l'écart du conseil du roi, alors que Charles de La Cerda s'active à détricoter son réseau de fidèles. Tout cela ne peut qu'en faire l'ennemi mortel du parti navarrais, qui répand des rumeurs d'homosexualité, pour expliquer ses liens avec le roi. C'est l'affaire du comté d'Angoulême qui met le feu aux poudres : par un accord entre le roi de France et Jeanne de Navarre, cette dernière a cédé ce comté contre les châtellenies de Beaumont, Asnières-sur-Oise et Pontoise. Ces châtellenies n'ayant jamais été remises, le comté aurait dû revenir à Charles de Navarre, mais il échoit à Charles de La Cerda[68]. La tension monte et fin 1353, une empoignade oppose Philippe de Navarre (le frère de Charles le Mauvais) et le connétable dans les appartements du roi. Ce dernier ramène Philippe de Navarre à la raison alors qu'il a dégainé sa dague et Charles de La Cerda quitte les lieux sous les insultes du Navarrais[69].

Négociations de paix

Sous la pression du pape Innocent VI, Anglais, Français et Bretons négocient la paix dans la guerre de Cent Ans et dans la guerre de Succession de Bretagne. Le conflit breton est en effet dans une phase de statu quo : Jean de Montfort soutenu par les Anglais est mort et son fils n'a que 4 ans. Charles de Blois, soutenu par les Français, est prisonnier à Londres et négocie sa rançon. Édouard III obtient, par le traité de Westminster du , qu'en contrepartie de la reconnaissance de Charles de Blois comme duc de Bretagne, ce dernier s'engage à verser une rançon de 300 000 écus et à ce que la Bretagne signe un traité d'alliance perpétuelle avec l'Angleterre. Cette alliance doit être scellée par le mariage de Jean (le fils de Jean de Montfort) avec la fille d'Édouard III, Marie[70]. Les époux étant cousins, le mariage nécessite des lettres de dispense canonique que le pape n'accorderait qu'avec l'approbation du roi de France.

Or, Charles de La Cerda s'est marié en avec Marguerite de Blois (la fille de Charles de Blois). Très proche du roi de France, il a son mot à dire dans cette négociation et fait partie des plénipotentiaires[70]. En revanche, Charles le Mauvais est soigneusement tenu à l'écart des négociations. Une paix franco-anglaise nuirait à ses intérêts car, sans la menace d'une alliance anglo-navarraise, il n'a aucune chance de faire valoir ses prétentions sur la Champagne et a fortiori sur la couronne de France. Or, début , au moment où Charles de La Cerda part pour la Normandie, le roi a donné son accord au mariage[71]. Dès lors, Charles le Mauvais décide de faire échouer les négociations et de se saisir de la personne de Charles de La Cerda, dans le but d'influer sur le cours des tractations. Il passe à l'action et fait assassiner Charles de La Cerda le , à L'Aigle.

Traité de Mantes (1354) et de Valognes (1355)
Charles le Mauvais au lit de justice de Jean le Bon. Gravure de 1879 issue de Paris à travers les siècles de H. Gourdon de Genouillac.

Charles de Navarre, qui n'était pas personnellement présent lors du meurtre[72], souhaitait la capture du connétable et non son assassinat. Il en endosse la responsabilité, pour couvrir son ombrageux et impulsif frère Philippe de Navarre, qui fut l'exécutant. Alors que Jean le Bon reste prostré quatre jours à l'annonce de la mort de Charles de la Cerda, montrant qu'il ne peut maîtriser son émotion, le Navarrais se pose en chef d'État et revendique pleinement le meurtre, qu'il justifie comme une question d'honneur[73].

Charles de Navarre est fortement soutenu, et les seigneurs normands se rangent derrière lui. Les châteaux normands sont réarmés. Il envoie Jean de Fricamp, surnommé Friquet, emprunter de l'argent à Bruges pour lever une armée[73]. Dès le , la chancellerie navarraise envoie des courriers demandant une aide militaire à Édouard III, au Prince Noir, à la reine Philippa de Hainaut, et à Jean de Gand, duc de Lancastre[73]. Allié aux Anglais, il a les moyens de contraindre le roi de France à accepter l'assassinat de son favori.

Le , Jean le Bon doit accepter des concessions au traité de Mantes pour éviter une reprise de la guerre de Cent Ans. Par ce traité, Charles le Mauvais renonce à réclamer les châtellenies d'Asnières-sur-Oise, Pontoise et Beaumont, que le roi ne lui avait toujours pas remises. En contrepartie, il reçoit le comté de Beaumont-le-Roger, les châteaux de Breteuil, Conches et de Pont-Audemer, le clos du Cotentin avec la ville de Cherbourg, les vicomtés de Carentan, Coutances et Valognes en Normandie. Il peut recevoir l'hommage des seigneurs normands qui l'ont soutenu. Ce traité lui donne également la permission de tenir chaque année un échiquier pour y rendre justice, sans que des appels puissent être envoyés au parlement de Paris[74]. Au total, il reçoit toutes les prérogatives du duc de Normandie sans en avoir le titre. D'autre part, l'assassinat de Charles de La Cerda a compromis les accords de paix franco-anglais : ni la guerre de Cent Ans, ni la guerre de Succession de Bretagne ne sont réglées. Pour faire bonne figure, il doit demander pardon au roi devant son lit de justice le 4 mars, mais ne subit aucun autre châtiment. Charles le Mauvais est en position de force, il n'a jamais été aussi puissant.

Le comte de Lancastre peut s'estimer floué, mais les partisans de Charles étant revenus en force dans le conseil du roi, les négociations franco-anglaises de Guînes évoluent très favorablement pour les Anglais, qui recevraient en toute souveraineté toute l'Aquitaine des Plantagenêts (le 1/3 du royaume de France), garderaient Calais, contre le renoncement à la couronne de France. Cet accord qui préfigure le traité de Brétigny est signé le . Le traité de Guînes doit être confirmé et solennisé à Avignon à l'automne et une trêve jusqu'au est conclue[75].

Toutefois, Jean II ne respecte pas ses engagements vis-à-vis du roi de Navarre. Le traité de Mantes ne sera pas appliqué, et Jean II tentera de faire assassiner Charles II de Navarre et ses frères Philippe et Louis à l'occasion d'un dîner, en [76]. Charles II quittera alors Paris pour Avignon, puis rentrera en Navarre[77]. Jean II parviendra ensuite à faire prisonnier Philippe de Navarre, en , afin d'affaiblir Charles II[78]. Il faudra que le roi de Navarre revienne en Normandie avec une forte troupe armée, en , pour que Jean II cède et signe le traité de Valognes du , qui consacre l'application du traité de Mantes[79].

Négociations à Avignon

En , Charles le Mauvais se rend à Avignon, pendant les négociations de paix franco-anglaises. Pour lui un traité de paix franco-anglais serait une catastrophe, surtout si Édouard III acceptait de renoncer à la couronne. Par un subterfuge, il reste quinze jours dans la ville en faisant croire qu'il est reparti en Navarre, et influe sur le cours des négociations[80]. Il conclut donc avec le duc de Lancastre un pacte qui prévoit le démembrement de la France. Édouard recevrait la couronne de France, mais laisserait à son cousin Charles de Navarre la Normandie, la Champagne, la Brie, le Languedoc et quelques autres fiefs[81]. Un débarquement anglais est prévu pour la fin de la trêve, qui expire le [82].

Mais les Anglais, échaudés par les revirements incessants du Navarrais, se méfient et le débarquement promis n'eut jamais lieu.

Mouton d'or sous Jean II le Bon.

États généraux de 1355 et 1356

La création d'une armée soldée est coûteuse et elle doit être financée. Le roi a recours aux états généraux qu'il convoque le . On tente de simplifier le calcul de l'impôt pour le rendre plus efficace[83]. Mais les impôts ne rentrent pas. Le roi rappelle une nouvelle fois Jean Poilevillain et Nicolas Braque, anciens manipulateurs de la monnaie, jetés en prison sur ordre du roi Philippe VI, qu'il nomme respectivement aux Comptes et aux Monnaies[83]. La monnaie est dévaluée une nouvelle fois. Les rentes et loyers diminuent au grand dam de la bourgeoisie, de la noblesse et des prélats[83]. La colère monte.

Le palais de la Cité.

Après avoir maté d'une main de fer une rébellion dans son comté anglais de Chester, Édouard de Woodstock, dit le Prince Noir, fils aîné d'Édouard III, est gratifié de la confiance de son père qui lui confie le poste de lieutenant de Gascogne. Ainsi commence la première chevauchée du célèbre capitaine anglais. Avec l'échec des négociations d'Avignon, la trêve prend fin et en 1355, le Prince Noir, parti de Bordeaux, pille la campagne française dans les comtés de Juillac, d'Armagnac et d'Astarac. Ses troupes commettent de nombreuses atrocités dans la région de Carcassonne.

Confronté à la menace anglaise, Jean le Bon convoque les états généraux de langue d'oïl à Paris, dans la grande salle du palais de la Cité, le , pour lever une armée de 30 000 hommes, qu'il juge nécessaire. Étienne Marcel et ses alliés (son cousin Imbert de Lyon, son associé Jean de Saint-Benoît, son prédécesseur à la prévôté des marchands de Paris, Jean de Pacy, ainsi que ses échevins Pierre Bourdon, Bernard Cocatrix, Charles Toussac et Jean Belot) y sont les principaux représentants des villes[84]. Les états sont extrêmement méfiants, quant à la gestion des finances publiques (échaudés par les dévaluations entraînées par les mutations monétaires[85] qui ont fait perdre à la monnaie royale 82% de sa valeur en un an[86]). La noblesse, dont les dévaluations diminuent les revenus (les redevances dues sur leurs terres sont de montant fixe), a un besoin impératif d'une monnaie forte. Les commerçants ont surtout besoin d'une monnaie stable. Après les chevauchées du Prince Noir en Languedoc et du duc de Lancastre en Artois, les états ont conscience de la nécessité de lever une armée, mais plus encore de financer des garnisons pour défendre les villes[84]. Ils acceptent la levée d’une taxe sur les transactions commerciales de huit deniers par livre, à la condition de pouvoir en contrôler la mise en œuvre, l’utilisation, et que soit émise une monnaie forte[84]. Un collège de neuf officiers (trois par ordre) chargés de prélever la taxe, doit être désigné par les états généraux[87].

L'empereur Charles IV, fragment d'une fresque de 1360–70, musée Wallraf-Richartz, Cologne.

Les impôts rentrant mal et la nouvelle monnaie se dévaluant rapidement, les états sont réunis à nouveau en mars 1356 et décident d'élargir l'assiette de l'impôt en taxant aussi les revenus fonciers. Ce qui se révèle difficile, car il faudrait une administration capable de quantifier les revenus des contribuables[88].

La fugue du dauphin

L'empereur Charles IV du Saint-Empire, subissant une offensive diplomatique anglaise et inquiété par l'influence grandissante des Français sur l'Ouest de l'empire (la Bourgogne, le Dauphiné et de nombreuses places fortes sont contrôlés par les Français), menace de renégocier son alliance avec son beau-frère Jean le Bon. L'empereur émancipe le beau-fils du roi, Philippe de Rouvre, dont le duché de Bourgogne est géré par le roi de France du fait de son jeune âge[89]. Le roi fait montre d'intransigeance et la tension monte. Le dauphin Charles, très proche de l'empereur son oncle, craint d'y perdre le Dauphiné et s'oppose à la façon de procéder de son père. Il est monté contre lui par Robert Le Coq (l'un des plus fervents Navarrais jouant double jeu auprès de Jean le Bon) qui ne cesse de lui confier que son père cherche à l'évincer du pouvoir. Il organise avec le concours des Navarrais un projet visant à rencontrer l'empereur, à lui prêter l’hommage et à apaiser les tensions[51]. La rencontre doit avoir lieu en . Le roi, mis au courant de l'affaire par Robert de Lorris, convoque son fils et lui confie la Normandie en apanage pour le rassurer sur ses sentiments envers lui[90].

Arrestation de Charles de Navarre

Arrestation de Charles de Navarre à Rouen en 1356 (Chroniques de Froissart, Loyset Liedet, BnF, ms. français 2 643 fº 197v, XVe siècle).

Jean le Bon est averti du complot de partage du pays, ourdi par Charles le Mauvais et les Anglais à Avignon[91], ainsi que d'un vague projet d'assassinat le concernant (ce grief est plus tard avoué par les proches de Charles de Navarre soumis à la question, ce qui rend les aveux peu fiables) et se décide à le mettre hors d'état de nuire.

Le , le dauphin et duc de Normandie a convié en son château de Rouen toute la noblesse de la province, à commencer par le comte d'Évreux, Charles le Mauvais. La fête bat son plein, lorsque surgit Jean le Bon, coiffé d'un bassinet et l'épée à la main, qui vient se saisir de Charles le Mauvais en hurlant : « Que nul ne bouge s'il ne veut être mort de cette épée ! »[92]. À ses côtés, son frère Philippe d'Orléans, son fils cadet Louis d'Anjou et ses cousins d'Artois forment une escorte menaçante. À l'extérieur, une centaine de cavaliers en armes tiennent le château[92]. Jean le Bon se dirige vers la table d'honneur, agrippe le roi de Navarre par le cou et l'arrache violemment de son siège en hurlant :

« Traître, tu n'es pas digne de t'asseoir à la table de mon fils ! ». Colin Doublet, écuyer de Charles le Mauvais, tire alors son couteau pour protéger son maître, et menace le souverain. Il est aussitôt appréhendé par l'escorte royale qui s'empare également du Navarrais[92]. Excédé par les complots de son cousin avec les Anglais, le roi laisse éclater sa colère qui couve depuis la mort, en janvier 1354, de son favori le connétable Charles de la Cerda.

Malgré les supplications de son fils qui, à genoux, implore de ne point le déshonorer ainsi, le roi se tourne vers Jean d'Harcourt, infatigable défenseur des libertés provinciales, mais qui a été mêlé à l'assassinat de Charles de la Cerda. Il lui assène un violent coup de masse d'armes sur l'épaule avant d'ordonner son arrestation. Le soir même, le comte d'Harcourt ainsi que Jean Malet, sire de Graville, et deux autres compagnons[93], dont l'écuyer Doublet, sont conduits au lieu-dit du Champ du Pardon. En présence du roi, le bourreau, un criminel libéré pour la circonstance, qui gagne ainsi sa grâce, leur tranche la tête[92].

Batailles et chevauchées sous Jean le Bon

Deux jours plus tard, la troupe regagne Paris pour célébrer la fête de Pâques. Charles le Mauvais est emprisonné au Louvre, puis au Châtelet. Mais la capitale n'est pas sûre, aussi est-il finalement transféré à la forteresse d'Arleux, près de Douai, en terre d'Empire[94]. Incarcéré, Navarre gagne en popularité. Ses partisans le plaignent et réclament sa liberté. La Normandie gronde et nombreux sont les barons qui renient l'hommage prêté au roi de France et se tournent vers Édouard III d'Angleterre. Pour eux, Jean le Bon a outrepassé ses droits, en arrêtant un prince avec qui il a pourtant signé la paix. Pire encore, ce geste est perçu par les Navarrais comme le fait d'un roi qui se sait illégitime et espère éliminer un adversaire dont le seul tort est de défendre ses droits à la couronne de France.

Philippe de Navarre, le frère de Charles le Mauvais, envoie son défi au roi de France le [95]. L'arrestation de Charles II par le roi de France sera lourde de conséquences. Les Navarrais et particulièrement les seigneurs normands passent en bloc du côté d'Édouard III. En , Philippe de Navarre lance une redoutable chevauchée en Normandie, puis rend hommage à Édouard III[96]. Puis en juillet, le prince de Galles lance une chevauchée en Guyenne, qui aboutira à la défaite française de Poitiers[97].

La bataille de Poitiers

Le Roi Jean à la bataille de Poitiers
Eugène Delacroix, 1830
Musée du Louvre[98]

À l'été 1356, le Prince Noir revient sur le sol français pour une nouvelle campagne de pillages. Il échoue devant Bourges, mais prend Vierzon, dont la garnison est massacrée. Gênée par le poids du butin, sa troupe oblique alors vers l'ouest, puis vers Bordeaux en passant par Poitiers. Jean le Bon la poursuit avec une armée deux fois plus nombreuse, composée de chevaliers lourds, et le rattrape dans les environs de Poitiers. La bataille a lieu le à Nouaillé-Maupertuis près de Poitiers. L'enjeu est plus que militaire. Il faut redorer le blason de la noblesse, largement terni depuis le désastre de Crécy et qui, de plus, est incapable de protéger le peuple des pillages anglais, ce qui est pourtant son rôle dans la société féodale. C'est dans cet esprit qu'il renvoie les troupes envoyées par les villes pour le soutenir. C'est au roi et à la noblesse de vaincre pour prouver leur légitimité.

Avant que la bataille ne se déclenche, le cardinal de Talleyrand-Périgord, légat du pape Innocent VI, tente une médiation et obtient une trêve de 24 heures. Ce délai est mis à profit par les Anglais qui peuvent se retrancher, leur stratégie habituelle étant d'obliger l'adversaire à attaquer et de répliquer en faisant usage de l'arc long, dont la cadence de tir surclasse largement celle des arbalètes.

Capture de Jean le Bon, enluminure tirée du De casibus virorum illustrium de Boccace (BNF).

Au petit matin, un mouvement des Anglais laisse penser qu'ils tentent de passer leur butin de l'autre côté du Miosson au gué de l'Omme. Les deux commandants de l’avant-garde française interprètent différemment ce mouvement : le maréchal Jean de Clermont appréhende un piège, alors que le maréchal Arnoul d'Audrehem estime qu'il faut tout de suite occuper les passages. Le ton monte, ils se défient et, sans prendre les ordres du roi, chargent chacun de son côté.

La charge d'Audrehem sur un chemin bordé de haies (Maupertuis, un mauvais passage) est anéantie par les archers gallois masqués derrière les buissons. Le connétable, Gauthier VI de Brienne, se joint au maréchal de Clermont pour charger sur le comte de Salisbury. Tous deux sont tués. L'avant-garde est décimée.

Les deux corps de bataille s'engagent ensuite de façon désordonnée, désordre accentué par les pièges préparés par les Anglais. La bataille tourne à l'avantage du Prince Noir[99]. Une partie de l'armée française, devant la confusion de la bataille, perd confiance et tourne casaque.

Comme les chevaux, non protégés, sont vulnérables aux tirs des archers anglais, le roi fait mettre pied à terre. Il monte à l'assaut avec ses hommes, après avoir mis à l'abri ses fils Charles et Louis, ne gardant avec lui que le plus jeune, Philippe. Ce dernier, seulement âgé de quatorze ans, gagne à Poitiers son surnom de le Hardi[99]. La cavalerie anglaise charge les chevaliers français démontés et s'assure la victoire. Le roi se bat héroïquement. Les cris de son jeune fils sont restés célèbres : « Père, gardez-vous à droite ! Gardez-vous à gauche ! ». Blessé à la tête[100], le roi de France est finalement fait prisonnier avec son fils[101] par Denis de Morbecque[102]. Édouard III a toutes les cartes en main pour négocier d’importantes concessions territoriales et financières.

Jean le Bon est le deuxième souverain français à être capturé sur un champ de bataille[103].

La captivité

L'héroïsme de Jean le Bon et de son fils Philippe à la bataille de Poitiers est resté célèbre et vaut au premier sa réputation de roi-chevalier et au deuxième son surnom de Hardi. Miniature du Maître de Giac tirée d'un manuscrit des Chroniques de Froissart, bibliothèque municipale de Besançon, Ms.864, vers 1412-1415.

Le sacrifice du roi sauve sa couronne car il est perçu comme héroïque dans tout le royaume, y compris par Édouard III et son fils le Prince Noir. Jean le Bon est incarcéré à Bordeaux avec tous les honneurs. Il peut librement y organiser une cour. Une trêve d'un an est signée. En janvier 1358, Charles de Navarre, libéré, est en mesure de prendre le pouvoir (il est considéré par beaucoup comme plus apte à combattre l'ennemi anglais et plus légitime que le chétif dauphin[104]). Voyant la situation évoluer vers une monarchie contrôlée avec Charles de Navarre à sa tête, Jean le Bon décide de précipiter les négociations, quitte à céder beaucoup de terrain à Édouard III. Elles doivent avoir lieu de roi à roi et il est transféré de Bordeaux à Londres. Ses conditions d’incarcération sont royales : il est logé avec sa cour de plusieurs centaines de personnes (proches capturés avec lui à Poitiers et d'autres venus de leur plein gré), liberté de circulation en Angleterre, hébergement à l’hôtel de Savoie. Il accepte le premier traité de Londres qui prévoit que l’Angleterre récupère l’ensemble de ses anciennes possessions d’Aquitaine et une rançon de quatre millions d’écus sans renonciation à la couronne de France[105].

Cet accord provoque un tollé dont Étienne Marcel, le prévôt des marchands, profite pour prendre le pouvoir dans la capitale. Le il déclenche une émeute et 3 000 hommes en armes envahissent le palais de la Cité pour affronter le dauphin[106] qui a fait monter une armée d'un millier d'hommes pour faire pression sur les Parisiens et empêcher son éviction en faveur du Navarrais. Étienne Marcel fait assassiner sous ses yeux les chefs de cette armée : le maréchal de Champagne Jean de Conflans et le maréchal de Normandie Robert de Clermont[107]. Croyant maîtriser le dauphin qu'il a terrorisé, il le fait nommer régent et tient Charles le Mauvais à l'écart de Paris. Le dauphin réagit, monte la noblesse horrifiée par le meurtre des maréchaux contre Étienne Marcel et organise le siège de la capitale[108]. Étienne Marcel contre-attaque en utilisant la jacquerie pour s'assurer de l'accès nord à la capitale qui lui permet de garder contact avec les villes des Flandres et du Nord auxquelles il est allié. Charles de Navarre, se sentant évincé par le prévôt de Paris, reprend l'initiative en prenant la tête de la noblesse et en écrasant les Jacques[109]. Étienne Marcel n'a d'autre choix que de composer avec lui : il lui ouvre les portes de Paris et du pouvoir[110]. Néanmoins, la plus grande partie de la noblesse ne suit pas le Navarrais et rallie le camp du dauphin qui assiège Paris. Une alliance avec Étienne Marcel est impossible depuis le meurtre des maréchaux. Charles de Navarre compense ces défections par l'enrôlement de mercenaires anglais dont la présence dans Paris déclenche des émeutes[111], la nouvelle de l'arrivée d'autres troupes anglaises fait définitivement basculer les Parisiens[112] : Étienne Marcel est assassiné et Paris ouvre ses portes au régent le .

Jean Fouquet, Entrée de Charles V dans Paris le , manuscrit des Grandes Chroniques de France, vers 1455-1460 (BNF).

En mars 1359, profitant que le pouvoir semble échapper complètement à Jean le Bon, Édouard III augmente ses prétentions, lui impose des conditions de détention moins conciliantes et obtient un second traité encore plus contraignant :

  • Aux anciennes possessions d'Aquitaine des Plantagenêt, s’ajoutent toutes les terres qui ont un jour appartenu à l'Angleterre : le Maine, la Touraine, l'Anjou et la Normandie.
  • Le roi d'Angleterre reçoit l'hommage du duc de Bretagne, réglant ainsi la guerre de Succession de Bretagne en faveur de Jean de Montfort, allié des Anglais.
  • La rançon de quatre millions d'écus avec un échéancier plus bref.

Cela représente plus de la moitié du territoire et plusieurs années de recettes fiscales. Accepter ces conditions discréditerait définitivement les Valois et risquerait de faire sombrer le royaume dans une nouvelle guerre civile qui offrirait à Édouard III la couronne sur un plateau.

Le dauphin Charles convoque les états généraux qui, scandalisés, déclarent le traité « ni passable, ni faisable ». Cette manœuvre permet de dédouaner son père et de ressouder le pays contre les Anglais.

Édouard III débarque en pour prendre Reims, la ville du sacre, et imposer à la chevalerie française une nouvelle défaite, qui achèverait de discréditer le pouvoir. Mais, en accord avec le roi et son entourage londonien (qui ne veulent pas que la mort éventuelle d'Édouard III sur le champ de bataille déclenche des représailles à leur encontre), Charles lui oppose la tactique de la terre déserte et mène une guerre d'escarmouches, refusant toute bataille rangée.

Cette chevauchée tourne au fiasco pour les Anglais, harcelés, affamés, privés de montures (faute de fourrage). Pendant ce temps, des marins normands mènent un raid sur le port de Winchelsea (), déclenchant une panique en Angleterre[113]. Fou de rage, Édouard III remonte vers Paris, son armée commettant alors de nombreuses exactions : il ne s’agit plus de la simple extorsion visant à ravitailler ses hommes, mais de la destruction systématique de toutes les ressources (les pieds de vignes sont arrachés, le bétail abattu et toute âme qui vive massacrée). Les mercenaires se soldant par le pillage, une partie des troupes reste sur la Bourgogne pour la piller, pour son propre compte, formant un embryon de Grande Compagnie. Ces exactions entraînent un vif ressentiment contre les Anglais. Nombre de ces massacres ont lieu pendant le carême et la semaine sainte et quand l’armée anglaise est décimée par un violent orage de grêle le lundi 13 avril (historiquement connu sous le nom de «Lundi noir»)[114], nombre de chroniqueurs y voient la main de Dieu[115]. Édouard III se décide alors à négocier.

Royaume de France entre 1356 et 1363 : jacqueries et compagnies
  • Possessions de Charles de Navarre
  • Territoires contrôlés par Édouard III avant le traité de Brétigny
  • Chevauchée d'Édouard III en 1359-60
  • Territoires cédés par la France à l'Angleterre par le traité de Brétigny (suit le tracé du premier traité de Londres)

Traité de Brétigny

Après le refus du deuxième traité de Londres, les conditions de détention de Jean le Bon deviennent progressivement moins confortables. En , Jean le Bon est assigné à résidence, sous la surveillance de soixante-neuf hommes de garde. Six mois plus tard, le roi est transféré à la sinistre forteresse de Somerton puis, au printemps 1360, à la tour de Londres[100]. Le danger d’une prise de pouvoir par les Navarrais ou par les états généraux étant écarté, le roi décide de reprendre les choses en main. Il veut neutraliser au plus vite le dauphin (il redoute particulièrement une action d'éclat destinée à assassiner le roi d'Angleterre et il craint pour sa propre sécurité). Alors qu’Édouard III chevauche en France, les rênes du pays sont reprises par son éminence grise, l'archevêque de Sens, Guillaume II de Melun. Celui-ci place le dauphin en résidence surveillée, et dirige le conseil[116]. Le parti royal négocie à la va-vite sur les bases du premier traité de Londres, alors que l’armée anglaise est en déroute, évitant que seul le dauphin bénéficie de ce succès. Par rapport au premier traité de Londres, la rançon est ramenée de quatre à trois millions d’écus — l'équivalent d'environ 12 tonnes d'or, soit deux années de recettes fiscales[117] —, mais les conditions sont très lourdes et le traité perçu comme honteux.

Le traité met un terme aux quatre années de captivité à Londres de Jean le Bon, mais des otages sont livrés pour garantir le paiement de la rançon, dont le plus important est sans doute son ambassadeur et conseiller : Bonabes IV de Rougé et de Derval.

Édouard III obtient la Guyenne et la Gascogne en toute souveraineté, ainsi que Calais, le Ponthieu et le comté de Guînes. Il obtient également le Poitou — dont l'un des fils du roi, Jean, est pourtant comte —, le Périgord, le Limousin, l'Angoumois et la Saintonge. Enfin, il devient souverain de toutes les terres du comte d'Armagnac en recevant l'Agenais, le Quercy, le Rouergue, la Bigorre et le comté de Gaure.

En revanche, Édouard III renonce aux duchés de Normandie et de Touraine, aux comtés du Maine et d'Anjou, et à la suzeraineté sur la Bretagne et les Flandres. Il renonce surtout à revendiquer la couronne de France. Ce traité vise à désamorcer tous les griefs qui ont conduit au déclenchement du conflit.

La rançon n'est que partiellement versée et le traité de Brétigny ne dure pas, mais il permet une trêve de neuf ans pendant la guerre de Cent Ans.

Mariage d’Isabelle de France avec Jean Galéas Visconti

Le versement de l'immense rançon négociée à Brétigny pose problème : le pays est exsangue. Pour libérer le roi, Édouard III exige un acompte de 600 000 écus et le roi doit en verser 400 000 supplémentaires avant un an. Le dauphin ne réussit à collecter que 400 000 écus aux prix d'efforts considérables de la population dans son ensemble. Cependant, Jean le Bon parvient à trouver de l'argent pour le premier versement de sa rançon : il marie sa fille Isabelle, avec Jean Galéas Visconti, le fils de Blanche de Savoie et de Galéas Visconti, qui règne sur la Lombardie avec son frère Barnabé. Son rang est insuffisant pour entrer dans la famille du plus grand roi de la chrétienté, mais Galéas a offert 600 000 écus d'or. Le premier acompte doit être versé en juillet, le solde à la célébration du mariage. Pris à la gorge, Jean le Bon accepte la proposition et peut ainsi être libéré[118].

Royal d'or sous Jean II le Bon.

Réformes monétaires et fiscales

Le Franc à cheval représente le roi Jean le Bon sur un destrier, armé d'un écu à fleur de lys et brandissant l'épée, avec le terme « Francorum Rex » (Roi des Francs).

Prisonniers à Londres, Jean le Bon et ses conseillers constatent les bienfaits d’une monnaie forte. Ils préparent donc les réformes nécessaires et Jean le Bon crée le franc, le , sur le chemin du retour à Paris[119]. Il s’agit d’une monnaie à très forte teneur en or (3,88 grammes d'or fin), valant une livre et dont le nom indique qu’il ne s’agit pas d’une monnaie au titre dévalué[120]. Il montre le roi chargeant à cheval dans la droite ligne de l’idéal chevaleresque : l’objectif est de restaurer l’autorité royale en mettant fin aux mutations monétaires qui ont entraîné de nombreuses dévaluations pendant toute la première moitié du XIVe siècle[121]. Une monnaie forte constitue la demande principale des états généraux, illustrée par la théorie élaborée par Nicolas Oresme.

À côté des éléments purement économiques qui conduisent à la décision de la création d'une nouvelle monnaie pour le royaume, le choix de son nom, le franc, est avant tout un geste politique, à usage intérieur, pour répondre au besoin d'affirmation nationale naissant pendant la guerre de Cent Ans[122]. Il s'agit clairement d'une évocation de l'ascendance (partielle) franque du peuple français — ce terme de Francs par ailleurs également employé pour désigner les chevaliers chrétiens partis en croisade — et de la légitimité de son roi (le Rex Francorum), légitimité dont la défense constitue une des principales préoccupations des Valois.

Retour de Jean le Bon, enluminure tirée des Grandes Chroniques de France.

Le roi, même s'il doit ménager les états généraux qui ont gouverné en 1358, n’entend pas laisser les rênes du pouvoir et le conseil est tenu par le parti royal, Guillaume de Melun en tête. Il applique donc une politique proche de celle prônée par les états généraux sans toutefois leur rendre de comptes, ni au parlement. Après la création du franc, il réduit le nombre de fonctionnaires, épure et met sous pression le personnel financier qui est très impopulaire[123]. La plupart des proches du dauphin sont évincés et celui-ci retourne gérer son duché de Normandie[124].

Gros à la fleur de lis dit « patte d'oie » sous Jean II le Bon.

Le royaume est saigné pour payer le premier versement de la rançon tel qu'organisé par le dauphin et les états généraux avant le retour de Jean le Bon[125]. L’abandon des mutations monétaires, prive l’État d’une source importante de revenus. Pour payer la rançon, le conseil du roi compte sur la fiscalité indirecte : l’ordonnance de Compiègne du institue une taxe de 5 %, prélevée sur tous les échanges[126]. Ce choix favorise la noblesse qui n’est pas touchée par cet impôt et plus généralement les propriétaires fonciers dont les revenus sont calculés en monnaie de compte. En revanche, le commerce, l’agriculture et l’industrie sont durement pénalisés et l’économie est ralentie par cette mesure.

Apanages

La superficie du domaine royal posant des problèmes de gouvernance, Jean le Bon le divise en principautés qu’il confie à ses fils en apanage. Charles est déjà dépositaire du duché de Normandie. Louis reçoit le Maine et l’Anjou, Jean le Berry. En , il révoque toutes les aliénations du domaine royal faites depuis Philippe le Bel hormis celles effectuées au bénéfice de ses fils, ce qui permet de rapprocher les apanages de la famille proche du roi[127].

Le duché de Bourgogne avait échu à Philippe de Rouvres, enfant d'un premier lit de Jeanne, son épouse. Les ravages de la guerre, la pauvreté des campagnes forment un terreau favorable au développement de la peste en cette fin d'année 1361 et le jeune Philippe de Rouvres en est atteint. Dix jours après la rédaction de son testament, le , dans ce château de Rouvres qui l’a vu naître quinze ans auparavant, le dernier chef de la branche aînée des ducs capétiens de Bourgogne rend son dernier soupir et disparaît sans postérité[128]. À la suite de ce décès, revendiquant le duché tant en son nom personnel qu'au nom de son épouse, Jean le Bon s'approprie le duché, réduisant à néant la revendication de Charles le Mauvais. Il en fera donation ensuite, en 1363, à son dernier fils, Philippe, surnommé « le Hardi » depuis la bataille de Poitiers, qui sera le fondateur de la dynastie bourguignonne.

Les Grandes compagnies

Bataille de Brigniais d'après Jean Froissard.

L’économie du royaume est alors très entamée par les agissements des Grandes compagnies, composées de mercenaires démobilisés par la trêve, qui mettent le royaume en coupe réglée. Souvent Anglais ou Gascons, ils se réclament du roi d’Angleterre ou de Navarre, contribuant ainsi à ancrer un véritable sentiment d’anglophobie et à discréditer Charles le Mauvais. Il est vrai qu’Anglais et Navarrais ont souvent recours à leurs services dans la guerre froide qui les oppose au roi de France (Édouard III, en particulier, n’hésite pas à faire œuvrer ses mercenaires sous les couleurs navarraises)[129]. Ainsi, Jean Jouël s’empare, en son nom propre, du donjon de Rolleboise pour le compte d’Édouard III[130]. Partout, ils occupent des places fortes et rançonnent les campagnes. Bloquant les voies de communication, dont ils tirent de nombreux profits, ils pèsent sur les échanges. Beaucoup rançonnent sur les vallées de la Saône et du Rhône, principal axe commercial Nord-Sud depuis l'installation de la Papauté à Avignon[131]. On essaie de les acheter, ils empochent le tribut sans partir. On tente de les emmener combattre à l’extérieur mais ils reviennent. On tente de les utiliser les uns contre les autres, mais cette stratégie tourne au désastre. Les troupes royales sont écrasées à Brignais le , une partie des Grandes compagnies embauchées ayant quitté le champ de bataille. Il faut encore leur payer la rançon pour Guillaume de Melun pris pendant la bataille[132].

Le roi s’éloigne du pouvoir

Allant de désastre en désastre dans un pays ruiné et à feu et à sang, le roi cherche une porte de sortie. Il se rend à Avignon voir le pape Innocent VI, ancien conseiller de son père Philippe VI[133]. Il compte lui demander de l'aider à rembourser sa rançon. Son voyage a un autre objectif : marier son fils Philippe le Hardi à Jeanne de Naples dont le royaume est soutenu à bras le corps par la papauté. Mais quand il arrive, Innocent est mort ; son successeur Urbain est peu dépensier et n'est pas disposé à financer sa rançon. De plus le pape, ne souhaitant pas voir la Provence tomber entre les mains des Français et voir ainsi Avignon complètement cernée par le puissant royaume de France au risque de tomber sous sa tutelle, s'active en sous-main pour empêcher cette union qu'il autorise officiellement malgré la consanguinité des futurs conjoints. De toute façon, Jeanne n'est pas femme à se voir imposer un mari, même par le pape son protecteur, et elle préfère épouser le roi Jacques IV de Majorque[134].

Urbain V a l'idée de l'envoyer en croisade en emmenant les compagnies qui saignent le royaume de France et la cité des papes[135]. Le moment est propice puisque Amurat Ier, le sultan des Turcs ottomans, après un an de siège, vient de conquérir Andrinople dont il veut faire sa capitale. Jean le Bon est séduit par le projet, il envisage de reconquérir son honneur en croisade contre les Turcs en répondant à l'appel du roi de Chypre, Pierre Ier de Lusignan. Cette croisade serait financée par le pape, via les décimes, le roi comptant bien en récupérer une partie pour rembourser sa rançon. Il reçoit la croix d’Outremer des mains du nouveau pape Urbain V à Avignon le 30 mars 1363[132]. Mais le nouveau souverain pontife est très soucieux des finances de l'Église et impose que les décimes soient prélevées par les évêques eux-mêmes ce qui ôte tout espoir de plus-value à Jean le Bon[136].

Finalement, il repart pour Londres le afin de renégocier le traité de Brétigny pour lequel il a du mal à payer la rançon et la libération des otages (son fils Louis d’Anjou, lassé d’attendre sa libération, s'est déjà enfui de Londres, avec Bonabes IV de Rougé et de Derval)[137]. Avant de partir, il réunit les états généraux à Amiens fin et leur fait part de sa décision[137]. Il laisse une situation désastreuse avec un pays ruiné et mis en coupe réglée par les compagnies, mais une bonne partie des décisions qui vont permettre à Charles V de relever le royaume sont déjà prises. La monnaie est stabilisée, une administration plus efficace via la politique des apanages est mise en place, les impôts sont votés. Il laisse son fils aîné régler la situation, ce qu'il a déjà fait brillamment en 1358.

Mort du roi et inhumation

Jean II meurt à l'hôtel de Savoie, à Londres, le . Son corps est restitué à la France et il est inhumé dans la basilique Saint-Denis le 8 mai de la même année[138]. Sa sépulture, comme celle de tous les autres princes et dignitaires reposant en ce lieu, est profanée par les révolutionnaires en octobre 1793.

Retour de Jean le Bon en Angleterre, enluminure des Grandes Chroniques de France de Charles V, 1370-1379, BNF.

Mariages et descendance

Jean le Bon est marié, à l'âge de treize ans, à Bonne de Luxembourg le dimanche à Melun. Ils ont onze enfants :

  1. Blanche (1336-1336), sans postérité ;
  2. Charles V (1338-1380), roi de France de 1364 à 1380, et descendance ;
  3. Catherine (1338-1338), sans postérité ;
  4. Louis (1339-1384), duc d'Anjou, épouse Marie de Blois (1345-1404), et descendance ;
  5. Jean (1340-1416), duc de Berry, épouse en 1360 Jeanne d'Armagnac (?-1387), et descendance ;
  6. Philippe le Hardi (1342-1404), duc de Bourgogne, épouse en 1369 Marguerite III de Flandre (1350-1405), et descendance ;
  7. Jeanne (1343-1373), épouse en 1352 Charles le Mauvais, roi de Navarre (1332-1387), et descendance ;
  8. Marie (1344-1404), épouse Robert Ier (1344-1411), duc de Bar, et descendance ;
  9. Agnès de Valois (1345-1349), sans postérité ;
  10. Marguerite (1347-1352), sans postérité ;
  11. Isabelle (1348-1372), épouse Jean Galéas Visconti (1351-1402) duc de Milan, trois enfants dont Valentine Visconti, et postérité.

En pleine épidémie de peste noire, son épouse Bonne de Luxembourg trouve la mort le 3 ou le 11 septembre 1349 à l'abbaye de Maubuisson.

Le , Jean le Bon se remarie au château royal de Sainte-Gemme à Feucherolles avec Jeanne d'Auvergne (1326-1360), fille de Guillaume XII comte d'Auvergne, veuve de Philippe de Bourgogne.

Avec Jeanne, il a :

  1. Blanche (1350-1350), sans postérité ;
  2. Catherine (1352-1352), sans postérité ;
  3. un fils (1354-1354), sans postérité.

Le chroniqueur anglais Thomas Walsingham lui donne — mais sans preuves — un fils naturel[139] :

  • Jean

Ascendance

Notes et références

  1. Jean II est le premier roi de France à être représenté fidèlement sur un portrait.
  2. Jean II est le premier roi de France à être représenté fidèlement sur un portrait.
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  124. Autrand 1994, p. 422-423.
  125. Autrand 1994, p. 394-398.
  126. Autrand 1994, p. 428.
  127. Autrand 1994, p. 433.
  128. Renée-Paule Guillot Les ducs de Bourgogne : Le rêve européen, Fernand Lanore, 1998, p. 53.
  129. Autrand 1994, p. 441.
  130. Autrand 1994, p. 442.
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  132. Autrand 1994, p. 437.
  133. Étienne Aubert devient pape sous le nom d'Innocent VI, chrisagde.free.fr.
  134. Le projet de croisade () chrisagde.free.fr.
  135. Minois 2008, p. 192.
  136. Favier 1980, p. 282.
  137. Autrand 1994, p. 446.
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  139. Voir Patrick Van Kerrebrouck, Les Valois, 1990.

Voir aussi

Sources primaires imprimées

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Françoise Autrand, Charles V : le Sage, Paris, Fayard, , 909 p. (ISBN 2-213-02769-2, présentation en ligne). 
  • Raymond Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, D'Argences, coll. « Bibliothèque elzévirienne. Nouvelle série. Études et documents », , 495 p., [compte rendu en ligne], [compte rendu en ligne], [compte rendu en ligne].
  • Raymond Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève / Paris, Droz, coll. « Mémoires et documents publiés par la Société de l'École des chartes » (no 28), , 625 p. (présentation en ligne).
  • Raymond Cazelles, Étienne Marcel : la révolte de Paris, Paris, Tallandier, coll. « Biographie », (1re éd. 1984), 375 p. (ISBN 978-284734-361-8).
  • Jean Deviosse, Jean le Bon, Paris, Fayard, , 352 p. (ISBN 2-213-01558-9, présentation en ligne).
  • Jean Favier, La guerre de Cent Ans, Fayard, , 678 p. (ISBN 2213008981). 
  • (en) John Bell Henneman, Royal taxation in Fourteenth-Century France : The Captivity and Ransom of John II, 1356-1370, Philadelphie, American Philosophical Society, coll. « Memoirs of the American Philosophical Society » (no 116), , XIII-338 p. (ISBN 0-87169-116-7, présentation en ligne).
  • Georges Minois, La guerre de Cent Ans : Naissance de deux nations, Perrin, , 650 p. (ISBN 978-2-262-02440-6). 
  • Bruno Ramirez de Palacios, Charles dit le Mauvais : Roi de Navarre, comte d'Evreux, prétendant au trône de France, , 530 p. (ISBN 978-2-9540585-2-8).

Liens externes

Articles connexes

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